La gestion active, qui vise à battre le marché, et la gestion passive, qui repose sur l’utilisation de produits reproduisant l’évolution des indices, ont donné lieu à une véritable guerre idéologique. Le débat s’est aujourd’hui apaisé et les produits indiciels sont de plus en plus utilisés dans la gestion traditionnelle

Les tenants de la gestion passive semblent avoir triomphé en 2014. En effet, comme le montrent les statistiques de Fitch Ratings tombées au début décembre de l’année dernière, pas moins de 80% des fonds dégageaient une performance inférieure à leur indice de référence, contre «seulement» 58% l’année précédente. En moyenne, la sous-performance est de 2,7 points de pourcentage par rapport à l’indice, après frais, contre 0,6 en 2013. Fitch constate également que les investisseurs ont eu tendance à investir davantage dans les Exchange Traded Funds (ETF), qui sont des fonds de placement indiciels cotés en bourse. Fitch estimait ainsi que les fonds de placement en actions européennes sont menacés par les ETF, en raison de leurs commissions plus élevées et de leur sous-performance en 2014.

La gestion passive a-t-elle gagné la partie? Pas tout à fait, puisque l’agence de notation prévoyait que des fonds actifs pourraient regagner de la vigueur si les incertitudes macroéconomiques persistaient. Mais également si les marchés restaient soumis à des rotations sectorielles, avec des chutes fréquentes suivies de rebonds rapides comme cela s’est produit en 2014. D’autant plus, estiment les analystes de Fitch Ratings, que les meilleurs fonds sont ceux qui ont réussi à s’adapter le plus vite à ces changements d’environnement.

Eliminer les mauvais fonds

Pour résumer l’analyse de Fitch, certains fonds actifs pourraient faire mieux que le marché. Toute la question est de pouvoir identifier ceux qui y parviendront et ce, d’une manière pérenne. Or c’est là un exercice difficile, voire impossible aux yeux de certains, en particulier dans les milieux académiques, en raison notamment des frais prélevés au titre de la gestion. «Toutefois, explique Laurent Auchlin, responsable de l’architecture ouverte auprès de la banque Lombard Odier, cet argument n’est valable que si l’on prend l’univers global des fonds, mais si vous parvenez à éliminer les mauvais fonds, vous tronquez la distribution.»

Cette affirmation a de quoi surprendre, dans un monde aussi compétitif, puisque les fonds aux performances médiocres devraient rapidement disparaître, selon le principe du biais du survivant. Ce n’est pourtant pas le cas, affirme notre interlocuteur, si l’on considère la structure du marché et la palette de produits offerts par les grandes banques de détail ou de distribution: «Dans certains cas, le choix peut se limiter à des fonds internes qui bénéficient du réseau de distribution de la banque. Ce type de fonds risque donc de subsister malgré de piètres performances.»

«L’une des difficultés de ce filtrage, explique encore Laurent Auchlin, c’est de distinguer les fonds de mauvaise qualité de ceux qui sont bien gérés mais qui traversent une période difficile. Car nous sommes de grands adeptes du principe du retour à la moyenne, pour autant que nous ayons réussi à identifier ce qui apporte de la performance.»

Que l’on soit convaincu ou non par la capacité de sélectionneurs de fonds à dégager in fine une performance supérieure à la moyenne, il apparaît tout aussi clairement que l’investisseur individuel n’a guère de chance d’y arriver, même s’il limite le nombre de ses transactions. La solution alternative pourrait consister en une approche purement indicielle, en composant son portefeuille uniquement d’ETF ou de fonds indiciels traditionnels, pour payer les frais les plus bas, en acceptant de prendre le risque lié à l’évolution du marché sur lequel repose l’indice.

Les limitations de la gestion indicielle

Mais la stratégie purement indicielle ne résout pas le problème fondamental: sur quoi investir? Comment composer son portefeuille? Il existe une solution simple, préconisée par John Bogle*, le fondateur de Vanguard, pionnier des fonds de placement indiciels, qui consiste à investir dans les fonds les plus diversifiés, comme sur l’indice S&P 500, et surtout de conserver ses parts sur le long terme. Les investisseurs qui ont suivi ce conseil depuis le lancement du premier fonds de Vanguard ont sans doute de quoi être d’accord avec cette recommandation: le fonds sur l’indice S&P 500 aurait dégagé une performance annuelle de 10% de juin 1984 à juin 2009, contre une moyenne de 8,7% pour l’ensemble des autres fonds. Les investisseurs peuvent être d’autant plus confortés qu’ils ont la bénédiction de Warren Buffett, l’investisseur légendaire, qui conseille, dans sa dernière lettre aux actionnaires de Berkshire de suivre l’instruction qu’il a donnée dans son testament pour les liquidités destinées à son épouse: placer 10% de ce montant sur des bons du Trésor américains à court terme et le solde sur un fonds indiciel sur le S&P 500. Quant aux actions Berkshire, elles seront intégralement distribuées à certaines organisations philanthropiques.

On peut évidemment s’interroger sur la pertinence d’une telle recommandation lorsqu’un marché connaît une bulle spéculative comme cela a été le cas du Japon, avant de s’effondrer en 1990, en restant encore loin du sommet vingt-cinq ans plus tard. Et le marché américain lui-même n’est pas à l’abri de tels événements si l’on songe aux conséquences du krach de 1929. Par ailleurs, pour des investisseurs qui ne raisonnent pas en dollars, on n’échappe pas au risque de change. Sans compter qu’il faut avoir des nerfs d’acier pour conserver des parts de tels fonds si le mouvement baissier s’étend sur plusieurs années. Ce qui n’est pas rare, même si les cycles boursiers tendent à se raccourcir.

Si l’on renonce à un choix aussi simple que celui recommandé par Warren Buffett, les choses se ­compliquent rapidement, même si l’on est tout à fait au clair quant à sa stratégie et aux classes d’actifs sur lesquelles on veut investir par le biais d’une gestion indicielle. En effet, explique Michael John Lytle, responsable du développement de la société Source: «Si l’on utilise un indice de référence pondéré par la capitalisation boursière, c’est efficace, car les deux tiers du temps, suivre la tendance s’avère une très bonne manière d’investir. En revanche, pour les obligations, l’efficacité est beaucoup plus faible, parce que la pondération des titres est proportionnelle à leur niveau d’endettement. Ce n’est donc généralement pas la bonne stratégie à suivre. C’est pourquoi nous recourons à des stratégies smart bêta ou actives.»

Par stratégie smart bêta, on entend une stratégie qui n’est plus basée sur la capitalisation boursière, mais sur d’autres variables. «Par exemple, poursuit notre interlocuteur, pour les marchés émergents, on crée un indice pondéré par le PIB de chaque pays parce que cet indicateur constitue la capacité du pays à honorer ses dettes. En procédant de cette manière, vous aurez une exposition beaucoup plus équilibrée aux différents pays émergents, plutôt qu’à ceux qui émettent massivement de la dette en utilisant un indice de marché basé sur la capitalisation boursière.»

Un autre problème pour la gestion obligataire indicielle est évoqué par Yves Bonzon, directeur des investissements de Pictet Wealth Management: «Il est parfois difficile de répliquer l’indice: c’est par exemple le cas sur le marché obligataire suisse où les nouvelles émissions sont souscrites dès leur sortie sur le marché primaire par les investisseurs institutionnels. Il n’y a donc pas de titres disponibles pour effectuer la réplication ou alors avec un coût très élevé.»

Combiner gestion active et passive

Les limitations de la gestion indicielle n’empêchent cependant pas la plupart des grands acteurs de la gestion de fortune en Suisse, qui restent attachés à la gestion active, telles UBS, la Banque Cantonale Vaudoise ou Pictet, d’y recourir dans une plus ou moins grande mesure. Les produits indiciels sont ainsi intégrés dans le processus de construction des portefeuilles et dans leur gestion. L’opposition frontale entre approche active et passive au sein de l’industrie de la gestion privée semble donc dépassée. C’est d’ailleurs le cas depuis longtemps dans la gestion institutionnelle, comme l’explique Graziano Lusenti, ­conseiller en investissements auprès de Lusenti Partners LLC: «De nombreuses caisses de pension appliquent une approche cœur/satellite, ou le cœur est géré en partie ou en totalité de manière indicielle, alors que les satellites et les sous-classes d’actifs spécifiques le sont de manière active ou alternative.»

Dans le secteur de la gestion de fortune, les professionnels emploient ainsi des ETF, des fonds de placement indiciels traditionnels ou encore des certificats sur indice. L’avantage, pour eux, c’est d’obtenir une exposition à des marchés peu accessibles ou de faciliter la gestion de la liquidité dans les portefeuilles très diversifiés. Il est en revanche difficile d’estimer la part de produits indiciels utilisés par les différents établissements, qui ne fournissent guère d’indications précises dans ce domaine, ni quelle part est dévolue aux différentes familles de produits, soit les fonds indiciels traditionnels, les ETF ou encore les certificats sur indices.

Cependant, on connaît les critères qu’ils utilisent pour se décider: il s’agit tout d’abord de la qualité de la réplication puisque c’est la raison même de ce choix: il est donc nécessaire d’évaluer l’écart entre l’évolution du produit et celle de son sous-jacent, autrement dit le tracking error, qui doit être réduite au minimum. Le produit doit donc également être transparent, permettant ainsi d’en apprécier les risques potentiels dans la mesure du possible. Les coûts constituent également un critère de base.

Mais avant de détailler ces critères, il serait sans doute important de rappeler ce qui distingue un fonds indiciel traditionnel d’un ETF, au-delà du traitement en bourse de ce dernier. Cette particularité, explique Michael John Lytle, «permet à l’investisseur d’entrer et de sortir plus facilement d’un ETF qu’en utilisant un fonds indiciel, tout en bénéficiant d’une liquidité quotidienne, comparée à celle d’un fonds de placement qui est trimestrielle voire annuelle.» Ce qui constitue évidemment un bon point en faveur des ETF. Toutefois, relève Rolf Banz, consultant auprès de Pictet Asset Management (PAM), «si la réplication du fonds indiciel traditionnel est intégrale, c’est-à-dire que le portefeuille reflète parfaitement la composition de l’indice sous-jacent, la transparence s’avère également totale.» Il en va évidemment différemment si le fonds repose sur une optimisation, c’est-à-dire s’il s’agit d’une sélection de titres représentatifs de l’indice.

Les fonds indiciels moins chers que les ETF ?

Outre la grande liquidité et transparence des ETF, l’un des avantages généralement mis en avant est la modestie de leurs coûts de gestion par rapport aux fonds indiciels. Affirmation qui a le don de susciter l’ire de certains professionnels interrogés, qui indiquent que les fonds indiciels traditionnels sont souvent grevés de frais de gestion nettement inférieurs aux ETF construits sur le même indice. Sans compter que les ETF, contrairement aux fonds traditionnels, qui sont traités à leur VNI (valeur nette d’inventaire), sont échangés sur la base d’un prix offert et d’un prix demandé. Il faut donc prendre en compte cet écart – le spread –, qui alourdira le coût de la transaction, en sus des frais de courtage C’est ainsi que le fonds indiciel devrait indiscutablement s’avérer plus avantageux que sa version ETF.

Aussi surprenant que cela paraisse, de telles affirmations sont justes, sauf que l’on compare des pommes avec des poires: les tarifs particulièrement avantageux des fonds indiciels traditionnels ne sont en effet pas destinés à tout le monde, mais seulement aux investisseurs institutionnels. En effet, comme le rappelle Michael John Lytle, les fonds traditionnels émettent des parts différentes selon que la clientèle est institutionnelle ou individuelle: «Les parts pour la clientèle individuelle sont ainsi grevées de frais nettement supérieurs à ceux de la clientèle institutionnelle. Ce qui s’explique par le fait qu’il est beaucoup plus coûteux de distribuer votre produit à une multitude de petits investisseurs, plutôt que de proposer votre stratégie à un ou deux grands investisseurs institutionnels. Alors que pour les ETF, cela n’a aucune importance pour leur promoteur que l’investisseur soit grand ou petit.»

Par ailleurs, poursuit l’expert, le fonds traditionnel est désavantagé par rapport à un ETF en subissant les effets «des opérations d’entrées et de sorties dans le fonds qui génèrent des coûts, puisqu’il faut constamment acheter ou vendre les valeurs sous-jacentes correspondant à ces mouvements. Ces frais vont être supportés par l’ensemble des investisseurs dans le fonds, y compris par les investisseurs à long terme. En revanche, le détenteur de parts d’un ETF n’aura à régler les coûts de transactions – courtage et spreads – que pour ses propres opérations.» C’est un argument que Rolf Banz relativise: «Si vous êtes un gros acteur et que vous vendez, il y a quelqu’un qui vous l’achète: le teneur de marché va céder ces ETF au gérant, qui va vendre du sous-jacent.».

L’importance de l’horizon temps

Mais le choix entre fonds indiciel traditionnel et ETF va évidemment dépendre de son horizon temps. S’il s’agit de paris tactiques, l’ETF permet de passer ses ordres au prix du marché, sans devoir attendre le cours du lendemain. En revanche, l’investisseur devra prêter une grande attention aux frais de courtage et aux spreads, surtout sur des marchés peu liquides, car l’écart entre prix offert et demandé va fortement s’élargir.

Si l’investisseur se décide pour un ETF, il faudra encore qu’il se détermine sur le type de réplication, soit physique – intégrale ou optimisée –, soit synthétique. Une réplication synthétique repose sur un swap, pour échanger le rendement de l’indice à répliquer contre celui d’un portefeuille – qui sert de collatéral – dans lequel la fortune de l’ETF est investie. La réplication est plus précise, mais ajoute un risque à celui du marché sous-jacent si la contrepartie ne parvient pas à honorer son engagement. Mais ce risque est limité à 10% selon la réglementation européenne UCITS. Les émetteurs vont souvent au-delà en constituant un collatéral pour un montant supérieur à la valeur du fonds de placement.

La réplication physique n’est toutefois pas exempte de risques, puisque tant les fonds indiciels que les ETF prêtent souvent leurs titres, autrement dit procèdent à du «securities lending», pour accroître leurs revenus. Ce qui entraîne un risque de contrepartie, qui peut être couvert par des demandes de garanties à l’emprunteur.

Les certificats sur indice

Les certificats sur indice, dits «certificats tracker» dans la nomenclature de l’Association suisse des produits structurés, constituent l’alternative en gestion passive aux fonds indiciels traditionnels et aux ETF. Mais ils restent marqués, en tant que produit structuré, par la faillite de Lehman Brothers en 2008, dont les produits à capital protégé avaient ruiné plus d’un investisseur. Car c’est le grand désavantage de ce type de véhicule de placement: ils sont exposés à 100% au risque de ­contrepartie, lié à la solvabilité de l’émetteur lui-même. Il s’agit donc d’un prêt accordé à ce dernier. Sa notation de crédit doit donc être la plus élevée possible. Mais, depuis 2009, il est possible de souscrire à des produits bénéficiant d’une garantie, baptisée COSI, abréviation de Collateral Secured Instrument.

Les certificats sur indices ont cependant pour avantage d’être très flexibles: ils peuvent être créés très rapidement sur des paniers très spécifiques simplifiant grandement la tâche des investisseurs, comme l’explique Yves Bonzon: «Si une stratégie nous paraît intéressante mais qu’elle implique par exemple 50 titres, on ne va pas acheter chacune de ces valeurs pour un client qui y investirait 300 000 francs. En lieu et place, on utilisera un panier de ces titres sous la forme d’un certificat d’actions.»

Les ETF actifs

L’idéal pour un investisseur serait de pouvoir bénéficier des avantages en matière de coût d’une gestion passive avec ceux d’une gestion active quand le gérant parvient à mettre les fonds de ses clients à l’abri lorsque les marchés entrent dans de longues phases baissières. On pourrait croire que de tels produits existent puisque sont récemment apparus des ETF actifs. Mais qu’est-ce donc vraiment? Car cette expression est un véritable oxymore, qui contient en une seule formule deux termes apparemment contradictoires puisqu’on définit généralement l’ETF comme un fonds passif.

En fait, l’ETF actif est d’une nature différente, puisqu’il s’agit d’un produit négociable en bourse, mais géré activement, comme l’explique Michael John Lytle, directeur du développement de Source, qui domine ce nouveau secteur en Europe avec une part de marché de 90%: «Ce type d’ETF ne pourra évidemment pas offrir une transparence aussi élevée qu’un ETF dans sa forme traditionnelle, mais avec un délai de quelques semaines, car cela l’exposerait aux comportements de prédateurs qui pourraient jouer contre lui, en détruisant sa performance, et profiteraient à ceux qui chercheraient à répliquer sa stratégie.» Les frais de gestion seront évidemment plus élevés que ceux d’un ETF classique, puisque géré activement.

* «Common Sense on Mutual Funds», John Bogle, éd. 2010, Wiley