L’instrument de base pour optimiser la gestion de ses obligations est la duration, qui permet de mesurer leur sensibilité aux variations des taux d’intérêt

Qu’est-ce que la duration?

Lorsqu’on cherche à gérer un portefeuille obligataire de manière active, on doit essayer d’anticiper l’évolution des taux d’intérêt. On rappelle que la baisse des taux s’avère favorable pour la valorisation des obligations, et inversement leur montée influe négativement sur leurs cours. Mais la sensibilité des obligations aux variations de taux s’avère très variable. On peut la mesurer grâce à ce concept de duration, calculée selon une formule complexe. Elle s’exprime en années et mesure la durée moyenne d’immobilisation du capital, soit non seulement la somme qui sera versée à l’échéance mais également les coupons. En d’autres termes, plus l’échéance est lointaine et les coupons bas, plus la duration est longue.

Comment utiliser cet instrument de mesure ? En réponse à cette question, Frédéric-Charles Bois, CIO de Société Générale Private Banking pour la Suisse, détaille : « Plus la duration du portefeuille obligataire est longue, plus grande sera sa sensibilité aux variations de taux d’intérêt. Si l’on prévoit une hausse des taux, il faut donc raccourcir la duration, et la rallonger si l’on s’attend à un mouvement contraire. »

« On peut considérer la duration comme un indicateur de risque, poursuit notre interlocuteur, car elle permet de comparer un portefeuille à son benchmark, c’est-à-dire à son indice de référence en termes d’exposition au risque de taux. »

L’allongement de la duration augmente la sensibilité aux taux d’intérêt

Une obligation d’État autrichienne d’une durée de 100 ans avec un coupon de 0,85%, c’est-à-dire avec une très longue duration, s’est effondrée sous l’effet de la hausse des taux.

Source : Société Générale Private Banking / Bloomberg

Cas concret

Pour illustrer l’impact de la duration sur l’évolution des taux d’intérêt, notre spécialiste a préparé le graphique ci-contre montrant l’évolution comparée d’un emprunt d’État autrichien sur cent ans en euros, émis en 2020 avec un coupon de 0,85%, et celle du rendement à l’échéance de l’obligation d’État allemande à dix ans – le Bund – c’est-à-dire l’emprunt de référence.

Comme on le voit clairement sur ce graphique, cette émission a été effectuée en période de taux négatifs, « poussant ce titre jusqu’à un prix de 140 en fin 2020 ». Avec une échéance aussi éloignée et une rémunération aussi basse, c’est-à-dire une très longue duration, cet emprunt s’avère extrêmement sensible à toute variation de taux d’intérêt. Or, ces derniers sont fortement remontés, comme le montre l’évolution du rendement à l’échéance du Bund à dix ans, passant de -0,5% jusqu’à 3% en juin 2023, pour terminer à 2,5% pour la période sous revue.

« C’est ainsi, poursuit notre expert, qu’entre le moment où le cycle de hausses de taux a été enclenché par les banques centrales en 2022 et jusqu’au sommet de septembre 2023, le cours de cette obligation s’est déprécié de 76%!» Paradoxalement, ce résultat désastreux devrait inciter les investisseurs à se porter aujourd’hui sur les taux longs en euros, en renonçant aux taux courts, pourtant plus élevés à hauteur de 4%.

Cristalliser les rendements

Pour justifier cette stratégie, notre spécialiste rappelle que cette inversion de taux ne va pas durer éternellement : « La remontée des taux courts s’est stabilisée sur un plateau depuis plusieurs mois, constituant le prélude à la baisse des taux d’intérêt à court terme. » Si la décrue des taux courts va entraîner dans son sillage celle des taux longs, leur baisse sera de moindre ampleur. Au point que les taux longs vont finir par repasser au-dessus des taux courts.

Dans cette perspective, « il faut allonger la duration, de manière à cristalliser les rendements à l’échéance avant qu’ils ne baissent ». Stratégie qu’on peut également appliquer au marché américain, qui présente la même configuration, avec des taux courts plus hauts encore, stabilisés à 5,5%, et les taux des bons du Trésor à dix ans avec un rendement à l’échéance d’environ 4,2%.

«Il faut donc observer attentivement la décision des banques centrales, qui sont basées sur le taux de chômage, l’activité manufacturière et le taux d’inflation. La Réserve fédérale prévoit trois baisses de taux cette année, dont une première pour le mois de juin, tandis que la Banque centrale européenne devrait lui emboîter le pas. » Mais le timing n’est pas toujours parfait, précise l’expert : « On prend parfois le risque d’allonger la duration trop tôt, comme l’ont fait de nombreux investisseurs l’année dernière. »

Échéancier et risque de change

Dans cet environnement, la stratégie d’allongement de la duration paraît tout à fait indiquée pour l’investisseur individuel également. Toutefois, nuance Frédéric-Charles Bois, elle doit être adaptée à sa situation personnelle. « Par exemple, si le détenteur d’un portefeuille obligataire veut acheter une résidence secondaire dans deux ans, et qu’il doit en vendre une partie, ce ne sera pas forcément au meilleur moment si les taux sont alors temporairement remontés. Dans cette perspective, il devrait sans doute réduire l’allongement de la duration de son portefeuille, de manière à éviter un problème de liquidités à ce moment-là. »

« Si l’on veut pouvoir profiter du différentiel de taux, il faut aller sur de la dette européenne ou américaine, et donc sortir du franc, en s’exposant ainsi à un risque de change. Toutefois, après la hausse extrêmement forte du franc suisse, cette capacité apparaît actuellement un peu moins marquée. »

L’affaiblissement de la devise helvétique à la suite de la récente décision de la Banque nationale suisse de baisser son taux directeur de 0,25 point de base pour revenir à 1,5%, en raison de la forte décrue de l’inflation et au niveau élevé du franc suisse, ne change pas ce scénario à court ou à moyen terme, précise notre interlocuteur. « Nous restons donc pour l’instant à l’écart de la dette en francs suisses. »