Des prix plus avantageux ne doivent pas faire négliger les risques liés aux différences de législation, notamment dans le domaine fiscal

Dans une région qui connaît une grave pénurie de logements depuis longtemps, en particulier à Genève, de nombreux Suisses ont profité des accords bilatéraux pour s’installer en France voisine à bien meilleur coût, en traversant chaque jour la frontière pour venir travailler dans leur pays d’origine. Mais la libre circulation n’a pas aboli pour autant les différences de législation, comme le montre la nouvelle convention de double imposition (CDI) franco-suisse sur les successions, paraphée par le Conseil fédéral, mais qui doit encore être ratifiée par notre parlement. L’entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier 2014, sans effet rétroactif.

Pour rappel, cette révision comporte deux volets: d’une part, les héritiers qui résident en France d’une personne domiciliée en Suisse, quelle que soit leur nationalité, seront soumis au droit français sur les successions; d’autre part, les héritiers de détenteurs de parts domiciliés en Suisse de sociétés civiles immobilières possédant des biens immobiliers sur sol français ne pourront plus échapper à l’impôt. Cette disposition vise à combler une lacune fiscale, puisque les propriétaires non résidents qui possèdent un immeuble en nom propre sont déjà soumis à cet impôt.

Cette deuxième partie de la révision n’est pas forcément claire si l’on est peu familier du droit. En fait, le recours à une société civile immobilière permet en quelque sorte de transformer un bien immobilier, soumis en principe à une imposition locale, en un bien mobilier, qui sera imposé dans le pays de résidence de son propriétaire. En d’autres termes, si le détenteur des parts est domicilié en Suisse, c’est dans ce pays que la succession sera imposée, jusqu’à la mise en vigueur de la révision.

On notera que pour les résidences principales détenues par des Suisses, frontaliers ou non, rien ne change. Mais si cette révision a eu un tel écho, c’est en raison du poids des impôts de succession français par rapport à ceux qui sont pratiqués en Suisse – uniquement à l’échelon cantonal –, en fonction du degré de parenté des héritiers avec le défunt.

A Genève, par exemple, aucun impôt de succession n’est prélevé sur les transmissions de patrimoine en ligne directe, de même à Fribourg, dans le Valais et le Jura. Tandis que dans le canton de Vaud, un modeste impôt est appliqué à partir de 250 000 francs. C’est Neuchâtel qui détient la palme, avec un taux de 3% pour une franchise de seulement 50 000 francs. Mais ces chiffres paraissent ridiculement bas par rapport aux barèmes français. Par exemple, une succession transmise en ligne directe au-delà d’une franchise de 100 000 euros est taxée à hauteur de 20% sur la tranche imposable de 15 932 euros à 552 324 euros, pour atteindre 45% au-delà de 1,8 million d’euros.

Ce gouffre fiscal entre les deux pays pourrait toutefois se réduire notablement si l’initiative sur la création d’un impôt fédéral sur les successions, en cours de récolte de signatures, était soumise au peuple et acceptée. Ce nouvel impôt viendrait se substituer aux différentes législations cantonales en la matière, au taux unique de 20%, pour un forfait de 2 millions de francs.

Pour en terminer sur les surprises que peut encore réserver le passage d’une législation fiscale à une autre, on mentionnera encore la question du remploi des fonds issus de la vente d’un bien immobilier en Suisse pour le réinvestir dans une propriété de l’autre côté de la frontière. On peut rappeler que si le gain est entièrement réinvesti dans un autre immeuble, il est en principe intégralement exonéré de cet impôt. «Mais à condition que cette opération s’effectue en Suisse», met en garde Albert Gallegos, responsable du conseil patrimonial et prévoyance de la Banque Cantonale de Genève.

Enfin, pour ceux qui vont (tout de même) tenter l’aventure d’acquérir un logement sur France, reste la question du financement. En matière de fonds propres, les exigences seront plus ou moins identiques, que l’on emprunte auprès d’une banque française ou suisse. En revanche, l’amortissement sera effectué en 20 ou 25 ans, selon les usages français, même auprès d’une banque suisse. Par ailleurs, comme le précise Albert Gallegos, «on peut utiliser de la même manière les fonds de sa caisse de pension ou d’un 3e pilier lié s’il s’agit d’une résidence principale».

En principe, le choix du domicile détermine celui de la devise dans laquelle l’acheteur va emprunter le montant qui complétera ses fonds propres. La décision n’est toutefois pas aussi évidente à prendre. Car au risque de fluctuation de valeur du bien immobilier sur son marché vient s’ajouter le risque de change.

Pour illustrer notre propos, on imagine que vous tirez l’essentiel de vos revenus de la Suisse, et donc en francs suisses, et que vous décidiez d’acheter un bien immobilier en France avec de l’argent emprunté en euros (qu’on suppose à taux fixe pour simplifier): dans ce cas, si la monnaie européenne baisse vis-à-vis du franc suisse, la valeur de votre bien exprimée dans cette dernière devise diminuera dans la même proportion, mais votre dette également, ainsi que le montant des intérêts. Finalement, rien de grave, puisque vous payerez moins d’intérêts et d’amortissement dans la devise dans laquelle vous obtenez vos revenus. En revanche, si l’euro monte, votre bien immobilier prendra de la valeur en francs suisses, mais vos charges d’intérêts et d’amortissement également. Selon l’ampleur des variations de change, vous risquez donc la crise de liquidité!

Pour éviter une telle situation, il faudrait plutôt que vous empruntiez dans notre monnaie nationale. Mais cette décision vous fait prendre un autre risque, qui est celui d’encaisser la perte de valeur de votre bien lorsqu’elle est convertie en francs suisses. Comme l’ont cruellement appris à leurs dépens de nombreux emprunteurs qui ont fait ce choix, en subissant les conséquences de l’envolée de notre devise vis-à-vis de l’euro au cours de ces cinq dernières années.