Par un étrange paradoxe, la gestion alternative, à la réputation toujours un peu sulfureuse, trouve aujourd’hui parmi ses plus fervents défenseurs des banquiers privés de la place financière genevoise. Tel Patrick Odier, associé senior de LODH, qui s’exprimait dans ces colonnes il y a quelques jours ou encore Ivan Pictet, associé senior de Pictet & Cie et président de Genève Place Financière. Ce dernier mettait en avant, mardi dernier lors de la conférence de presse annuelle de la fondation, le caractère incontournable des hedge funds dans la gestion de fortune actuelle – jusqu’à 20% des portefeuilles – et leur rôle d’amortisseur. Ils sont en effet réputés permettre de capturer une partie de la hausse des marchés sous-jacents tout en protégeant le capital. Et ils ont jusqu’ici fait plutôt leurs preuves puisqu’ils ont réussi à ne perdre qu’une quinzaine de pour-cent depuis le début de l’année, contre plus de 50% pour les actions.

Mais cette belle résistance n’a semble-t-il pas empêché des retraits massifs que déplorait Ivan Pictet, de la part de clients à la recherche de liquidités à tout prix. Selon une étude de Morgan Stanley dont ce journal s’est fait l’écho mardi dernier, la fortune globale des hedge funds devrait passer de 1900 milliards en début 2008 à 1400 milliards de dollars en fin d’année, soit une contraction de 30%! Si les demandes de remboursements se poursuivent au même rythme, ou pire s’accélèrent, les fonds seraient sans doute obligés de liquider leurs positions à grande échelle. Ce phénomène pourrait être amplifié par leur endettement éventuel, les forçant à vendre d’autant plus pour rembourser leurs prêteurs. Cette pression entraînerait une spirale à la baisse sur les marchés, avec des actifs de plus en plus dépréciés, laissant augurer une forte augmentation de fermetures de fonds.

Celui qui détient des parts de fonds de hedge funds peut évidemment s’inquiéter face à un tel scénario. Car le dégonflement des fonds, qui pourrait déstructurer leurs portefeuilles, est susceptible de se faire au détriment de la performance du fonds et pénaliser ainsi les détenteurs de parts restants. Ce danger est toutefois réduit par le long délai existant entre la demande et le remboursement effectif, qui doit donner le temps au gestionnaire de dénouer ses positions de manière ordonnée, au contraire de ce qui se passe pour des fonds conventionnels.

Faut-il faire le gros dos en attendant que l’horizon s’éclaircisse en espérant un rebond comme ce fut le cas lors des précédentes crises, ou mettre à l’abri le reste de son capital qui a été relativement épargné jusqu’ici? Tout dépend de sa propension au risque et au scénario que l’on retient: crise majeure de la gestion alternative ou plutôt «soft landing», purgeant le marché de ses acteurs les moins efficaces.

L’une des clés de la réponse se trouve dans le niveau d’endettement des hedge funds. Qu’en est-il exactement? C’est très difficile à dire en raison de l’opacité de cette industrie. De nombreux observateurs estiment qu’il n’est en réalité pas si élevé qu’on l’imagine et correspondrait à une image du passé, comme le dit Eric Syz, managing partner de la banque Syz et spécialiste de la gestion alternative: «En fait, les banques créancières ont depuis longtemps imposé aux hedge funds des critères de crédits extrêmement sévères. Elles ont donc été beaucoup plus prudentes envers les hedge funds qu’avec elles-mêmes.» Certaines stratégies n’utilisent d’ailleurs pratiquement aucun levier.

Par ailleurs, comme le relève Jean Keller, CEO de 3A, qui fait partie du groupe Syz & Co, il est important de noter que «le taux de disparition des hedge funds est toujours élevé, entre 10 et 20% chaque année». Ainsi, les mauvais gestionnaires sont très vite sanctionnés. Le mouvement de repli n’est donc guère étonnant si l’on songe à l’engouement dont ce secteur a fait l’objet. La consolidation paraissait inéluctable.

Si l’environnement général et notamment boursier continuait de se dégrader, on peut cependant douter que de tels arguments suffisent à rasséréner les détenteurs de parts de fonds de hedge funds. Pour contrecarrer de nouvelles marées de demandes de remboursement, «il est toujours possible, indique Jean Keller, de poser des «gates», c’est-à-dire des limites temporaires aux retraits, pouvant aller jusqu’à un délai de plus de 6 mois». Mais on peut imaginer que ces mesures ne seraient prises qu’en dernier ressort, pour éviter de détruire la confiance des investisseurs.