La partie surobligatoire du 2e pilier, qui concerne la majorité des assurés, constitue un véritable labyrinthe

A l’occasion d’un débat qui s’est tenu le 18 avril à Lausanne dans le cadre du Salon de la prévoyance, la gestion personnalisée des avoirs du 2e pilier surobligatoire est revenue sur le tapis. Elle a une nouvelle fois mis aux prises les tenants d’un élargissement de cette possibilité et ceux qui craignent qu’elle ne contribue à créer un système de prévoyance à deux vitesses, susceptible de mettre en péril l’édifice entier.

Cette question peut paraître un peu abstraite pour la plus grande partie de la population: elle ne touche que les salaires dépassant 126 360 francs, soit une fois et demie le revenu AVS maximal LPP de 84 240 francs, mais il faut encore que la caisse de pension soit splittée, c’est-à-dire que les fonds surobligatoires soient gérés au sein d’une institution de prévoyance séparée de celle qui s’occupe des fonds de la part obligatoire du 2e pilier. Or, comme la plupart de caisses de pension sont enveloppantes, c’est-à-dire que les fonds soumis au régime obligatoire et surobligatoires sont gérés au sein d’une caisse de pension unique, cette possibilité est finalement réservée à un nombre très restreint de personnes.

C’est la raison pour laquelle Jérôme Cosandey et Alois Bischofberger – tous deux membres d’Avenir Suisse – militent, notamment, pour permettre aux caisses de proposer ces stratégies individuelles à partir de ce salaire AVS maximal LPP de 84 240 francs, dans un livre sorti en début d’année*. Ce qui permettrait, selon ces auteurs, d’élargir potentiellement le cercle limité de ses bénéficiaires à environ 40% de la population.

Au-delà de ces débats de spécialistes, la plupart des assurés auraient pourtant de quoi s’intéresser au 2e pilier surobligatoire dans son organisation actuelle. Ils sont en effet directement concernés. La majorité des affiliés à la prévoyance professionnelle bénéficient d’une assurance qui va au-delà du minimum LPP. Mais, comme rien n’est simple dans ce domaine, ce n’est pas toujours évident de savoir de quelle manière se manifeste cette extension, car chaque caisse de pension est par définition libre de proposer l’une ou l’autre de ces prestations surobligatoires. Dans le cadre de ce très court article, on se limitera à l’élargissement des prestations vieillesse.

Avant d’aller plus loin, et pour y voir un peu plus clair, il faut rappeler que la base de calcul dans la LPP est le salaire coordonné. Dans le jargon de la LPP, ce salaire dit coordonné est obtenu en prenant le salaire AVS, dont on déduit les 7/8 (87,5%) de la rente AVS annuelle maximale, qui est de 28 080 francs. Cette déduction de coordination, comme on l’appelle, se monte donc à 24 570 francs (= 28 080 x 87,5%). Mais, comme on l’a dit précédemment, le salaire AVS maximal LPP est de 84 240 francs: le salaire coordonné maximal n’est donc que de 59 670 francs (= 84 240 – 24 570).

Concrètement, cela signifie que, si un employé est affilié auprès d’une caisse de pension qui applique uniquement le régime du minimum LPP, son salaire ne sera assuré que jusqu’à 59 670 francs au maximum. Autrement dit, la partie du salaire dépassant 84 240 francs ne sera pas couverte, à l’instar du montant correspondant à la déduction de coordination. On peut facilement traduire ce résultat en avoir de vieillesse obtenu à l’orée de son départ en retraite, moyennant quelques hypothèses simplificatrices. On suppose que le salarié fait toute sa carrière dans le cadre uniquement obligatoire, et qu’il a toujours dégagé des revenus égaux ou supérieurs au salaire AVS maximal LPP.

A partir de là, on peut se livrer à un petit calcul en sachant que cet employé accumulerait 500% de ce montant, selon les règles en matière de bonifications de vieillesse, en arrivant à l’âge de la retraite (65 ans pour les hommes, 64 pour les femmes). Mais il faut évidemment intégrer l’accumulation des intérêts composés, qu’on suppose en moyenne à 2%. Sur la base de ces hypothèses, il suffit donc de multiplier le salaire coordonné maximal par 700% – qui constitue une bonne approximation – pour déterminer le capital atteint à la fin de sa vie professionnelle, soit 417 690 francs (= 700% x 59 670).

Si l’on transforme ce capital en rentes, avec le taux de conversion qui sera de 6,8% en 2014, cela signifie que la rente annuelle s’élèvera à 28 403 francs (= 6,8% x 417 690). Pour simplifier, si l’on considère que l’assuré a droit à la rente AVS maximale de 28 080 francs, il ne recevra que 56 433 francs (= 28 403 + 28 080) par an.

Supposons maintenant que l’employé gagnait 150 000 francs par an, cela veut dire que ses rentes combinées AVS et LPP ne couvriraient que 38% (= CHF 56 433/CHF 150 000) des revenus de sa vie active, soit loin des 60% de couverture de revenu telle quelle a été pensée dans la loi. Un revenu annuel de 200 000 francs ferait chuter cette proportion à 28%!

Le choix de l’employeur implique celui de la caisse de pension. Mais on peut imaginer que notre salarié a mieux choisi sa caisse de pension, par son employeur interposé s’entend! Il serait ainsi possible que le plafond du salaire coordonné pris en compte se monte jusqu’à 842 240 francs par an, soit dix fois le revenu AVS maximal LPP. Sans entrer dans le détail des calculs, il n’est pas difficile de comprendre le gouffre financier qui sépare les deux situations, qui ira en grandissant pour les salaires les plus élevés. C’est l’une des raisons pour lesquelles un cadre qui désire changer d’employeur doit s’intéresser de très près aux conditions qui lui seraient offertes par sa nouvelle caisse de pension s’il était embauché.

* «Une cure de jouvence pour la prévoyance vieillesse», par Jérôme Cosandey et Alois Bischofberger, Avenir Suisse, Editions du Tricorne, 2013.