FONDS DE PLACEMENT À défaut d’éliminer le risque, on peut l’appréhender avec des instruments statistiques de plus en plus sophistiqués.

Les récents troubles sur les marchés financiers rappellent les limites de la confiance que l’on peut accorder aux produits réputés sûrs. Ainsi, certains fonds sur le marché monétaire, censés se composer de placements de premier ordre, contiennent en réalité des CDO (Collateralized Debt Obligation) ! Alors que ces CDO – titres garantis par un ensemble d’obligations de qualité variable émis en différentes tranches – avaient bénéficié des meilleures notations.

Ce nouvel épisode fait suite aux graves difficultés de divers hedge funds lourdement investis dans le marché des « subprimes », sans qu’on sache aujourd’hui quelles en seront les conséquences finales. Celui qui investit dans de tels véhicules de placement ne peut toutefois se décharger complètement de ses responsabilités, même si les agences de notation sont coupables de légèreté, voire plus.

On sait ainsi très bien que les hedge funds qui suivent des stratégies à faible volatilité, comme c’était le cas avec les fonds investis dans les « subprimes », sont ceux qui présentent le plus de risques de dislocation, c’est- à-dire de fortes chutes. Car si la volatilité est faible, c’est qu’elle se base sur des actifs qui ne sont pas confrontés au marché. Cette volatilité sera donc logiquement très basse. Mais en cas de crise, lorsqu’il faut vendre des titres bénéficiant de notations trop élevées par rapport à leur qualité intrinsèque, leur prix va évidemment chuter.

Ratio de Sharpe insuffisant

On ne peut se contenter d’un simple ratio de Sharpe, qui permet de mesurer la qualité d’une performance par rapport au risque pris. C’est-à-dire qu’on prend la performance d’un fonds sur une période donnée, puis on en soustrait le taux d’un placement sans risque et on divise le résultat par la volatilité du fonds. Le problème vient de la volatilité. Pour que le ratio de Sharpe ait un sens, il faut que la distribution des rentabilités du fonds suive une loi normale, elle doit dessiner une belle courbe de Gauss, parfaitement symétrique. Or si c’est généralement le cas pour les fonds traditionnels, il en va tout autrement avec les hedge funds.

Concrètement, la distribution des rentabilités de ces véhicules de placement est asymétrique. C’est ce qu’on appelle dans le jargon statistique skewness. Cette dernière est dite négative lorsque les rendements inférieurs sont plus fréquents que si la distribution suivait une loi normale, et positive dans le cas contraire. En outre, les distributions des hedge funds tendent à être le théâtre d’événements extrêmes. En d’autres termes, par rapport à la courbe de Gauss normale, les extrémités de la courbe des rentabilités des hedge funds – les queues de distribution – sont plus épaisses. On mesure cette épaisseur par un coefficient statistique appelé kurtosis. Un hedge funds à la skewness très négative et à la kurtosis très positive – donc très dangereux – pourra présenter un ratio de Sharpe très élevé, avec une volatilité très basse.

Ratio omega

Jérôme Haag, de FinLab, fournisseur d’un logiciel pour sélectionner les fonds, explique : « Heureusement, il y a quelques années, le ratio omega est apparu. Il parvient à prendre en compte la skewness et la kurtosis des fonds alternatifs. Cette nouvelle mesure de performance ajustée du risque, très à la mode, divise les rendements en deux parties relatives à un seuil fixé par l’investisseur. Les bons rendements sont au-dessus de ce seuil et les mauvais en dessous. Le ratio omega est le rapport des rendements supérieurs et inférieurs au seuil pondérés par leurs probabilités. Plus la valeur de l’omega est élevée, meilleur est le ratio. »

Les ratios omega et Sharpe fort partie des ratios de performance, c’est-à-dire ajustée au risque. Il existe quatre catégories différentes d’outils statistiques, valables tant pour les fonds de placement traditionnels que pour les hedge funds, soit : performance ; risque ; ratio de performance ; analyse de régression et de corrélation.

Performances

La première catégorie regroupe les performances moyenne et annualisée. Simples à comprendre, ces statistiques peuvent malheureusement induire en erreur, comme le détaille Cyrille Urfer, responsable de la sélection des fonds de placement auprès de LODH : « La performance passée est un très mauvais guide pour celle à venir, surtout dans le domaine des fonds classiques, car il y a peu de récurrence et de persistance des résultats. Si vous choisissez les gérants qui font partie du premier quartile, la probabilité est grande de les retrouver dans le dernier les trois années suivantes, en raison du phénomène de retour vers la moyenne : celui qui est en tête a une plus grande probabilité de ne plus y être dans le futur. »

Risques

Les principaux indicateurs de risque sont la volatilité, soit l’écart type de la distribution des rendements par rapport à sa moyenne. Plus la volatilité est élevée, plus l’actif est risqué. Il y a aussi le maximum drawdown, la perte maximale qui aurait pu être réalisée sur la période considérée, en achetant au plus haut et en vendant au plus bas.

Enfin, la valeur à risque, plus connue sous le nom de Value at Risk ou VaR, est une estimation du montant de perte que pourrait subir un portefeuille ou un actif avec une certaine probabilité (selon un niveau de confiance de 95 ou de 99%) pendant une période donnée. Exemple : une VaR de 100’000 francs calculée avec un niveau de confiance de 95% pour une période de 7 jours signifie que pendant ces 7 jours, l’investisseur a 5% de risque de perdre plus de 100’000 francs

Ratios

Parmi les principaux ratios de performance ajustée au risque, on trouve le ratio de Sharpe, celui de Sortino, le tracking error, le ratio d’information et l’omega (pour la gestion alternative).

Le ratio de Sharpe se définit comme la performance du fonds dépassant le taux hors risque par rapport à la volatilité de ce même fonds. En d’autres termes, il s’agit de la rémunération excédentaire qu’un fonds génère par unité de risque supplémentaire. Plus le ratio est élevé, plus le fonds produit un bon rendement par rapport au risque engagé. L’une de ses faiblesses est qu’il ne fait pas la différence entre la volatilité à la hausse ou à la baisse. Or, pour l’investisseur, ce sont uniquement les risques de baisse qui comptent.

Le ratio de Sortino comble cette lacune, puisqu’il est calculé de manière identique au ratio de Sharpe, sauf que la volatilité utilisée n’est basée que sur les rendements négatifs ou qui se situent en dessous d’un rendement minimum. C’est un indicateur des plus précis puisque les distributions de rentabilités à la hausse et à la baisse ne sont jamais parfaitement symétriques.

« Le tracking error mesure la divergence de comportement de la performance entre le fonds et son indice de référence, détaille Cyrille Urfer. Il s’agit de la volatilité de l’écart de performance entre le fonds et son indice de performance. Un tracking error élevé signifie que le gérant est actif comparé à l’indice de référence. En soi, ce n’est ni positif ni négatif, tout dépend du type de produit recherché. Le tracking error peut être calculé selon différentes méthodologies. Il est surtout influencé par le choix de l’indice de référence. »

Le ratio d’information est obtenu en divisant l’écart de performance entre le fonds et son indice de référence, par le tracking error. « Le ratio d’information peut s’exprimer comme la mesure de la surperformance par rapport à la volatilité de cette dernière. Donc, un ratio d’information élevé indique que la surperformance du fonds a été d’autant plus grande pour un risque relatif constant », souligne Jérôme Haag. Le ratio omega, déjà présenté, est uniquement utilisé pour les hedge funds, lorsque la distribution des rentabilités ne répond pas à une loi normale.

Régression et corrélation

Dans la catégorie analyse de régression et de corrélation figurent l’alpha, le bêta, le coefficient de corrélation R et R2. L’alpha mesure la surperformance du fonds par rapport à son indice de référence. Se pose la question du choix de l’indice, car on peut toujours sélectionner celui qui permet de produire l’alpha le plus élevé.

Le bêta est la mesure de l’amplitude de la sensibilité d’un fonds par rapport à son indice de référence. Par exemple, un bêta de 2 signifie que le fonds est deux fois plus sensible aux mouvements de son indice. Mais il faut souligner que le bêta n’a de valeur prédictive que si le fonds est suffisamment corrélé à l’indice de référence choisi, comme l’indique R2. Le coefficient de corrélation décrit la manière dont un fonds et son indice de référence se sont comporté historiquement l’un par rapport à l’autre.

Les coefficients de corrélation (mesure du mouvement relatif) varient de –1,0 à +1,0. Un coefficient de + 1,0 implique que le fonds et son indice de référence évoluent à l’identique, tandis que –1,0 signifie que le fonds évolue dans la direction opposée à celle de son indice de référence. Un coefficient de ° laisse supposer que le fonds et son indice de référence ne sont pas corrélés.

R est le carré du coefficient de corrélation R. Il mesure à quel point le rendement d’un fonds est influencé par les mouvements de son indice de référence. La corrélation est considérée comme élevée si R2 dépasse 0,7 (ou 70%), comme l’indique Fidelity Canada sur son site (www. fidelity.ca). La corrélation est modeste si R2 s’échelonne entre 0,4 et 0,7. En deçà, il n’y a pas de corrélation.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que « si un fonds enregistre un rendement similaire à celui de son indice de référence, comme le donnerait à entendre un R2 très élevé, mais que son bêta est inférieur à 1, le fonds en question offre probablement des « rendements corrigés du risque » supérieurs à ceux de l’indice de référence », conclut Fidelity.

Toutes les interprétations possibles

« Ces outils statistiques sont utiles, mais il faut en user avec prudence, car on peut leur faire dire beaucoup de choses. Bon sens et regard critique sont requis, met en garde Cyrille Urfer. Bon nombre de statistiques souffrent du choix de l’horizon-temps et de la période choisie. C’est pourquoi nous avons l’habitude d’utiliser des mesures simples et de les combiner sur différents horizon-temps. »

Notre interlocuteur souligne que d’autres facteurs jouent un rôle-clé pour bien sélectionner les fonds : « La simplicité et la manière dont la philosophie d’investissement est exprimée. Comment elle est implémentée dans le portefeuille. La rigueur, la stabilité de l’équipe de gestion et de l’environnement dans laquelle elle opère. Il peut y avoir des changements majeurs dans les équipes ou dans le processus de gestion d’investissement ou dans la nature même des produits. Il est très important d’établir sa classification, qui se résume en deux grands axes : la taille, (la capitalisation boursière grande, moyenne ou petite) et le style, (la valeur ou la croissance). Ce dernier point est d’autant plus important qu’une bonne partie de la performance lui est attribuable. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas le résultat absolu, mais le résultat relatif. »

Il faut aussi considérer la taille des encours et son évolution. Sur le marché des actions, il y a une relation inverse entre la croissance des encours et la capacité du gérant à générer de la valeur. Pas toujours facile à évaluer, car bon nombre de fonds publics à disposition en Suisse, ou en Europe, ne sont que des clones d’une version américaine. La flexibilité du gérant est ainsi réduite et la performance du produit s’approche de celle de son indice de référence.

« Autre élément essentiel, ajoute Cyrille Urfer, et qui est très difficile d’accès, c’est l’évaluation de la répartition et de la base de la clientèle investie dans le produit. Car différents types d’investisseurs présentent des comportements distincts selon les phases de marché. Ainsi, les investisseurs à court terme vont générer de nombreuses entrées et sorties et peuvent influencer fortement la performance. Pour le savoir, il faut s’intéresser à la plateforme de distribution et à la proportion de clients institutionnels. »

Après le TER, le PTR

Le PTR (Porfolio Turnover Rate) mesure l’ampleur des transactions opérées au sein du fonds par rapport à sa fortune moyenne. La publication de ce chiffre répond à la directive du 25 janvier 2006 de l’Association suisse des fonds de placement (SFA) qui en précise les modalités.

Formellement, le PTR est défini comme le rapport entre d’une part la somme du volume des achats et de ventes de titres, à laquelle on soustrait la somme des émissions et des rachats de parts de fonds et, d’autre part, la fortune moyenne nette du fonds. Exemple : supposons qu’un fonds renouvelle pas du tout ou entièrement son portefeuille sur une période annuelle, c’est-à-dire que toutes les positions ont été vendues pour être remplacées par d’autres valeurs – ou les mêmes – on obtient un PTR annuel de 200.

Le PTR comble d’une certaine manière la lacune du TER qui néglige les frais liés aux achats ou ventes de titres, essentiellement les frais de courtage. À noter que le PTR, par définition, ne peut servir à déterminer le coût effectif de ces transactions. Mais la mesure de l’ampleur des mouvements à l’intérieur du portefeuille va indirectement fournir une indication sur ces coûts.

Puisque les performances publiées de tous les fonds sont toujours nettes des frais indirects, y compris les frais de transactions, on peut se demander à quoi sert vraiment le PTR ? À cette question, Matthaus Den Otter, le directeur de l’Association suisse des fonds de placement, répond que le PTR « vous donne une indication sur les transactions effectuées par le gérant du fonds, permettant d’évaluer si elles sont plus ou moins en ligne avec la stratégie qui est publiée dans le prospectus. Et donc si l’activité de trading paraît justifiée avec le but de placement. »

Du côté des praticiens, on retrouve le même sentiment, comme s’en fait l’écho Cyrille Urfer : « Le PTR permet de valider un certain nombre d’éléments sur les fonds que nous sélectionnons, mais il ne constitue pas un critère déterminant. Car, en principe, toutes nos analyses sont basées sur la valeur nette d’inventaire, c’est-à dire que les frais sont déjà déduits. De même, le TER doit être considéré comme un instrument de validation en particulier pour des produits indicés ou semi-indicés, pour les investisseurs institutionnels. »