Si vous désirez recourir à votre 2e pilier pour acquérir un logement pour votre propre usage, vous avez peut-être avantage à vous dépêcher? En effet, dès demain, 1er juillet, les caisses de pension en sous-couverture pourront différer de 12 mois les demandes à cette fin – contre 6 mois jusqu’ici , ou plus longtemps si la situation le commande. Telle est la décision du Conseil fédéral, qui a pris une ordonnance en ce sens il y a quelques jours. Comme plus de la moitié des institutions de prévoyance sont en sous-couverture, un très grand nombre de salariés sont concernés.

En soi, pareille nouvelle n’est guère surprenante, puisqu’elle entre en ligne avec d’autres mesures de sauvetage du 2e pilier, à commencer par l’abaissement du taux d’intérêt minimum, passé de 4% à 3,25% en début d’année et qui pourrait être à nouveau réduit dès l’année prochaine, à 2%. Mais on a un peu l’impression qu’on est en train de passer à la vitesse supérieure. C’est ainsi qu’on apprenait il y a quelques jours également que le taux de conversion des rentes de la prévoyance surobligatoire de la fondation collective de Winterthur Columna allait être abaissé de 5,83% à 5,45%, avec l’accord de l’Office fédéral des assurances privées. Prélude à un mouvement général de la part des assureurs vie.

La décision concernant l’accès à la propriété, qui peut certainement se justifier par son action préventive pour sauvegarder de nombreuses caisses de pension, n’en suscite pas moins un sérieux malaise. Car l’acquisition de son propre logement ne constitue pas a priori un placement spéculatif, mais fait partie intégrante d’une prévoyance vieillesse bien comprise. C’était d’ailleurs bien la raison pour laquelle cette possibilité a été introduite dans la LPP. D’autant plus que la Suisse figure tout de même, d’après les dernières statistiques disponibles, en queue de peloton en matière de propriétaires de son propre logement sur le plan international.

Statut de propriétaire attrayant

Par ailleurs, on peut se demander si de telles mesures ne risquent pas de se révéler contre-productives ? pour utiliser un vocable à la mode ?, et entamer plus encore la confiance, déjà bien amoindrie, des assurés dans le 2e pilier. Car on peut tout à fait imaginer que tous ceux qui s’inquiètent pour leur retraite future préféreraient voir leur avoir de vieillesse enraciné dans un bien immobilier, plutôt que soumis aux aléas de la conjoncture et de la Bourse ainsi qu’aux décisions abruptes du Conseil fédéral. Or l’ordonnance ne concernant qu’une partie des institutions de prévoyance, celle-ci pourrait bien décider tous ceux qui hésitent à investir dans la pierre, augmentant par là la pression sur les caisses de pension en bonne santé.

Mesure contre-productive?

La menace est d’autant plus sérieuse que la pénurie de logements et le bas niveau des taux d’intérêt sont évidemment de nature à attirer de nouveaux candidats au statut de propriétaire. Il est vrai que les affaires en Suisse sont aujourd’hui moins intéressantes qu’il y a encore deux ou trois ans, avec la remontée spectaculaire du prix des appartements, qui sont à des niveaux proches des sommets atteints au début des années 90 (en revanche, les maisons sont encore loin de leur pic de 1990). Mais, comme à chaque boom, la flambée des prix tend à inverser la loi de l’offre et de la demande: l’espoir de gain en capitaux alimente la demande, de plus en fortement, jusqu’à l’éclatement de la bulle spéculative, dans le pire des cas.

L’attrait pour le marché immobilier est d’autant plus grand que les marchés financiers paraissent plus incertains que jamais, malgré le rebond de ces derniers mois. La grande question est de savoir s’il s’agit d’un nouveau sursaut ponctuant la poursuite de la baisse ou le début d’un nouveau marché haussier. En fait, nul ne le sait.

L’immobilier a aussi ses risques

En revanche, il est clair que ceux qui veulent se lancer dans l’aventure de la propriété doivent non seulement considérer le mouvement du marché immobilier, à la hausse comme à la baisse, mais aussi et surtout les avantages et inconvénients du statut de propriétaire. Les atouts sont la liberté totale d’aménager son chez-soi, l’élimination de la menace d’augmentations de loyer et des risques de résiliation de bail et, enfin, les avantages fiscaux liés à la dette hypothécaire qui permet de réduire ses impôts. Du côté des inconvénients figurent essentiellement le lourd endettement sur le long terme, avec le risque d’augmentations des taux d’intérêt et l’investissement sur un bien unique, impliquant le risque de perte en cas de revente. Sans parler de l’immobilisation physique qu’entraîne la propriété de son logement, qui peut se révéler très préjudiciable en cas de coups durs tel le divorce ou le chômage.

Pour en revenir aux institutions de prévoyance aujourd’hui en bonne santé, on peut se rassurer quant aux risques d’assister à une hémorragie de leurs capitaux en faveur de l’accession à la propriété d’une partie de leurs affiliés: le mouvement s’arrêterait de lui-même. En effet, l’ordonnance pourrait alors s’appliquer automatiquement à l’ensemble des caisses de pension. Mais le mal ne serait-il pas déjà fait?