Naguère réservées aux spécialistes, les principales données statistiques sont aujourd’hui librement disponibles sur les sites des promoteurs. Toute la question est de savoir les interpréter et, le cas échéant, de les recalculer lorsqu’ils sont biaisés, par exemple lorsque l’indice de référence – le benchmark pour reprendre l’expression anglo-saxonne – a été choisi pour faire ressortir au mieux la performance relative du fonds. La difficulté de l’exercice vient de la détermination des benchmarks appropriés.

Pour tenter de résoudre ce problème récurrent, l’Edhec a développé, en collaboration avec Europerformance, une méthodologie pour calculer un benchmark, dit benchmark reconstitué, pour chaque fonds, selon son style de gestion. De cette manière, l’Edhec parvient à calculer directement la valeur additionnelle de performance produite par le gérant par rapport à son benchmark, en d’autres termes, son alpha. Jugée très intéressante, cette approche est cependant critiquée pour la méthodologie utilisée, comme nous l’ont indiqué différents professionnels interrogés. Par ailleurs, ces données ne sont pas librement disponibles.

Vérification par le bêta et le R2

On peut toutefois dégager l’alpha de chaque fonds par le recours au benchmark le plus proche possible de son portefeuille, comme l’explique Akimou Ossé, ingénieur financier auprès de la banque Syz & Co: «Pour trouver le bon benchmark, je vais me baser sur la stratégie suivie par le fonds. S’il ne traite que d’actions suisses, je commencerai avec le SMI; en revanche, s’il s’agit d’actions globales, je vais prendre le MSCI World. A partir de là, il faut vérifier que l’on a bien affaire au bon indice de référence. Aussi je calcule le bêta, qui va mesurer l’amplitude de la sensibilité des performances d’un fonds par rapport à son indice de référence. Lorsque le fonds varie proportionnellement de la même manière que son benchmark, on dit que le bêta est de 1. Mais, précise Akimou Ossé, il y a clairement un problème lorsque le bêta s’établit par exemple à 0,5 ou encore à 2.»

Il est important de souligner qu’un bêta de 1 est insuffisant pour savoir si l’on a trouvé le bon benchmark. En effet, poursuit l’ingénieur financier, «il faut encore déterminer la qualité du lien entre le fonds et son benchmark. C’est la raison pour laquelle il faut calculer le R2, qui est le coefficient de corrélation au carré.» Cette valeur mesure à quel point le rendement d’un fonds peut s’expliquer par les mouvements de son indice de référence, c’est pourquoi on l’appelle «le pouvoir explicatif de l’indice de référence sur le fonds», comme l’indique Cyrille Urfer, responsable de la sélection des fonds de placement auprès de Lombard Odier Darier Hentsch (LODH). «Ainsi, un très grand R2, c’est-à-dire qui s’inscrit dans une fourchette comprise entre 80 et 95%, permettra de conclure à la validité du bêta trouvé poursuit Akimou Ossé. En revanche, un R2 très faible ne peut rien expliquer et il faut alors changer de benchmark. On peut ajouter que le R2 donne l’importance du risque spécifique. Plus cet indicateur est petit, plus le risque spécifique est fort et donc moins le calcul du bêta est important.»

Tracking error et ratio d’information

Une fois que l’on a réussi à déterminer le benchmark correspondant au fonds analysé, on peut passer à d’autres indicateurs statistiques, dont l’un des plus populaires est le ratio d’information. Comme l’indique Jérôme Haag, responsable des opérations de la société Alatus Capital, «le ratio d’information est obtenu en calculant l’écart de performance entre le fonds et son indice de référence, écart qu’on divise par le tracking error». Le tracking error, comme l’explique Cyrille Urfer, «mesure la divergence de comportement de la performance entre le fonds et son indice de référence. Formellement, il s’agit de la volatilité de l’écart de performance entre le fonds et son indice de référence. Quand on dit qu’un tracking error est élevé, poursuit Cyrille Urfer, on sous-entend que le gérant est actif par rapport à l’indice de référence.»

Le ratio d’information est d’autant plus intéressant qu’il fournit une indication de «la surperformance (éventuelle) du fonds par rapport à son benchmark pour un risque constant», ajoute Jérôme Haag. Plus le ratio d’information est élevé, plus grande est la valeur ajoutée du fonds. Un ratio d’information supérieur à 0,5 est généralement considéré comme un bon signal par les professionnels. En fait, comme Akimou Ossé le met en évidence, le ratio d’information est la généralisation du fameux ratio de Sharpe. En effet, «si l’on prend le rendement du cash (taux sans risque) comme benchmark, on retombe bien sur la formule classique du ratio de Sharpe: performance du fonds dépassant le taux sans risque par rapport à la volatilité de ce même fonds.»

Ratio d’information et ratio de Sharpe

En ce sens, «le ratio d’information est nettement plus pertinent que le ratio de Sharpe lorsqu’on compare la performance du fonds en actions, par exemple, à celle de son benchmark, explique encore Akimou Ossé, car le niveau de risque est comparable, contrairement à celui du cash.» On peut évidemment se poser la question de l’intérêt du ratio de Sharpe. Sans doute, comme le pense notre interlocuteur, «que cela vient du fait que c’est un indicateur utilisé depuis longtemps, conséquence des théories de William Sharpe dont le plus connu est le CAPM. Mais on peut très bien s’en passer», ajoute notre interlocuteur.

Bien que supérieur au ratio de Sharpe, le ratio d’information souffre de la même faiblesse que celui-ci, à savoir qu’il dépend d’une hypothèse très forte: la distribution des écarts de rentabilité du fonds doit suivre une loi normale, soit une belle courbe de Gauss, parfaitement symétrique. Si dans le monde des fonds traditionnels, c’est généralement le cas, il en va tout autrement avec les hedge funds. Ces derniers sont en effet caractérisés par des rentabilités distribuées de manière asymétrique et sont parfois le théâtre d’événements extrêmes. Le hedge fund de Bear Stearns, l’une des premières victimes de la crise des subprime, «qui n’avait jamais enregistré de mois négatifs, comme le rappelle Akimou Ossé, a ainsi perdu 80% de sa valeur d’un coup».

Perspective temporelle

Par ailleurs, poursuit l’ingénieur financier, «ces mesures n’ont de sens que dans une perspective temporelle. Tout d’abord, nous examinons l’évolution de la performance du fonds par rapport au benchmark pour comprendre ce qui s’est passé. Nous regardons ensuite la progression du bêta, qui nous indique le comportement du gérant selon les mouvements du marché. Par exemple, si le bêta s’accroît lorsque le marché monte et qu’il recule lorsque le marché baisse, cela indique sans doute que le gérant a d’abord augmenté sa position en actions, avant de la réduire pour aller dans du cash. En d’autres termes, il fait du market timing, et il le fait bien. A noter encore, précise Akimou Ossé, qu’ il est souvent utile de scinder le bêta en deux composantes, à savoir le bêta à la hausse – le bull bêta – et le bêta à la baisse – le bear bêta -, car l’on sait que les fonds se comportent différemment selon que le marché monte ou qu’il descende.»

A interpréter selon le profil de l’investisseur

Comme le souligne Cyrille Urfer, «ces mesures statistiques ne constituent pas une fin en soi, mais sont à interpréter en fonction des objectifs de chaque client. Ainsi, pour un client privé, qui va en général plutôt avoir à l’esprit la préservation de son capital, le tracking error ne sera certainement pas le premier indicateur à regarder. En revanche, le tracking error est très important pour un investisseur institutionnel.» S’il est élevé, cela signifie que la performance du fonds est susceptible de connaître des sauts et des comportements très différents de l’indice de référence.

Ainsi, on considérera d’autres mesures, comme le comportement du fonds en marché haussier ou baissier, la volatilité, la perte maximale, la Value at Risk, etc.

Cas pratiques

Pour illustrer son usage des statistiques pour analyser les fonds, Cyrille Urfer prend l’exemple d’un fonds de placement sur la Chine, relativement agressif: «Ce produit a généré une performance annuelle de 40% par rapport à l’indice de référence, pour une volatilité plus élevée, soit 26, contre 21 pour le benchmark, donnant ainsi un ratio de Sharpe plus ou moins identique. Le tracking error de 15 est très important, ce qui veut dire que les variations des résultats mensuels seront substantiellement différents de ceux de l’indice de référence. Le bêta est inférieur à 1, à 0,96, mais le R2 est très petit, à 0,63. Ainsi le pouvoir explicatif de l’indice de référence pour les rentabilités du fonds s’avère très faible.»

«Si vous n’utilisez qu’une ou deux mesures, poursuit Cyrille Urfer, vous pourrez imaginer qu’avec un bêta inférieur à 1, il s’agit d’un produit défensif. Mais ce n’est pas le cas parce que la volatilité à la baisse est plus élevée: la perte maximale est de 26 pour le fonds contre 20 pour l’indice de référence. On voit donc qu’il s’agit d’un produit qui tend à baisser plus rapidement que l’indice dans des phases spécifiques de marché difficiles.» Le produit reste malgré tout intéressant, estime notre interlocuteur, si l’on entre la rentabilité annuelle totale dans l’équation, «qui a généré 5% annuels de plus que l’indice sur les cinq dernières années».

Conservation du capital

Toujours sur la Chine, le sélectionneur de fonds de LODH prend un second exemple, mais très différent: «Il s’agit cette fois d’un fonds dont l’élément-clé du processus est la conservation du capital, donc intéressant pour un investisseur privé, explique notre interlocuteur. Son tracking error de 11 montre qu’il se comporte de manière substantiellement différente de son indice de référence. Le produit est donc géré activement. Ce qui ne veut pas dire qu’il est plus risqué que son indice de référence. D’ailleurs, ce fonds affiche une volatilité de 15 contre 17 pour son benchmark. Si je regarde la perte maximale, je constate qu’elle s’élève à -13, alors qu’elle est de -20 pour l’indice de référence. J’ai donc affaire à un produit qui semble démontrer un comportement proche de ce qui est énoncé, qui est de protéger l’investisseur lors de marchés baissiers.»

«Ce fonds est très intéressant, poursuit Cyrille Urfer, car bien qu’il soit très défensif en marché baissier, il ne démérite pas en phase de marché haussier, puisqu’il a enregistré 72% de mois positifs contre 63% pour l’indice de référence, avec un bêta de 0,66, d’où un risque systématique inférieur.»