Dernière en date à faire parler d’elle dans le long feuilleton de la crise du 2e pilier, la caisse de pension des CFF constitue sans doute une illustration saisissante de certains vices de notre système de prévoyance vieillesse. En effet, le déficit de couverture de cette institution de prévoyance serait dû, notamment, à sa jeunesse. Non pas que les CFF soient une start-up, mais parce que leur caisse de pension n’est devenue autonome que depuis 1999, et ne disposait donc que de très peu de réserves de fluctuations. Or la Bourse a commencé à plonger dès l’année suivante? Sans amortisseur, la couverture a fondu comme neige au soleil. Phénomène encore aggravé par une structure démographique défavorable de la caisse dont plus de la moitié des membres sont déjà rentiers.
On comprend donc aisément que beaucoup d’institutions de prévoyance en début d’activité, ou trop petites, doivent se trouver en grande difficulté, par le simple fait qu’elles ne disposent pas de ces réserves suffisantes pour se protéger contre les effets des chutes de marché. Qui plus est, comme c’est le cas aujourd’hui, elles doivent verser un intérêt minimal de 3,25% (4% jusqu’à la fin de l’année dernière) sur les avoirs de vieillesse de leurs assurés: le trou ne peut que se creuser.
Cette contradiction fondamentale contribue à la sous-couverture d’une très grande partie des institutions de prévoyance, malgré les contraintes légales. Le message commence à passer, puisqu’on parle déjà d’abaisser ce taux à 2,5, voire à 2%. Mais cette démarche ressemble plus à un emplâtre sur une jambe de bois qu’à une adaptation à la réalité. Car un choix doit être fait dans la gestion des fonds du 2e pilier pour prendre en compte le fonctionnement des marchés financiers: soit on souhaite une sécurité absolue et l’on se concentre sur des titres à taux fixe (s’il y en a suffisamment?), mais avec des rendements très bas; soit on accepte les fluctuations liées aux marchés financiers, et l’on intègre en particulier les actions dans les portefeuilles, en comptant sur la tendance haussière à long terme pour dégager des rendements plus élevés. En acceptant en contrepartie des rendements négatifs à court terme.
La Bourse ayant cédé environ la moitié de sa valeur depuis trois ans, il paraît téméraire de mettre en avant ses avantages aujourd’hui. D’autant plus que certains experts font montre de moins d’optimisme sur le prochain cycle boursier. Pourquoi donc? En raison du déficit démographique, encore lui!
Si l’on savait déjà que l’AVS ? système de répartition par excellence ? allait forcément ployer sous l’effet du vieillissement démographique, on connaissait aussi son effet sur le 2e pilier, qui ne pourra y échapper que partiellement: s’il est vrai que les rentes sont calculées sur l’avoir de vieillesse individuel, le taux de conversion, actuellement de 7,2%, dépend de l’espérance de vie moyenne. Or comme cette dernière ne cesse d’augmenter, le taux doit diminuer, et donc les rentes également. Mais ces deux phénomènes sont parfaitement identifiés et programmés, même s’ils font l’objet d’âpres discussions politiques.
En revanche, en s’affranchissant du monde actuariel pour s’intéresser à l’économie «réelle», on sent confusément que des sociétés vieillissantes ne garantissent pas forcément les croissances les plus échevelées. En d’autres termes, le vieillissement démographique devrait aussi affaiblir à long terme le rendement des capitaux investis.
Or ce phénomène n’a pas du tout été pris en compte. Jusqu’ici, on s’est contenté de prendre le modèle de l’assurance vie et de l’étendre à l’ensemble de la prévoyance, ce qui correspond à une vision strictement actuarielle. La solution serait donc que les responsables d’institutions de prévoyance se tournent vers des marchés plus jeunes, plus dynamiques pour dégager des rendements décents, et prennent donc plus de risques. Mais n’est-ce pas exactement ce qu’on reproche aujourd’hui à de nombreux gérants de caisses de pension?