La disparition de Youtrade, le courtier en ligne du Credit Suisse et numéro un de la branche, est passée presque inaperçue au début de la semaine dernière, tant les pertes de la banque étaient importantes. Pourtant, comme l’ont depuis noté les observateurs, l’arrêt du principal acteur place le courtier Swissquote en position de leader. Cette position lui laisse l’espoir d’attirer de nombreux ex-clients du portail qui va fermer ses portes à fin janvier. Mais la bataille s’annonce rude, puisque d’autres prétendants cherchent désespérément à accroître leur part de marché, alors que ce dernier se rétrécit comme une peau de chagrin. Car, au fond, à quoi sert un compte de courtage en ligne? Si vous êtes un boursicoteur invétéré, c’est un merveilleux instrument pour gérer votre compte, faire vos recherches, surveiller votre portefeuille en permanence et l’exécution de vos ordres 24 heures sur 24, tout en réduisant vos coûts de transactions. Avec l’énorme avantage de rendre complètement transparentes toutes les opérations.
Mais pour les autres? Celui qui possède une fortune suffisante ne perd pas son temps à gérer lui-même son portefeuille. Quant à l’investisseur au portefeuille trop modeste pour qu’un gérant professionnel puisse s’en occuper, il n’a généralement pas le temps, ni les connaissances et compétences pour le gérer de manière très active. Bien évidemment, ce type d’investisseur sera toujours intéressé de profiter des prix cassés offerts par les courtiers en ligne, pour rééquilibrer par exemple son portefeuille entre différents actifs ou augmenter ses parts dans un fonds de placement, comme l’offrent Swissquote ou e-sider.com. Mais pas au point de multiplier les transactions ? comme le souhaitent ardemment les courtiers en ligne ? afin d’essayer de profiter des variations de cours des titres. Car une telle stratégie, qui vise à battre le marché, n’a aucun sens pour celui qui ne possède pas d’avantage particulier. Or c’est bien le cas de l’écrasante majorité de ceux qui sont investis en Bourse.
Différentes études statistiques avaient d’ailleurs déjà mis en évidence, en pleine euphorie boursière, le lien entre augmentation des transactions et baisse de la performance, en raison non seulement des coûts supplémentaires, mais aussi des erreurs de timing. Tant que les marchés montaient, cette source de pertes était camouflée par les gains faramineux réalisés très facilement. Mais la dure réalité s’est à nouveau imposée avec la chute des marchés: la plupart des investisseurs ont alors trouvé le jeu beaucoup moins amusant? Les chiffres de Youtrade pour le premier trimestre de l’année, cités par Finanz und Wirtschaft, montrent en effet un effondrement du nombre des transactions, tombées à 67 000, contre 108 000 pour la même période de l’année précédente. La fragilité des sites est d’autant plus grande que même si les clients ne résilient pas leur compte, leur activité diminue fortement en période de déprime boursière.
Pour assurer la pérennité aux courtiers en ligne survivants, il faudrait pour le moins un retournement rapide des marchés pour susciter à nouveau des vocations de traders du dimanche. C’est une hypothèse plausible, étant donné la volatilité des marchés. La dernière grande crise boursière, celle qui avait été aggravée par la débâcle du fonds LTCM ? à ne pas confondre avec le fonds LTS de la Rentenanstalt ? ne date en effet que de 1998. Sans apparemment avoir laissé de traumatisme durable dans l’esprit des investisseurs, qui paraissent avoir, parfois, la mémoire singulièrement courte. Mais, comme chacun sait, la prévision est un art d’autant plus difficile qu’il porte sur l’avenir?