Les principaux indicateurs pour estimer la cherté d’un marché d’actions sont constitués par les multiples et les taux d’intérêt à long terme.
PER et taux d’intérêt
Classiquement, pour estimer la valeur d’un marché d’actions, on compare le price-earning ratio de son indice de référence aux taux d’intérêt à long terme. C’est la démarche suivie par Robert Shiller, Prix Nobel d’économie 2013, dans l’étude qu’il publie depuis de nombreuses années, et dont on a tiré le graphique de la page ci-contre.
Comme on le voit, les multiples tendent à réagir de manière inverse à l’évolution des taux d’intérêt. Ce qui paraît logique. Tout d’abord parce que les variations de taux d’intérêt influent sur la valeur actualisée des bénéfices à venir des entreprises, et donc sur le cours de leurs titres. On rappellera que l’actualisation consiste à établir l’équivalent du versement retardé en un paiement immédiat. En d’autres termes, la hausse des taux réduit cette valeur actualisée, et l’augmente en cas de baisse des taux.
La variation des taux produit un autre effet, mais cette fois sur les charges financières des entreprises: la hausse des taux les augmente, alors que la baisse les diminue. Enfin, la montée des taux accroît l’attrait pour les nouvelles obligations au détriment des titres déjà en circulation, que ce soient des actions ou des obligations. La relation inverse entre les multiples du marché et les taux d’intérêt n’est toutefois pas absolue notamment après l’explosion de la bulle internet en 2000.
Les marchés dépendent des bénéfices et des taux d’intérêt
Le multiple du marché, c’est-à-dire le rapport entre le prix et le bénéfice, évolue généralement à l’envers des taux d’intérêt à long terme, comme on le voit sur le marché américain.
Source : https://shillerdata.com
Pouvoir prédictif?
Dans une perspective d’investissement à long terme, ce modèle présente-t-il un intérêt pratique? C’est la question posée à Otmane Jai, CIO de MJ & Cie, un family office basé à Paris et à Genève. «La réponse courte est oui. Mais si l’on veut donner une réponse développée, il faut remettre cet indicateur dans son contexte, et ce d’une manière relative à d’autres indicateurs. Un atout de la mesure du P/E calculé par Robert Shiller, c’est la prise en compte de la moyenne des bénéfices sur les dix dernières années, qui permet de lisser cette évaluation.»
Mais cet avantage a un revers, c’est-à-dire que ce modèle se base sur des chiffres passés, qui ne reflètent pas obligatoirement la dynamique bénéficiaire des entreprises, américaines en l’occurrence. D’ailleurs, comme le souligne notre interlocuteur, en prenant comme illustration le marché aux États-Unis, les marchés ne sont pas forcément comparables: «Le marché américain a été historiquement plus cher que d’autres, car il est structurellement de croissance. La prime de cherté peut être plus élevée sur ce marché parce qu’elle est justifiée par les meilleures perspectives de croissance des entreprises qui y sont cotées. Il faudrait ainsi prendre en compte ce facteur si l’on met en parallèle deux pays ou deux continents.»
Approche thématique
De manière plus fondamentale notre expert s’interroge sur l’intérêt d’évaluer un marché sur une base géographique, en raison de la grande disparité de la valorisation des différents secteurs.
«Si l’on se base toujours sur le marché américain, le secteur de la technologie, par exemple, est évalué de manière particulièrement élevée en raison de ses facteurs de risque et des attentes en matière de croissance. On doit ainsi procéder à une analyse assez fine des sous-marchés afin de distinguer les secteurs qui en sont le moteur. On sait que le marché américain est tiré par quelques entreprises technologiques, avec une concentration qui est exacerbée par la gestion indicielle.»
Dans cette logique, l’analyste privilégie une démarche thématique, au détriment d’un processus purement géographique, qui constituait autrefois l’approche traditionnelle dans la gestion de fortune: on sélectionnait un marché pour ensuite y rechercher les secteurs et les titres les plus prometteurs. Cette méthode a progressivement laissé sa place au choix du style d’investissement le plus approprié à la période, quel que soit l’état général du marché sur lequel les entreprises sont cotées. On rappellera qu’on distingue six familles de style d’investissement, soit valeur, croissance, qualité, taille, basse volatilité et momentum.
Prime de risque
Concernant la valorisation du marché selon la prime de risque, c’est-à-dire par rapport aux taux d’intérêt, Otmane Jai pose la question de savoir si elle est justifiée. «Aujourd’hui, elle peut paraître élevée. Toutefois si l’on garde en mémoire qu’elle prend en considération les dix dernières années, soit une époque assez spéciale avec des taux d’intérêt très bas, on peut penser qu’elle n’est pas forcément représentative de la période à venir. D’ailleurs, ce n’est pas parce qu’un ratio nous indique que le marché est cher qu’il ne va pas continuer à monter.»
À l’appui de son raisonnement, notre interlocuteur analyse les perspectives des deux facteurs fondamentaux qui entrent en ligne de compte, soit l’évolution des taux d’intérêt et celle des bénéfices: «Par rapport aux taux d’intérêt élevés d’aujourd’hui, il y a un consensus pour estimer qu’on serait sur une tendance baissière, qui serait donc favorable à des expansions de multiples. Le ratio de Shiller pourrait donc potentiellement encore augmenter. D’autant plus que des relais de croissance sont en place, à commencer par l’intelligence artificielle, et tous les investissements en infrastructure à venir, notamment en matière d’énergie renouvelable, avec l’impact que cela va avoir sur l’économie.»