Droit 3/5 L’absence de convention de double imposition avec la France peut avoir des conséquences fiscales pour les héritiers. Extrait du « Guide pratique des successions », soutenu par « L’Agefi ».
Une succession à cheval entre la Suisse et la France peut se révéler dangereuse si le défunt était établi en Suisse et qu’il possédait des biens mobiliers français ou de source française, indépendamment du fait que l’héritier soit domicilié en Suisse ou ailleurs. Dans ces différents cas de figure, les héritiers sont en effet soumis à une double imposition : d’une part, à l’impôt français sur les successions sur ce type de biens et, d’autre part, à celui qui est prélevé par le canton de domicile du défunt, puisque ces impôts sont uniquement cantonaux (et parfois également communaux). Or ces charges fiscales des deux côtés de la frontière vont se cumuler pour atteindre dans certains cas un niveau aberrant, comme lorsque les héritiers sont des parents éloignés du défunt et que le canton les impose lourdement, à l’instar du fisc français.
À Genève, par exemple, le canton qui a la main la plus lourde, ce taux peut monter jusqu’à 54,6 % en l’absence de liens familiaux ou de mariage, tandis que la France taxe la part nette d’héritage en biens français ou de source française à hauteur de 60 %, dans la même situation. Au point qu’il est aujourd’hui possible de payer près de 115 % sur la part du patrimoine doublement imposé ! Si l’on est dans ce cas de figure, il est donc impératif d’éliminer ce risque, en commençant par en recenser les sources.
Trois sources à surveiller
On peut dénombrer trois sources classiques de double imposition avec la France en cas de successions transfrontalières, et en particulier franco-suisses. Il s’agit tout d’abord des comptes bancaires français, c’est-à-dire ceux qui sont ouverts sur le territoire français. Ensuite, c’est la détention d’un bien immobilier localisé en France via une société civile immobilière (SCI), qui est une structure juridique française permettant de posséder de manière indirecte des biens immobiliers. En d’autres termes, cela transforme en quelque sorte un bien immobilier en un objet mobilier aux yeux du fisc. Enfin, dernière source de double imposition potentielle, les titres français détenus en direct.
Pour les comptes bancaires français, la solution pour supprimer le risque de double imposition est simple : il suffit au futur défunt de rapatrier ces fonds en Suisse. Il est vrai que si l’héritier était domicilié en France, les administrations fiscales des deux côtés de la frontière prélèveront tout de même leur impôt de succession sur ces comptes suisses. Mais la France, dont l’impôt est généralement plus élevé, appliquera un crédit d’impôt, c’est-à-dire une déduction de l’impôt à payer correspondant à celui qui aura été réglé en Suisse. En d’autres termes, l’héritier ne paiera au total que le montant de l’impôt français : une partie restera potentiellement acquise à la Suisse et l’excédent ira à la France.
Se débarrasser des SCI
Une solution aussi basique aurait aussi pu s’appliquer à tous les objets situés physiquement en France (meubles, véhicules, œuvres d’art, etc.), qu’il suffirait d’exporter. Mais il n’en va pas de même avec toutes les créances contre des personnes domiciliées en France, les titres ou valeurs mobilières émises par des sociétés françaises, parmi lesquels les SCI.
Si l’on est propriétaire d’un bien immobilier via une SCI en France et qu’on désire le garder sans prétériter ses futurs héritiers redevables d’impôts, il vaudrait mieux transformer cette détention indirecte en une possession directe, en procédant à la dissolution de la société. Ainsi le bien ne sera imposable qu’en France. En Suisse, sa valeur sera cependant prise en compte ou non, selon le canton de domicile du défunt, pour la détermination du taux d’imposition applicable aux autres éléments de la succession.
Malheureusement, la liquidation d’une SCI n’est pas sans conséquences. Elle entraîne en effet la taxation de la plus-value latente – différence entre la valeur comptable d’un bien et celle qu’elle pourrait dégager en cas de vente – sur l’immeuble détenu par celle-ci, même s’il n’y a aucune transaction financière. Cela génère, en outre, des frais de notaire. Par ailleurs, le traitement fiscal côté suisse de la liquidation d’une SCI suscite des interrogations depuis la publication d’un arrêt du Tribunal fédéral du 13 décembre 2022 (2C_365/2021). Cet arrêt confirme en effet la pratique de l’administration fiscale vaudoise de soumettre les parts de telles sociétés détenues par des résidents suisses à l’impôt sur la fortune, sous certaines conditions, et avec des conséquences incertaines sur l’impôt sur le revenu.
Titres en portefeuille : attention aux mauvaises surprises
Les titres français contenus dans un portefeuille, même s’ils sont déposés en Suisse, sont en principe soumis à une double imposition. Dans ce cas, il vaudrait mieux s’en séparer si l’on veut privilégier des héritiers soumis à impôts. Au passage, on précisera que les titres américains exposent également les héritiers de détenteurs résidents en Suisse à un risque d’alourdissement de l’impôt sur les successions.
Ce risque est heureusement limité par une convention de double imposition qui lie la Suisse aux États-Unis. Pour en savoir plus, on peut se référer au site de l’administration fiscale américaine (IRS) pour les personnes non-résidentes et qui ne sont pas citoyennes américaines. Selon la taille du portefeuille, il est judicieux de le faire analyser pour en connaître la charge fiscale potentielle en cas de décès.
Absence de convention de double imposition avec la France depuis 2015
La France est souvent critiquée pour avoir dénoncé la convention de double imposition en matière de successions avec la Suisse, qui existait avant 2015. Toutefois, notre pays aurait sa part de responsabilité, si l’on en croit Aubin Robert, juriste fiscaliste auprès d’Avacore Wealth Planning à Genève. Cet expert rappelle qu’un nouvel accord avait été négocié et signé par la Suisse le 11 juillet 2013 : « Cet accord permettait notamment à la France de taxer les bénéficiaires domiciliés sur son territoire. Et comme la précédente convention, elle ne visait que les successions, à l’exclusion des donations. Ce nouvel accord permettait ainsi, d’une part, de régler la question des conflits de domiciles du défunt lorsque les deux pays considéraient qu’il était établi sur leur sol et, d’autre part, d’éviter la double imposition. Malheureusement, poursuit notre interlocuteur, une forte opposition de la part des cantons, notamment romands, s’est manifestée. Face à ce blocage, la France a dénoncé de manière unilatérale en 2014 la convention existante avec effet au 1er janvier 2015. La solution pourrait passer par l’amendement des lois fiscales cantonales sur les donations et successions, afin de diminuer ou de supprimer la double imposition. Par exemple, à Genève, on n’élimine jamais la double imposition, alors que c’est partiellement le cas dans le canton de Vaud ou du Valais. »