En cas de décès, le conjoint survivant pourrait être obligé de vendre le logement familial pour des raisons financières. Il existe plusieurs solutions pour l’éviter. Mais elles ne sont pas forcément simples, et peuvent être différentes s’il y a un ou plusieurs enfants
Lorsqu’on acquiert son propre logement, c’est souvent dans la perspective de pouvoir en profiter jusqu’à la fin de ses jours. Ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas. Et pas seulement pour des raisons médicales, mais financières, lorsque survient le décès de son conjoint.
En effet, rappelle Patrice Dupont, planificateur financier auprès de la Banque Cantonale de Fribourg, «statistiquement, c’est le mari qui décède en premier. Lorsque cet événement se produit, le régime matrimonial est dissous et 50% du bénéfice du mariage revient à l’épouse (dans le cas du régime de la participation aux acquêts). Ensuite, elle participe à la répartition de la masse successorale à hauteur de 50%, le reste allant à ses enfants. On peut dire grosso modo que le conjoint survivant perd un quart du patrimoine familial.»
Si la maison constituait une part essentielle de la fortune de ce couple, comment procéder au partage? Faut-il vendre et obliger ainsi la veuve à trouver un autre logement? Pour éviter la survenue d’une telle situation, les deux époux auraient pu signer un avenant au contrat de mariage, stipulant, comme la loi l’y autorise, que la totalité du bénéfice du mariage, donc à l’exclusion des biens propres, reviendrait au conjoint survivant.
«Mais un tel accord risque de ne pas suffire pour que la veuve puisse faire face à ses charges financières, si l’on tient compte de la chute de sa rente AVS (un tiers) et de celle de la caisse de pension (40%, si le couple avait choisi les rentes)», ajoute le planificateur financier.
Pour pouvoir rester dans ses murs, la veuve pourrait faire une donation en faveur de ses enfants associée à un droit d’habitation. Ce régime permet de transférer la propriété au donataire et de libérer le donateur de toute charge de propriétaire, notamment les dépenses hypothécaires et la valeur locative, mais en lui garantissant un droit personnel et incessible d’habiter le logement jusqu’à son décès.
Il est important de ne pas confondre le droit d’habitation avec l’usufruit. En effet, comme le précise Albert Gallegos, responsable du conseil patrimonial de la Banque Cantonale de Genève, «à l’instar du bénéficiaire du droit d’habitation, l’usufruitier cède sa propriété au nu-propriétaire, mais reste redevable de l’entier des charges de la maison et, principalement, de celles qui sont liées à l’endettement hypothécaire. En contrepartie, l’usufruitier conserve plus de droits, puisqu’il peut non seulement occuper le logement, mais également le louer.»
La solution du droit d’habitation n’est évidemment pas sans conséquences pour les donataires, qui vont non seulement devoir prendre à leur compte ces nouvelles charges, mais aussi ajouter la valeur locative à leur revenu imposable, sans compter des droits de donation dans certains cantons. Il est donc très important de ne pas les mettre en difficulté, comme le soulignent nos deux banquiers.
La personne qui bénéficie d’un droit d’habitation peut finalement être obligée de quitter son logement pour intégrer un EMS. Si ses revenus ne suffisent pas à assumer le coût d’une telle institution, des prestations complémentaires de l’AVS pourraient être demandées.
Dans ce cas, l’assurance sociale ignorera le droit d’habitation pour calculer le montant qui lui sera accordé. En revanche, l’usufruitier se verra compter la valeur locative dans les revenus qui entrent dans ce calcul. Avec pour conséquence de réduire le montant des prestations auquel il va avoir droit.
Mais, attention, la fortune est également prise en compte dans cette évaluation, que la donation ait donné lieu à un usufruit ou à un droit d’habitation. Une donation peut se retourner contre les donataires, qui pourraient alors être sollicités pour subvenir aux besoins du donateur si nécessaire.
La solution esquissée jusqu’ici convient s’il n’y a qu’un seul enfant. Mais qu’en est-il s’il y a plusieurs héritiers? Pour répondre à cette question, Patrice Dupont prend le cas d’un couple avec deux enfants, en supposant que «le bien immobilier à transmettre vaut 600 000 francs, hypothéqué à hauteur de 240 000 francs. Pour que les deux enfants reçoivent chacun une part égale de l’héritage au décès, le couple augmente l’hypothèque de 160 000 francs, pour la porter à 400 000 francs, réduisant par là même la valeur nette de la maison à 200 000 francs. Puis, avec les 160 000 francs ainsi générés, le père souscrit une assurance vie entière qui donne un capital décès de 200 000 francs dès le 1er jour.»
«Au décès du preneur d’assurance, poursuit le planificateur, un des enfants obtient la maison, tandis que l’autre reçoit la police d’assurance. De cette manière, chacun des deux dispose d’un montant équivalent. Mais il est important de souligner que celui qui reçoit la maison doit être capable de faire face aux 400 000 francs d’emprunts hypothécaires. Pour aider ce dernier, le bénéficiaire du droit d’habitation pourrait par exemple lui verser un montant correspondant à la location du bien donné.»
Idéalement, l’accord entre les parents et les enfants devrait être conclu sous la forme d’un pacte successoral devant notaire. Non seulement pour coucher cet accord par écrit et sous la forme authentique, mais aussi pour procéder à l’évaluation du bien de la manière la plus précise et juste possible et des mesures compensatoires éventuelles, afin d’éviter tout malentendu futur entre les héritiers.