Les candidats à l’accession à la propriété font aujourd’hui face à une situation paradoxale: le coût du financement reste historiquement très bas, mais les prix des biens immobiliers se sont envolés sous l’effet du déséquilibre entre l’offre rachitique et la demande exacerbée par la crise du logement. Au point que nombre d’aspirants à la propriété doivent renoncer par manque de fonds propres.

Le poids des taux d’intérêt

Ce paradoxe n’est qu’apparent si l’on en croit Lorenzo Pedrazzini, associé de Colliers AMI (Suisse), spécialiste du marché immobilier et coauteur notamment d’une étude sur les prix immobiliers en Suisse. Il met en évidence le poids des taux d’intérêt: «Le carburant de l’investissement immobilier, c’est le prix de l’argent: 90% de la variation des prix sur le marché lui est due. Au point, explique-t-il, que si les taux remontaient, la baisse pourrait aller jusqu’à 15% ou 20% des prix.»

Pour étayer cette estimation, Lorenzo Pedrazzini se base sur «l’évolution des fonds de placement immobiliers cotés, dont les cours suivent les taux d’intérêt avec une corrélation négative de 92%! Ainsi, une augmentation d’un point de pourcentage de taux d’intérêt provoque 15% de baisse.» Le spécialiste dit cependant ne pas pouvoir préciser l’étalement de ce mouvement, tout en soulignant qu’il ne voit aucun krach à l’horizon, mais plutôt «un soufflé». Cependant, reconnaît-il humblement «personne n’est capable d’en prévoir l’ampleur».

Charges financières élevées

Dans cet environnement, est-il urgent d’attendre en espérant voir les prix reculer? Les autres experts ne partagent pas, et de loin, la vision de Lorenzo Pedrazzini, même si les taux se mettaient à remonter. Ils ne s’attendent au mieux qu’à un ralentissement de la hausse, voire à une stagnation des prix.

Si l’on accepte l’idée que les taux vont monter pour des prix du marché plus ou moins inchangés, il faut clairement se précipiter pour acheter si on en a le projet et les moyens. En revanche, si l’on attend une augmentation des taux accompagnée de la baisse des prix, la décision est moins évidente. Car lequel des deux facteurs l’emportera sur le long terme: le coût des intérêts supplémentaires ou l’économie sur l’acquisition? On ne peut évidemment pas quantifier ces différents éléments.

En revanche, cette seconde hypothèse – hausse des taux et baisse des biens immobiliers – suscite une autre interrogation quant aux conséquences pour les acheteurs actuels. Car un tel scénario impliquerait l’alourdissement de leurs charges financières, tandis que la valeur de leur gage se réduirait, avec l’éventualité que le créancier réclame un complément de fonds propres pour couvrir son risque.

Heureusement, on peut facilement se protéger contre ces deux types de risques. Tout d’abord, et très classiquement, en profitant des taux bas pour les verrouiller sur le long terme. Cette politique a en outre l’avantage de fixer les conditions de l’emprunt et de ses garanties sur une longue durée.

Il est donc très peu probable que le contrat soit dénoncé par anticipation en raison de la diminution éventuelle de la valeur du gage, si l’on en croit par exemple la BCV, UBS ou Credit Suisse. Alors qu’avec un emprunt à court terme les conditions en seraient renégociées à une échéance beaucoup plus proche, pour un bien encore très peu amorti.

Dans la perspective du relèvement inéluctable des taux d’intérêt, il est également logique de procéder à un amortissement relativement rapide du 2e rang. De cette manière, on fait d’une pierre deux coups: on réduit le risque de taux lié au renouvellement de l’hypothèque tout en diminuant celui qui est lié à la dépréciation du gage.

Assez de fonds propres pour faire l’appoint

On peut ajouter que le risque lié à la valeur du gage va dépendre de la politique de l’établissement financier. Si, comme la rumeur le prétend, certains prêteurs n’hésitent pas à accorder jusqu’à 100% de la valeur de la transaction, d’autres jouent la carte de la prudence. Comme l’affirme Nicolas de Saussure, porte-parole de la Banque Cantonale de Genève, «la valeur de gage retenue est sensiblement inférieure à la valeur du marché. On peut estimer le différentiel entre 10% et 20% suivant les objets et les quartiers.»

Dans ce cadre, il faudrait vraiment que le marché recule très fortement pour que le débiteur commence à s’inquiéter pour les conditions de renouvellement de son hypothèque. Mais cette sécurité a un prix, puisque cela signifie également qu’il faut être capable de fournir les fonds propres nécessaires pour faire l’appoint…