Le choix d’une stratégie de placement de son avoir surobligatoire est réservé aux revenus élevés et dont la caisse de pensions propose cette possibilité, qui est plutôt rare. Mais la révision prochaine de la législation pourrait doper l’offre
Si le choix d’une stratégie de gestion pour gérer ses avoirs de prévoyance dans le 2e pilier surobligatoire est ouvert depuis 2006, rares en sont les bénéficiaires. Ce qui n’est guère surprenant lorsqu’on connaît les conditions très restrictives de son application. Comme le prescrit l’article 1.e de l’OPP2 (Ordonnance sur la prévoyance professionnelle), «seules les institutions de prévoyance qui assurent exclusivement la partie de salaire supérieure à une fois et demie le montant limite maximal fixé à l’art. 8 al. 1, LPP, peuvent proposer plusieurs stratégies de placement dans le cadre d’un même plan de prévoyance».
S’il est facile de comprendre que seuls les revenus supérieurs à 126 360 francs – le montant limite maximal dans la LPP étant fixé à 84 240 francs – peuvent bénéficier d’une telle solution, la limitation aux institutions de prévoyance qui n’assurent que cette partie supérieure du revenu demande un petit décryptage. En effet, il faut savoir que la plupart des caisses de pension proposent un contrat unique à l’ensemble de leur personnel, qui contient les prestations minimums LPP, donc jusqu’à 84 240 francs, et surobligatoires pour les montants supérieurs.
Ces institutions de prévoyance, qu’on appelle enveloppantes, ne peuvent donc pas offrir de gestion personnalisée à leurs assurés. Ce n’est possible que lorsque la prévoyance professionnelle est dite «splittée», c’est-à-dire que les prestations surobligatoires ne sont offertes qu’à une catégorie d’employés, les cadres en principe. Ces cadres sont ainsi assurés dans deux entités différentes, donnant lieu à deux contrats séparés: l’un pour les prestations obligatoires et l’autre pour les prestations surobligatoires. Un salarié à haut revenu ne pourra donc avoir accès à une prévoyance individualisée que si son employeur en a décidé ainsi, en proposant ces stratégies à choix aux assurés de son institution de prévoyance surobligatoire.
En revanche, un indépendant avec personnel pourra facilement y participer. Il pourra ainsi se faire assurer jusqu’à ces fameux 126 360 francs dans une caisse enveloppante, puis, au sein d’une fondation surobligatoire pour les montants supérieurs. L’affiliation à la fondation surobligatoire ne sera toutefois possible que si l’indépendant est accompagné d’au moins un de ses employés à revenu élevé, pour être assuré aux mêmes conditions, car il s’agit tout de même d’une assurance collective.
Si l’offre de prestations surobligatoires individualisées est restée très marginale, c’est également en raison d’une contrainte très forte liée à l’article 17 de la LFLP (loi sur le libre passage): «Lorsqu’il quitte l’institution de prévoyance, l’assuré a droit au moins aux prestations d’entrée qu’il a apportées, y compris les intérêts.» Comme le relèvent justement Jérôme Cosandey et Alois Bischofberger dans leur ouvrage consacré à la prévoyance1, cela crée une asymétrie: «S’ils choisissent eux-mêmes une stratégie de placement plus risquée, les assurés profitent de rendements supérieurs à la moyenne lorsque la bourse évolue à la hausse. En revanche, en cas de baisse de marchés, ils n’en subissent pas entièrement les conséquences lors de leur départ. La perte résultant de cette baisse est supportée par l’institution de prévoyance, et en fin de compte par les assurés restants.»
Conscient du problème posé par l’application de cet article, et à la suite de la motion du député Jörg Stahl en 2008, le Conseil fédéral propose de modifier la loi pour assouplir cette contrainte pour les institutions de prévoyance offrant des stratégies de placement individualisées. Un projet de loi, qui a été mis en consultation jusqu’au 11 février prochain, prévoit ainsi que ces institutions puissent, à l’avenir, transférer à l’assuré la valeur effective de son avoir de prévoyance au moment de sa sortie de la caisse de pension ou du changement de stratégie de placement. Ce serait donc la disparition de ce filet de sécurité, financé par l’ensemble des assurés restants. Si cette modification est adoptée dans le sens du Conseil fédéral on peut s’attendre à ce que certaines institutions de prévoyance se réorganisent pour proposer ces stratégies de gestion individualisée à leurs assurés bénéficiant de revenus supérieurs à ces fameux 126 360 francs.
Si cette évolution paraît assez logique, elle n’en a pas moins suscité de violentes attaques de la part de ceux qui estiment qu’il s’agit d’un pas dangereux vers l’individualisation du 2e pilier, et à terme, sa condamnation. Certains auraient d’ailleurs préféré l’abrogation pure et simple de l’article 1.e de l’OPP2. Paradoxalement, le Conseil fédéral lui-même s’inquiétait déjà d’une telle dérive dans son rapport de novembre 2011 adressé à l’Assemblée fédérale, en raison des risques importants qu’elle fait courir à la prévoyance professionnelle, avec la menace de voir les employeurs se désengager d’une prévoyance étendue. Cette crainte pourrait se concrétiser avec l’introduction des règles comptables internationales qui intègrent les engagements de la caisse de pension dans le bilan de l’employeur, pesant lourdement sur les comptes. Les entreprises sont ainsi incitées à transférer au maximum le risque sur les assurés et les rentiers, pour réduire le plus possible leurs engagements. Ce qu’on appelle le «de-risking».1. «Une cure de jouvence pour la prévoyance professionnelle»,par Jérôme Cosandey et Alois Bischofberger, Avenir Suisse et Editions du Tricorne, 2013.