Depuis quelques années, il est possible de passer en revue l’ensemble des fonds de placement autorisés à la vente en Suisse selon de multiples critères, sur Swiss Fund Data, Morningstar et Lipper. Le tout s’effectue selon des méthodes spécifiques à chaque fournisseur d’informations. Enquête

Tout et tout de suite! Si l’information économique et financière a toujours occupé une place importante dans l’espace public, Internet a rendu son accès extrêmement aisé. Car il ne s’agit plus de subir les choix éditoriaux de tel ou tel support médiatique, mais de procéder soi-même à des recherches selon ses propres critères. Les investisseurs en fonds de placement bénéficient depuis plusieurs années de tels outils, librement accessibles, leur permettant, à l’instar des professionnels, de faire ressortir les fonds correspondant à leurs exigences.

Leur facilité d’utilisation n’est malheureusement pas sans contrepartie: pour les novices en finance, les résultats obtenus induiront souvent des prises de décision allant à l’encontre du bon sens, notamment pour ceux qui vont se focaliser sur les performances à court terme. Mais avant d’en détailler les effets pervers, on peut passer rapidement en revue les sites gratuits les plus efficaces, pour un investisseur individuel. Ils sont en fait peu nombreux: pour les produits autorisés à la vente en Suisse, il s’agit de Swiss Fund Data et Morningstar et, dans une moindre mesure, de Lipper.

Swiss Fund Data

L’investisseur domicilié en Suisse pourra ainsi utiliser le site de Swiss Fund Data (www.swissfunddata.ch), qui est une société commune à la Sfama (Swiss Funds and Asset Management Association) et Six Swiss Exchange. Ce site très convivial, disponible en français (ainsi qu’en allemand, italien et anglais), permet de passer au crible l’ensemble des produits autorisés à la vente en Suisse, pour faire ressortir les fonds les mieux classés par catégorie de fonds, selon des critères comme la performance (avec les graphiques historiques correspondants), la volatilité, les frais, etc.

L’un des atouts de ce site est que chaque fonds est assorti de liens sur les documents de base à télécharger, à savoir le prospectus – mais qui est presque illisible pour l’investisseur moyen et de nature essentiellement juridique – et le KIID (Key Investor Information Document) qui est un résumé standard et légal du contenu et de la politique de placement suivie par le fonds. Mais ces informations sont notoirement insuffisantes pour appréhender la nature de ce type de véhicule d’investissement. Un lien pointe heureusement sur un autre document synthétique: le factsheet, qui résume les caractéristiques du fonds, en fournissant un certain nombre d’indicateurs techniques de base.

Comme autre opérateur suisse, on pourrait également citer Fundlab, qui a été pionnier dans la promotion de l’architecture ouverte et qui existe depuis 1999. Toutefois, malgré de très intéressantes fonctionnalités, sa capacité à classer les fonds de manière quantitative est limitée au critère de la performance.

Morningstar

Le géant américain Morningstar est également présent sur le marché des produits autorisés à la vente en Suisse. Pour y accéder, il faut passer par le site qui lui est dédié, soit www.morningstar.ch. C’est sans doute le produit dont les fonctionnalités sont les plus nombreuses en termes de classements, de sélection de fonds, d’informations sur chaque produit individuel, de l’évolution graphique de la valeur nette d’inventaire (VNI) avec son indice de référence, sur la composition de son portefeuille, etc., ainsi que d’un grand nombre d’études sur les marchés et les produits financiers.

Malheureusement, pour les investisseurs suisses romands, ce site peut s’avérer quelque peu rédhibitoire puisqu’il n’est disponible qu’en allemand, même si les descriptions des fonds apparaissent souvent en anglais. On peut cependant obtenir la traduction de tous les termes utilisés en recourant à la base de données consacrée au marché français de ce même fournisseur d’informations en allant sur le site www.morningstar.fr. On y trouvera par ailleurs de nombreuses études dans la langue de Molière.

L’intérêt pour cette base de données est d’autant plus grand qu’elle se démarque de ses concurrents par deux systèmes d’évaluation originaux: d’une part, les étoiles attribuées à chaque fonds, correspondant à sa performance passée, corrigée du risque, selon la catégorie à laquelle il appartient; d’autre part, l’évaluation de la qualité d’un certain nombre de fonds, sur une base fondamentale, donnant lieu à des notations positives (Gold, Silver et Bronze), neutres ou négatives.

Les étoiles

Le système des étoiles de Morningstar existe depuis une trentaine d’années et repose sur une analyse quantitative de la performance ajustée au risque, mesurée par la volatilité, par catégorie de fonds, par exemple les actions de grandes capitalisations européennes de croissance. Concrètement, les fonds sont notés sur une échelle de une à cinq étoiles, la note la plus élevée correspondant aux fonds les plus performants corrigés du risque.

Le classement est découpé selon une courbe en forme de cloche: 10% des fonds sont notés 5 étoiles; 22,5%, 4 étoiles; 35%, 3 étoiles; 22,5%, 2 étoiles; 10%, une étoile. Pour qu’un fonds obtienne une ou plusieurs étoiles, il doit avoir au moins trois ans d’existence, car en dessous les performances sont jugées non significatives.

Ce système de notation a connu une forte notoriété et a influencé de nombreux investisseurs individuels. Malheureusement, une grande partie d’entre eux se serait appuyée uniquement sur cet indicateur pour acquérir des parts de fonds, avec des effets tout à fait néfastes. Car, comme l’a montré Matthew Morey, dans une étude publiée en 2004 sous le titre cruel de «Kiss of Death»1, les fonds qui avaient obtenu leur précieux
5 étoiles avaient enregistré dans les trois années suivantes la chute de leur performance et l’augmentation de leur volatilité. Le chercheur ne s’en étonnait pas puisque cela corroborait toutes les études précédentes qui montraient qu’il n’y avait pas de persistance dans les résultats.

Face à cette critique, Thomas Lancereau, responsable de la recherche pour la France, le Moyen-Orient et l’Afrique de Morningstar, se montre serein: «Les étoiles, il faut toujours les combiner avec d’autres indicateurs: par exemple, si vous choisissez des fonds 5 étoiles dont les frais sont inférieurs à la moyenne, vous augmenterez considérablement vos chances de succès.»

Les notes d’analystes

Contrairement aux étoiles, qui reposent sur une pure analyse quantitative, le système des notes d’analystes constitue une vraie démarche qualitative. L’objectif affiché par Morningstar est d’identifier les fonds capables de surperformer leur indice de référence et leurs pairs sur le long terme, sur une base ajustée du risque. «Cette analyse repose sur cinq piliers, détaille Thomas Lancereau, qui sont considérés comme cruciaux pour prédire le succès futur du fonds: l’équipe de gestion, à commencer par le gérant, mais pas seulement; le processus d’investissement; la société de gestion; la performance ajustée des risques; les frais.»

L’analyse de chaque fonds est suivie par la publication d’un rapport de quelques pages qui n’est cependant pas accessible librement, mais est réservé aux clients, c’est-à-dire contre rémunération. En revanche, Morningstar en synthétise le résultat par l’attribution d’une note, selon une échelle allant de Gold – la meilleure – à Silver, puis Bronze pour les opinions positives. Lorsqu’il n’y a pas de conviction, c’est la note Neutral qui est appliquée. Enfin, si l’opinion est négative, la note est dite Negative.

Pour être plus concret, un fonds qui obtient la note Gold doit bénéficier des atouts suivants, selon la méthodologie décrite par Morningstar: «Un gérant ou une équipe de gestion aguerri(e), talentueux(se) et à succès; un processus solide et sérieux qui a été exécuté avec habileté et consistance; un portefeuille qui est en harmonie avec le processus fixé et qui est capable de délivrer une récompense qui compense les investisseurs pour les risques qu’ils ont pris; des frais raisonnables; une organisation solide de la société détenant le fonds qui se concentre sur la gestion des actifs des investisseurs. »

Lipper

L’autre grand groupe international en matière d’informations financières sur les fonds de placement, c’est Lipper. Par rapport à Morningstar, son offre en libre accès est très modeste, puisqu’il ne propose que des aperçus de ses recherches sur son site www.lipperweb.com, et exclusivement en anglais.

On peut cependant effectuer des sélections de fonds particuliers sur le site www.lipperleaders.com, qui permet d’accéder, notamment, au marché des fonds de placement autorisés à la vente en Suisse. Toutefois, plusieurs différences fondamentales distinguent l’offre de Lipper de celle de son grand concurrent. Tout d’abord, sa recherche est purement quantitative, jamais qualitative. Par ailleurs, les données chiffrées mises à la disposition du grand public sont très limitées, portant uniquement la performance sur différentes périodes.

En revanche, Lipper propose un système de notation plus fin que celui des étoiles de Morningstar, explique Otto Christian Kober, responsable de la méthodologie: «Lipper prend en compte le risque lié à la catégorie à laquelle appartient le fonds pour lui attribuer ses notes. Cette méthode repose ainsi sur cinq critères clés, soit Performance absolue, Préservation du capital, Performance régulière, Frais réels et Optimisation fiscale. Ce dernier facteur n’a cependant pas de sens hors des Etats-Unis. En fait, les deux critères les plus importants sont Performance régulière et Frais réels. Chacun de ces facteurs est noté sur une échelle de 1 à 5, la note la plus élevée étant la meilleure.»

Si l’on détaille quelque peu chacun des quatre critères valables pour la Suisse, en commençant par Performance absolue, celui-ci permet d’identifier les fonds ayant généré une performance globale supérieure à celle de leurs pairs de la même catégorie (revenus des dividendes et intérêts et appréciation du capital). De même, Performance régulière permet de sélectionner les fonds ayant fourni une performance corrigée du risque régulière et supérieure à celle de leurs pairs de la même catégorie. Tandis que Préservation du capital donne la possibilité de trouver les fonds ayant fait preuve d’une capacité supérieure à préserver le capital, et ce, dans différents contextes de marché, par rapport à d’autres fonds de la même classe d’actifs. Enfin, Frais réels permet d’identifier les fonds qui ont réussi à maintenir leurs frais à un niveau inférieur à celui de leurs pairs ayant des structures de frais similaires.

L’investisseur qui utiliserait cet outil de sélection pourrait donc combiner plusieurs critères, voire tous, selon ses préférences. Par exemple, celui qui privilégie la régularité des performances pourrait fixer un objectif de 5 pour le critère correspondant. S’il est attentif aux frais mais qu’il ne veut pas trop restreindre son choix, il pourrait abaisser la barre jusqu’au chiffre 4 pour le critère Frais réels.

Ces instruments de sélection ne permettront évidemment pas de produire un portefeuille optimal et parfaitement adapté à son profil de risque en trois ou quatre clics de souris, comme le reconnaît volontiers notre interlocuteur: «On s’attend à ce que l’investisseur ait déjà des idées et qu’il sache ce qu’il veut ou qu’il soit conseillé par sa banque. L’avantage de notre système est qu’il permet d’écarter des produits ne correspondant pas à son profil, en raison de son aversion au risque ou de son âge par exemple.»  En d’autres termes, l’allocation d’actifs du portefeuille doit être déjà établie avant d’entreprendre cette étape du processus.

Par ailleurs, il faut souligner que ces critères restent fondamentalement basés sur les résultats historiques, ce qu’assume Otto Christian Kober: «Nous pensons qu’un fonds qui a toujours bien performé dans le passé est susceptible de continuer sur cette lancée dans l’avenir proche.»

1. Kiss of Death: A 5-Star Morningstar Mutual Fund Rating, par Matthew R. Morey, Pace University – Lubin School of Business – Department of Finance and Economics, septembre 2003