Dans la saga médiatico-judiciaire opposant Jérôme Kerviel à son ex-employeur, la Société Générale, la défense de l’ex-trader remportait une surprenante victoire à fin juin dernier. En effet, les prudhommes condamnaient la banque à verser 450’000 euros «pour licenciement sans cause réelle et sérieuse». En attendant le prochain rebondissement de cette affaire incroyable, dans tous les sens du mot,  le grand public peut assister à sa reconstitution dans le film français, «L’outsider*», sorti au même moment. Les faits sont connus : en janvier 2008, un jeune trader de 31 ans apparaît en pleine lumière pour avoir causé un énorme trou dans les comptes de son employeur, au point de lui faire frôler la faillite. Finalement, la banque parvient à s’en tirer, mais en devant encaisser au passage une perte de 4,9 milliards d’euros.

L’engrenage

Inspiré par «L’engrenage – Mémoires d’un trader», ouvrage publié en 2010 par le principal intéressé, à savoir Jérôme Kerviel lui-même, le film suit l’enchaînement des événements, de son entrée dans ce temple de la finance qu’est la Société Générale, jusqu’à la chute finale. Le récit est d’autant plus prenant qu’il montre comment l’auteur va souffrir d’une sévère addiction au trading, dans un environnement propice à la prise de risque et aux excès. A cet égard, le film constitue un véritable thriller, nerveux et rythmé, rendant le trader presque sympathique dans sa recherche de reconnaissance effrénée, voire pathologique, perdant complètement pied avec la réalité.

Si l’on est un peu familiarisé avec les arcanes de la finance et que l’on a bien suivi cette affaire, on restera cependant sur sa faim sur la mise en évidence des responsabilités des uns et des autres. Car si le comportement de Kerviel reste incompréhensible selon le sens commun, en jouant sur des montants si énormes qu’ils sont susceptibles de faire sauter son employeur, l’attitude de sa hiérarchie reste aussi mystérieuse. Il est vrai que le trader camouflait ses opérations et tentait de noyer le poisson Mais il est tout de même difficile d’imaginer comment une banque qui vantait la qualité de son système de contrôle ait pu être leurrée aussi facilement jusqu’au début janvier 2008, lorsque fut découvert le pot-au-rose.

Trader de génie ?

En revanche, le film peut donner l’impression que l’homme à l’origine du scandale était un trader de génie, puisqu’il avait engrangé un bénéfice de 1,4 milliard d’euros en 2007, bénéfice qu’il avait mis sous le tapis pour qu’il serve de réserve pour le prochain exercice. Le résultat paraît déjà nettement moins impressionnant lorsqu’on le met en parallèle avec ses prises de risque insensées, à hauteur de 30 milliards d’euros. Sans parler de son exposition de 50 milliards d’euros en début 2008 dans une tentative un peu désespérée de redresser la barre, comme il l’écrivait dans son livre : « J’avais beau avoir calculé que, compte tenu, des réserves dont je disposais, un tel engagement me plaçait en dessous de pertes possibles, je me retrouvais dans la situation de l’équilibriste qui avance sur un fil tendu au-dessus de l’abîme : le moindre faux pas, le plus petit événement imprévu, et je risquais la catastrophe. Je renouerais alors avec ces épuisantes phases de stress que je ne connaissais que trop, l’œil rivé sur mon écran pour faire du résultat à tout prix parce que je ne disposais plus d’aucune réserve.»

Un contre-exemple

Un tel aveu constitue un cas d’école pour illustrer quelques unes des erreurs de base commises par les traders débutants, comme l’expliquait Jack Schwager dans «Le secret des grands traders**» («The New Market Wizards), considéré comme l’un des meilleurs ouvrages sur la finance. L’auteur mettait ainsi en garde contre le danger d’une mauvaise gestion du risque : «Un adage de Wall Street nous dit «L’argent qui a peur perd toujours». La raison en est fort simple. Chaque fois que vous risquez une somme que vous ne pouvez pas vous permettre de perdre, tous les pièges psychologiques du trading s’en trouveront magnifiés.» Toujours dans le domaine de la gestion du risque, Jack Schwager complétait son propos dans l’un de ses derniers livres, intitulé «Les magiciens des hedge funds***» («Hedge Fund Market Wizards») : «Beaucoup des traders interviewés ne risqueront qu’un petit pourcentage de leurs actifs gérés sur un seul trade.» Avec Kerviel, on était loin compte…

*L’outsider, par Christophe Barratier, avec Arthur Dupont, François-Xavier Demaison et Sabrina Ouamazi, France, 2016

**Le secret des grands traders, Jack D. Schwager, Valor Editions, 1996

***Les magiciens des hedge funds, Jack Schwager, Valor Editions, 2013