Le taux de couverture des institutions de prévoyance a fortement baissé. Trois professionnels suggèrent des pistes pour faire face à l’instabilité des marchés.

On savait que la crise financière affectait les comptes de nos institutions de prévoyance. L’étude annuelle de Swisscanto parue le 21 septembre dernier en a quantifié les effets: le taux de couverture des caisses de pension a ainsi fortement baissé en 2011, sous les coups de la hausse du franc suisse, de la faiblesse des rendements obligataires et de la chute des marchés financiers. A la mi-août, le moniteur des caisses de pension Swisscanto a ainsi calculé une couverture moyenne de 96,3% et un rendement de –7,3% pour les caisses de droit privé. Pour les caisses de droit public, les chiffres correspondants sont de 83,2% de couverture pour un rendement de –6,9%. Pour aider les institutions de prévoyance à surmonter la crise, faut-il, par exemple, abaisser le taux d’intérêt minimal? Pour en débattre, Bilan a réuni trois professionnels: Fabrice Merle, directeur de la CIEPP, qui est une fondation commune; Marc Baijot, directeur financier de la société Hpr; enfin, Jacques-André Monnier, CEO de la société Synopsis Asset Management.

Bilan Arrivez-vous actuellement à dégager suffisamment de rendement pour verser le taux d’intérêt minimal (en primauté de cotisations) sur le compte de vos assurés (ou sur ceux des caisses de pension que vous conseillez ou dont vous gérez les fonds)?

Fabrice Merle Non, car les performances des institutions pour l’année 2011 sont négatives et donc forcément insuffisantes aujourd’hui. Toutefois, étant donné la volatilité très forte qui règne sur les marchés depuis le début de l’année, il est impossible de prédire la performance qui sera réalisée à la fin de l’année. Il faut d’ailleurs mettre ces données en perspective sur une longue période. Ainsi, de 1985 à 2010, la moyenne des taux d’intérêt (partie obligatoire et surobligatoire) versés sur les comptes individuels de vieillesse de nos assurés s’est élevée à plus de 4,4%! En comparaison, durant la même période, la moyenne des taux d’intérêt LPP était de 3,5%, l’inflation suisse, d’environ 2% et la croissance des salaires, de 3%.

Marc Baijot Non! Aucune caisse de pension n’arrive à dégager une performance annuelle qui atteint 2%. Une institution de prévoyance qui dispose d’un important parc immobilier tourne autour de 0,5%, tandis que les autres sont dans le rouge.

Jacques-André Monnier Pour nos portefeuilles les plus conservateurs (LPP 25), nous dégageons à ce jour une performance 2011 de 1,5%. L’année n’est pas terminée et tout est encore possible. Dans la durée, notre type de gestion, qui repose sur la préservation du capital, devrait permettre de verser ce taux minimum. On va aujourd’hui attendre de meilleures conditions avant de revenir sur les marchés actions.

B A quel niveau pensez-vous que le taux d’intérêt minimal devrait être fixé? Et pourquoi?

FM Le taux d’intérêt minimal devrait se trouver au niveau de l’inflation de l’année précédente, conformément à la règle d’or. Ce qui permet d’atteindre au minimum l’objectif de prévoyance tiré du mandat constitutionnel, soit 60% du dernier salaire à la retraite en cumulant les prestations du 1er et du 2e pilier obligatoire.

MB Le taux d’intérêt minimal devrait être fixé entre 0 et 1%, et ce de manière durable, soit sur cinq ans. Il faut éviter d’asphyxier les caisses de pension avec des garanties irréalisables, d’autant plus qu’elles doivent en parallèle reconstituer leurs réserves de fluctuation de valeurs.

JAM La formule actuelle qui débouchera sans doute sur 1,5% pour 2012 est le fruit d’un compromis qui n’est intuitivement pas mauvais, puisqu’il est basé sur le rendement sans risque et peut être très légèrement modulé en fonction des attentes sur les autres classes d’actifs.
B Quelle est la situation de votre caisse de pension (ou de celles que vous conseillez ou dont vous gérez les fonds) en matière de taux de couverture et de réserve de fluctuation de valeurs par rapport à sa cible?

FM Notre institution présentait au 31 décembre 2010 un degré de couverture de 102,9% avec une réserve de fluctuation de valeurs qui atteignait 27,5% de la cible plancher. Nous ne communiquons pas notre degré de couverture statique en cours d’année tant il fluctue de jour en jour. Le plus important est d’évaluer la capacité financière de la caisse de pension à dégager des rendements supérieurs à ses besoins de performance sur le long terme, selon plusieurs scénarios, pour maintenir un taux de couverture de 100%. Les conclusions de notre expertise actuarielle dynamique, réalisée au 1er semestre 2011, montrent que notre équilibre financier est assuré et sans problème structurel.

MB Les caisses de pension que nous conseillons affichent en moyenne des degrés de couverture qui se situent autour de 95%. Elles ne disposent donc plus de réserves de fluctuation de valeurs. Mais comme il s’agit d’une moyenne, certaines institutions de prévoyance sont dans un état plus critique et d’autres en meilleure situation.

JAM La plupart de nos caisses ont des taux de couverture proches de 100% et leurs réserves ont donc quasi disparu. Il faut toutefois faire preuve de prudence dans les conclusions à en tirer, car chaque institution se trouve dans une situation particulière.

B En cas de découvert important, quelles mesures pourriez-vous (ou les caisses de pension pourraient-elles) prendre avant de décider des mesures d’assainissement ?

FM Il est indispensable d’effectuer une projection de contrôle à l’aide d’une expertise actuarielle dynamique permettant de définir si la sous-couverture est de nature conjoncturelle ou structurelle. C’est uniquement dans ce dernier cas que des mesures d’assainissement s’imposent.

MB Il est important de bien communiquer avec ses assurés sur la situation économique actuelle et sur son impact sur la gestion et l’équilibre de la caisse.

JAM Des mesures de réduction des risques à l’actif devraient être prises bien avant toute mesure d’assainissement. Et ce le plus tôt possible pour éviter que l’institution de prévoyance ne soit amenée à liquider ses positions au pire moment et d’encaisser donc des pertes sèches.

B Et si vous deviez prendre (ou conseiller) des mesures d’assainissement, quelles seraient-elles?

FM Le conseil de fondation devrait d’abord adopter une base réglementaire permettant l’assainissement. Selon différentes enquêtes menées auprès de diverses institutions de prévoyance ayant pris de telles mesures en 2009 et 2010 – ce qui n’a pas été notre cas – la réduction de la rémunération sur les avoirs de vieillesse arriverait en première position des mesures qu’il est aisé de mettre en œuvre et qui produiraient un fort impact. Toutes les possibilités devraient être évaluées le cas échéant.

MB Il faudrait réduire le taux d’épargne sur le compte des assurés à 0% et diminuer le taux de conversion à 5,6% pour la partie surobligatoire. Et si cela s’avère nécessaire, il faudrait que l’employeur verse une cotisation d’assainissement et, si c’est indispensable, que les assurés actifs et les rentiers paient également de telles cotisations.

JAM Il faudrait appliquer les mesures d’assainissement qui respectent au mieux le principe de solidarité, notamment entre les générations.

B Quelle est l’allocation des actifs de votre caisse (ou de celles que vous suivez) et quelle est sa (leur) politique de placement ? La crise a-t-elle changé cette approche ?

FM La CIEPP pratique une politique de placement qui privilégie la protection du patrimoine devant lui permettre la réalisation à long terme de ses buts de prévoyance. Au 31 décembre 2010, le portefeuille était composé à hauteur d’environ 35% en actions, 42% en obligations, 11% en immobilier et 8% en liquidités. En termes de devises, les monnaies étrangères atteignaient 38%. Quant à notre approche, elle n’a pas changé avec la crise, car nous étions préparés pour appliquer la stratégie prévue. Notre gestion du risque est notamment réalisée par un rééquilibrage de notre fortune en éliminant toute émotion dans le processus. Ce qui nous permet de maintenir le portefeuille en ligne avec l’allocation stratégique – qui détermine la performance dégagée sur le long terme – et de contenir le risque.

MB Les caisses dont nous nous occupons sont quasi toutes investies à hauteur de 25% en actions. Une institution de prévoyance a placé entre 40 et 50% de ses actifs dans l’immobilier, mais c’est une exception. Ce qui lui a permis d’ailleurs de bénéficier d’une meilleure performance. Mais pour celles qui voudraient suivre cet exemple, c’est sans doute trop tard, car il n’y a aujourd’hui plus tellement d’objets immobiliers dans lesquels investir en Suisse. Par ailleurs, la crise ne semble pas avoir provoqué de panique au sein des caisses de pension.

JAM Nous pratiquons une approche de gestion dite bimodale, alternant un mode de «participation aux marchés» quand on est dans un environnement normal et un mode de «préservation de capital» dans des situations extraordinaires. Nous sommes passés du premier au second en mai 2011, avec pour objectif prioritaire de protéger les avoirs que l’on nous a confiés. Dans ce contexte, nos portefeuilles se caractérisent par une forte proportion de liquidités (30%), d’obligations suisses (40%), d’or (10%) et de francs suisses (85%). Les actions ne dépassent pas 10%. Reste l’immobilier indirect et direct dont la pondération relève souvent de l’historique particulier de chaque institution. Quant à la crise, elle n’a pas modifié notre approche, car elle avait précisément été intégrée dans son scénario central. Notre attention se porte aujourd’hui sur le prochain compartiment de terrain, l’après-crise.