Les algorithmes qui permettent de gérer automatiquement un portefeuille selon un profil de risque préétabli font certes beaucoup parler d’eux, mais leur présence demeure « extrêmement modeste » sur le marché de la gestion de fortune, rapporte Le Temps.
Dans une enquête publiée par le quotidien suisse, le journaliste économique indépendant Pierre Novello souligne que si les robots-conseillers suscitent un intérêt grandissant de la part des professionnels de la gestion d’actif, leur développement futur dans ce domaine demeure pour l’instant entouré de « nombre d’inconnues ».
« Certains imaginent qu’ils pourraient à terme remplacer les gérants humains, étant donné l’incapacité de ces derniers, en moyenne, de battre le marché », souligne-t-il. Un argument qui a d’autant plus de poids que « les leaders sur le marché proposent des tarifs extrêmement bas », selon lui.
Seulement 20 G$ sous gestion
Premier constat de Pierre Novello : même si les robots en tant que gestionnaires automatiques (voir l’encadré) connaissent une forte croissance, ils ne représentent encore qu’une part infime du marché. Ainsi, fin 2015, ils s’occupaient d’à peine une vingtaine de milliards de dollars, essentiellement aux États-Unis, comparativement à 74 000 G$ pour l’ensemble des fonds sous gestion dans le monde.
En outre, le service offert aux clients diffère grandement d’un gestionnaire à l’autre, explique le journaliste. Si certains ont « entièrement automatisé le processus, de l’entrée des données sur le profil de risque de leurs clients jusqu’à l’allocation dynamique des actifs », d’autres, comme Vanguard ou Schwab, ont également « introduit des robots-conseillers pour la gestion de portefeuille de leur clientèle, mais en offrant toujours la possibilité d’avoir accès à un conseiller humain ».
Quel que soit le service fourni, il importe de savoir comment fonctionnent les algorithmes qui vont gérer automatiquement les portefeuilles, poursuit Pierre Novello. Le plus souvent, ils sont construits sur le modèle de Markowitz, développé dans les années 1950.
« Cette théorie est basée sur le principe de la diversification d’actif, en combinant de manière à obtenir la meilleure performance pour un niveau de risque donné », explique-t-il. Sur le marché des actions, par exemple, « l’idée est que les titres dans certains secteurs évolueront de manière désynchronisée par rapport à d’autres ». Résultat : « leurs mouvements à la hausse et à la baisse se compenseront mutuellement pour aboutir à une performance finalement beaucoup plus stable ».
Les limites du modèle utilisé
« Cette diversification s’étend évidemment aux différentes catégories d’actif, justifiant la répartition traditionnelle entre actions, obligations et liquidités », ajoute le journaliste, qui juge cette théorie « séduisante ». Néanmoins, ce type d’approche mathématique a montré ses limites, notamment au moment de la crise de 2008, où l’on a enregistré des mouvements de très grande ampleur sur les marchés, souligne-t-il. La principale faiblesse du modèle de Markowitz reste qu’« il est très sensible aux paramètres d’entrée, et tout particulièrement aux rendements attendus pour les différents types d’actif ».
Pour appuyer ce jugement, Pierre Novello cite Akimou Ossé, analyste quantitatif et associé gérant de la société suisse QuantPlus, qui soutient que, « dans la plupart des cas, le calcul des rendements attendus est entièrement basé sur les données historiques, en prenant par exemple le rendement moyen sur les cinq dernières années, […] ce qui est évidemment la pire chose à faire, puisqu’on présuppose ainsi que le passé va se répéter à l’identique ».
Toujours selon Akimou Ossé, certains robots-conseillers peuvent cependant utiliser des variantes plus raffinées qui permettent de « pallier la difficulté d’estimer les rendements attendus ». Pour cela, ils se servent du modèle Black-Litterman, un système « qui combine les attentes des analystes avec les rendements d’équilibre de marché, qui sont calculés à partir des capitalisations totales des types d’actif ». D’après le spécialiste, cette approche « permet d’obtenir des portefeuilles beaucoup moins sensibles aux paramètres d’entrée ». Malheureusement, « il est souvent difficile de savoir quelles méthodes utilisent les différents prestataires », déplore-t-il.
La question des frais de gestion
En fin de compte, Akimou Ossé juge que, malgré ses imperfections, le modèle de gestion avec un robot possède de bons côtés : « On peut considérer un portefeuille construit de cette manière comme une première approximation, qui est ajustée au fil du temps et des événements. Par ailleurs, il faut prendre en compte les frais de gestion, qui sont nettement moins élevés chez les prestataires les plus audacieux et qui peuvent donc avoir un impact significatif sur le résultat final. »
Reste que certains robots-conseillers coûtent plus cher que leurs concurrents en chair et en os, rappelle MoneySense, tableau comparatif à l’appui.
Pierre Novello tord aussi le cou au mythe selon lequel le fait de recourir à l’intelligence artificielle permettrait d’éliminer le facteur émotionnel, « qui s’avère particulièrement néfaste lorsque les marchés des actions connaissent des temps difficiles, au point de provoquer des paniques et la liquidation massive de ses titres, souvent au pire moment ».
Dans ces cas, le recours à un robot n’est pas une bonne idée, surtout pour les clients dont les portefeuilles sont modestes, croit Daniel Corrales, associé au sein de Chappuis Halder, une société de conseil spécialisée dans les banques et les FinTech. En cas de crise, « les petits investisseurs ont besoin de conseils pour faire face à ces situations », insiste-t-il. Des firmes comme Betterment et Wealthfront, par exemple, sont d’ailleurs « passés d’un système entièrement automatique à une version moins radicale où il est possible, après plusieurs étapes, de finalement pouvoir parler à un expert humain ».
C’est aussi ce que soutenait en octobre ce responsable de la distribution pour la zone EMEA (Europe Middle East & Africa) chez le fournisseur de fonds négociés en Bourse Source. Insistant sur le fait que les robots « ne fournissent pas réellement de conseils d’investissement », Matt Johnson affirmait que « le degré d’explications données à l’investisseur concernant les risques encourus et les hypothèses émises joue également un rôle essentiel » dans la bonne gestion d’un portefeuille. Et dans cette optique, rien ne saurait remplacer « un entretien face à face avec un conseiller personnel ».
« D’une manière plus générale, les nouveaux produits que l’on voit naître sont hybrides, c’est-à-dire qu’il s’agit de conseillers humains assistés de robots-conseillers, qui permettent de les adapter à leurs besoins. C’est d’ailleurs ce modèle qui est le mieux accueilli par les banques privées qui cherchent à privilégier et à préserver la relation entre le client et le gestionnaire », conclut Daniel Corrales.
Il y a robot et robot…
Le concept de robot-conseiller dépasse largement le simple cadre de la gestion automatique de portefeuille, selon Daniel Corrales, associé au sein de Chappuis Halder.
« Il y aura autant de définition que de personnes à qui vous poserez la question. Sur la base de ce que ce nous observons sur le marché et de notre pratique avec les clients, on peut tout d’abord considérer le côté robot, qui se réfère à l’automatisation d’une activité qui s’effectuait auparavant de manière manuelle ou semi-automatique, dans une recherche d’amélioration de la performance », explique-t-il.
Quant à l’aspect conseiller, « il se réfère au traitement de l’information, grâce au machine learning ou encore à l’intelligence artificielle, qui permet au gestionnaire de portefeuille d’être assisté et ainsi de lui faciliter les conseils qu’il pourra fournir à ses clients, non seulement sur la répartition d’actif, mais sur toutes les variables nécessaires en matière d’investissements ».