FONDS DE HEDGE FUNDS Les possibilités sont de plus en plus larges. D’où la difficulté de faire les bons choix.

Auprès du grand public, et pour nombre de clients privés, la réputation des hedge funds oscille entre produits miracle et bombes à retardement. La déconfiture du fonds Amaranth à la fin de l’année dernière, qui a perdu plus de 6 milliards de dollars en quelques jours, n’a fait que confirmer cette impression de risque extrême.

À première vue, une telle issue laisse quelque peu perplexe quant aux affirmations de nombre de sociétés actives dans la gestion de fortune lorsqu’elles mettent en avant la capacité des hedge funds à améliorer la robustesse des portefeuilles de leurs clients en cas de turbulences sur les marchés. Au point d’allouer jusqu’à 25% d’investissements alternatifs dans les portefeuilles de la clientèle sous mandat. Pourtant, les statistiques historiques paraissent confirmer le discours marketing des promoteurs de fonds.

En fait, le paradoxe n’est qu’apparent. La source de la confusion provient du terme de hedge funds qui recouvre des stratégies et des risques qui les accompagnent très différents, ainsi que du mode d’accès aux hedge funds. Car, à moins de disposer d’au moins 10 à 20 millions de francs, le client privé ne devrait participer aux hedge funds que par le biais de fonds de hedge funds, autrement dit les fonds de fonds. La diversification va ainsi réduire les risques tout en procurant une liquidité en général bien meilleure que celle des fonds sous-jacents.

Cette intermédiation n’apporte pas que des avantages : elle va tout d’abord rajouter une couche de frais, tandis qu’elle nécessitera l’analyse de la qualité de la gestion du fonds de fonds et de sa capacité à atteindre les objectifs fixés.

Les objectifs

La tendance actuelle en Suisse est de considérer les hedge funds comme une classe d’actifs comme une autre, pour s’intégrer dans le portefeuille, de manière à en réduire la volatilité. Plus précisément, affirme Daniel Penseyres, responsable du conseil et développement de la gestion alternative chez Lombard Odier Darier Hentsch (LODH), « les stratégies et les outils de la gestion alternative sont beaucoup plus larges que dans la gestion traditionnelle : positions short, utilisation des dérivés, effets de levier et une certaine liberté de gestion. Les hedge funds vont permettre de capturer une partie de la hausse et de protéger le capital. »

Pour parvenir à ce résultat, « il est essentiel de comprendre les risques d’un portefeuille pour pouvoir mieux intégrer la partie hedge funds ». Allant dans le même sens, José Galeano, CIO de 3A, explique que cette approche implique « que l’identification du type de fonds de fonds dont l’investisseur a besoin passe par l’analyse de son portefeuille actuel ».

Concrètement, pour un client au portefeuille traditionnel, « la solution peut passer par un fonds de fonds multistratégies, explique Daniel Penseyres. Pour un client plus sophistiqué, qui raisonne en termes de secteurs, de zones géographiques, de styles ou autre, la proposition peut être plus pointue : il s’agira par exemple d’étendre la couverture géographique à des zones plus exotiques, telle l’Amérique latine. De même, pour celui qui investit à 95% sur le marché européen et qui craint un retournement de marché, on peut proposer de réduire cette position au profit de long-short. »

« Dans ce cas, poursuit Daniel Penseyres, contrairement à la gestion traditionnelle, on peut définir l’objectif probable de la performance du fonds de fonds. » De la même manière, José Galeano indique « que si le portefeuille contient 50% d’actions et que je ne suis pas tout à fait à l’aise avec le développement du marché, je peux en vendre une partie pour la substituer par des fonds equity long-short. Ainsi, le portefeuille résistera mieux en cas de baisse du marché. Le recours aux hedge funds peut également résoudre le problème de clients dont la part obligataire est menacée lors de phases de hausse des taux. Dans ce cas, ils peuvent remplacer cette partie de leur portefeuille par des fonds de hedge funds multistratégies à faible volatilité ou par des fonds de fonds qui privilégient les stratégies d’arbitrage. »

Ce type de décision n’est évidemment pas à la portée du premier investisseur venu et requiert des connaissances financières pointues. « Cette question se poserait d’ailleurs, ajoute José Galeano, avec la même acuité pour un fonds multistratégies correspondant à un fonds traditionnel équilibré, car les risques peuvent être différents d’un fonds à l’autre. »

Les risques

Justement quels sont ces risques ? Les deux principaux risques des hedge funds sont, comme l’explique Akimou Ossé, ingénieur financier auprès de la banque Syz, « d’une part, le risque de volatilité et, d’autre part, le risque de dislocation. Par risque de volatilité, on entend le risque lié à l’évolution du sous-jacent (gain à la hausse et perte à la baisse). II est surtout présent dans les stratégies directionnelles, de type macro, equity long-short, événementiel, alors que le risque de dislocation est souvent associé aux stratégies d’arbitrage par exemple. » 

Paradoxalement, les stratégies à risque de dislocation, alors qu’elles dégagent des rendements faiblement volatils, peuvent en réalité être plus dangereuses que celles à risque de volatilité. Ce risque de dislocation peut se produire à la suite d’un manque de liquidités sur le marché, à l’origine d’un mouvement totalement inattendu. C’est exactement ce qui s’est produit avec la quasi-faillite du fonds LTCM en 1998. L’effet de tels phénomènes est parfois exacerbé par la présence d’un endettement important (levier) chez les gérants appliquant une stratégie d’arbitrage.

« C’est un risque qui est souvent sous-estimé en raison de l’utilisation de la volatilité comme mesure du risque pour les hedge funds », ajoute Akimou Ossé. Car, pour faire un détour par une notion statistique, la distribution des rendements des hedge funds ne suit généralement pas une loi normale. En d’autres termes, même avec une volatilité faible, des événements extrêmes peuvent se produire sous forme de fortes pertes.

Les points à examiner

Pour le client privé, la première démarche est donc d’obtenir une explication détaillée des stratégies suivies par les hedge funds contenus dans le fonds pour en apprécier le type de risque. II doit également s’intéresser à des aspects apparemment secondaires, mais qui peuvent jouer un rôle crucial en cas de crise. À commencer par la liquidité des hedge funds, c’est-à-dire la possibilité pour le gérant du fonds de fonds de retirer à plus ou moins longue échéance les montants investis.

Un fonds à liquidité limitée peut constituer un véritable piège, comme l’a démontré l’affaire Amaranth : ce fonds avait modifié son style en adoptant une politique beaucoup plus risquée quelques mois avant de faire faillite. De nombreux gérants investis dans ce hedge fund avaient bien noté ce changement de style et une augmentation de la volatilité, mais n’ont pu en sortir avant la débâcle en raison d’un délai de rachat des parts extrêmement long.

L’examen de la liquidité des fonds sous-jacents est aussi très important pour évaluer la vulnérabilité du fonds de fonds vis-à-vis de ses investisseurs. En effet, si le fonds offre une liquidité mensuelle, mais qu’une forte proportion des sous-jacents ne permet le rachat de parts que sur des délais beaucoup plus longs, le fonds de fonds peut se retrouver en sérieuse difficulté s’il doit faire face à de nombreuses demandes de remboursement.

Après avoir analysé le contenu du fonds, le client peut maintenant monter au niveau du fonds de fonds, en se penchant tout d’abord sur sa capacité à sélectionner des hedge funds non seulement en termes de performance, mais aussi pour évaluer la pérennité de la société tant en termes techniques qu’humains. Ce travail, baptisé « due diligence », réclame de gros moyens qui ne peuvent s’improviser. L’investisseur individuel n’aura évidemment pas la possibilité de vérifier que ce travail aura été fait correctement. Le critère déterminant sera sans aucun doute la qualité de l’enseigne et sa réputation sur le marché.

On peut s’interroger sur les fonds de fonds qui ont été pris dans des affaires telles que celle d’Amaranth. Doit-on considérer que des cas similaires constituent un critère d’exclusion ? À cette question, José Galeano répond de manière catégorique : « Cela peut arriver à tous les fonds de fonds. Cela n’a pas été notre cas, mais on ne peut pas toujours échapper aux fraudes ou à de telles dérives, sachant que l’on sélectionne 30 à 40 gérants par an, et ce depuis dix ans.

En revanche, il est beaucoup plus important de savoir quelle était la part d’Amaranth dans les fonds de fonds qui en ont été victimes. Car celui qui n’avait alloué que 3% ou 4% de ce fonds dans son portefeuille aura finalement limité sa perte à ce montant. Certains fonds avaient porté cette part à 15%!»

D’une manière plus générale, il faut donc examiner attentivement la politique du gérant du fonds de fonds dans la pondération des positions dans le portefeuille, en essayant d’en comprendre la raison. « Cela permet de voir la profondeur de la réflexion dans la construction de la part des gérants du fonds de fonds, sachant qu’il y en a encore de nombreux qui se contentent d’une simple allocation équipondérée », affirme ainsi José Galeano.

Autre élément intéressant à considérer, c’est l’effet de levier qu’applique le fonds de fonds, et qui va s’additionner à celui déjà utilisé par les fonds sous-jacents. Chez 3A, par exemple, « cet effet de levier n’est pas utilisé à l’exception d’un produit de niche », indique José Galeano. Tandis que chez LODH, « aucun effet de levier n’est appliqué sur les fonds de fonds de la maison », affirme Daniel Penseyres. Parmi les autres facteurs à considérer, on peut encore mentionner le risque de change : est-il couvert ? Totalement ou partiellement ? Chez LODH, par exemple, il l’est totalement. Enfin, et il s’agit sans doute d’un point extrêmement important : depuis quand le gérant ou l’équipe de gestion sont-ils en place ? Car que valent les performances historiques si les gérants ne sont là que depuis six mois…

Le conservateur favorise les hedge funds

« Plus le client est conservateur, plus la part de hedge funds dans son portefeuille est élevée, lance Daniel Penseyres. Dans les comptes gérés conservateurs en francs suisses, en euros et en dollars américains, cette proportion se monte à 25%, parce que la composante actions est très faible, que les taux sont encore bas en Suisse et que les opportunités sur le marché obligataire sont assez faibles. »

Le contraste est d’autant plus saisissant, ajoute notre interlocuteur, « qu’il y a trois ans, proposer à un client d’introduire des hedge funds dans son portefeuille était considéré comme très risqué ». Or, cette politique implique une très grande prudence dans le choix des produits. C’est ainsi que LODH écarte « tous les hedge funds sujets à accident ou dont la stratégie n’est pas claire. Nous ne voulons pas non plus de stratégie d’arbitrage avec fort effet de levier ou encore les hypothèques américaines dont les modèles d’évaluation qui reposent sur des probabilités nous échappent. C’est pour cette raison que notre philosophie d’investissement est principalement axée sur des stratégies dites liquides, comme les actions long-short ou certaines stratégies d’arbitrage (asset back lending). »

Chez LODH, « la fixation d’objectifs rassure le client. Et nous sommes très disciplinés : nous ne cherchons pas à les surperformer, poursuit Daniel Penseyres. Par exemple, pour un fonds d’actions américaines long-short, l’objectif fixé pour vingt-quatre mois est composé de trois éléments principaux :
• un rendement absolu compris entre 0 et 5%;
• la capture de deux tiers de la hausse du marché ;
• ne pas rendre le portefeuille plus risqué qu’un portefeuille d’actions américaines.

Ne pas être influencé par les frais

Il est intéressant de noter que si la banque Syz prélève une commission de gestion et de performance pour impliquer les gestionnaires dans les résultats, LODH, comme d’ailleurs la plupart des acteurs sur ce marché, n’applique que la commission de gestion (1,5% par an).

Cette politique est justifiée, affirme Daniel Penseyres, par « la volonté de ne pas être influencé par une commission à la performance, alors que le but est de gérer des fonds de hedge funds avec des objectifs qui soient clairs et précis ».

Stratégies et culture d’investissement

On rappellera que pour poursuivre leur but de rendement absolu, les gérants de hedge fund recourent à 4 grands types de stratégie :

• Long-short : ces stratégies consistent à l’achat et à la vente à découvert d’actions sur un même marché, en jouant sur la performance relative des titres achetés et vendus. À l’origine des hedge funds, ces stratégies sont les plus fréquentes et représentent près de la moitié de l’ensemble de ces fonds.

• Valeur relative : aussi appelée stratégie d’arbitrage, elle consiste à tirer profit de différentiels de prix ou de taux jugés anormaux. Par exemple sur le marché des obligations convertibles, car le cours des obligations est presque toujours supérieur à celui des actions qui leur sont associées (en pourcentage). On peut donc acheter l’obligation convertible et vendre à découvert l’action qui lui est liée.

• Trading : les fonds de trading visent à tirer parti des grands déséquilibres macroéconomiques et de leurs effets sur les marchés. On distingue les fonds de type global macro des fonds de contrats à terme (managed futures). Les gérants de ces fonds prennent des positions directionnelles selon leur anticipation sur l’évolution du marché en général.

• Événementiel : les stratégies événementielles (event-driven) cherchent à profiter d’événements majeurs dans la vie des sociétés, telle une opération de fusion acquisition, une faillite, etc.

Sans risque pas de performance

Les hedge funds seraient-ils devenus trop prudents ? C’est du moins la thèse avancée par José Galeano, expliquant les performances décevantes par rapport à la brillante évolution des Bourses au cours de ces deux dernières années. C’est ainsi que la focalisation des investisseurs institutionnels sur le risque et la préservation du capital a obligé de nombreux hedge funds à ne pas prendr e de risques.

Or sans risque, il n’y a pas de performance. En fait, de nombreux gérants de fonds de fonds ne veulent pas prendre de risque. Cette situation est évidemment paradoxale, puisque le propre des hedge funds, à la base, c’est d’optimiser la performance, en essayant d’aligner leur intérêt sur celui de leurs clients. Pour parvenir à cet objectif, ils appliquent, d’une part, des frais de performance – c’est-à-dire qu’ils gagnent moins d’argent lorsqu’ils ne performent pas – et, d’autre part, ils investissent une bonne partie de leur fortune. Et le sélectionneur considère que c’est très important. Si un intermédiaire n’aligne pas ses intérêts sur ceux de ses clients, en cherchant à maximiser la performance, vous perdez une partie de la substance du hedge fund.

José Galeano estime pour cette raison « qu’il est très important de s’attacher à la culture d’investissement de la société qui gère le fonds de fonds, pour évaluer ce degré d’alignement avec les intérêts des clients. Il peut se faire par la participation au capital des gestionnaires, comme c’est le cas chez nous. Si les performances sont mauvaises, nous souffrons avec nos clients. » De même, la nature des commissions prélevées par le fonds de fonds fournira une bonne indication de l’engagement de la société au côté du client. La plupart du temps, ces frais prennent la forme d’une unique commission de gestion, indépendante de l’évolution du portefeuille. « Nous proposons la combinaison d’une commission de gestion et celle de performance, ce qui motive la banque à générer de bons résultats pour ses clients », conclut José Galeano.