Les caisses de pension connaissent une période de turbulences. Racheter des années, pour ceux qui en ont les moyens, reste souvent avantageux, mais à certaines conditions.

«Beaucoup de gens se posent des questions au sujet du 2e pilier», reconnaît Roland Bron, directeur de VZ Vermögens-zentrum Suisse romande. Et la décision de la Finma (lire encadré ci-contre) n’est pas venue rassurer les personnes les plus soucieuses de l’avenir de leur prévoyance. Dans cette perspective, certains craignent de procéder à des rachats quand ils en ont la possibilité. Mais il va falloir bientôt prendre une décision, car «les montants rachetés ne sont parfois pas rémunérés durant l’année: les assurés ont donc intérêt à procéder à cette opération en fin d’année».

Juger au cas par cas

En principe, les rachats d’années sont toujours recommandés en raison des avantages fiscaux qui leur sont liés, à savoir la déduction fiscale pleine et entière de leur montant. Mais cette opération n’est-elle pas risquée en raison des turbulences que traverse actuellement la prévoyance professionnelle? «Tout d’abord, rappelle notre interlocuteur, il n’y a pas un 2e pilier en Suisse, mais des centaines de caisses de pension, à la situation très différente. Il faut donc juger au cas par cas. Par ailleurs, la situation globale n’est pas si mauvaise, puisque le taux moyen de couverture est toujours supérieur à 100%. Pour les caisses en déficit, nous recommandons la prudence. Si le taux de couverture s’avère inférieur à 95%, un rachat n’est pas conseillé.» En effet, dans ce cas, les mesures d’assainissement qui seraient sans doute prises pourraient consister en une rémunération abaissée, voire nulle, de l’avoir de vieillesse. Il serait donc judicieux de chercher d’autres alternatives de placement en attendant le redressement des comptes de la caisse. Par exemple sous la forme d’un 3e pilier lié. Mais on ne peut évidemment pas se limiter au critère du taux de couverture. Il faut également prendre en compte le niveau de la réserve de fluctuation de valeurs, qui doit servir de coussin en cas de chute des investissements risqués. Pour les caisses qui prennent le plus de risque, le taux de couverture doit donc être plus élevé que pour celles qui sont plus prudentes. Outre ces indicateurs, il faut aussi considérer la structure de l’institution de prévoyance, ajoute Roland Bron: «La répartition entre personnes actives et retraitées est importante pour évaluer la capacité d’une caisse en déficit à faire remonter son taux de couverture.» En d’autres termes, une caisse qui compte une proportion élevée de retraités, et dont les rentes sont donc fixées jusqu’à leur décès, aura beaucoup de peine à redresser la situation.

Primauté de cotisations ou de prestations

Si les rachats s’avèrent justifiés, encore faut-il choisir le bon échéancier. Mais, auparavant, il faut distinguer entre primauté de prestations et primauté de cotisations. On rappellera qu’en primauté de prestations, la rente est fixée par un taux de pourcentage du dernier salaire, tandis qu’en primauté de cotisations, elle sera calculée par l’accumulation des cotisations et du rendement des capitaux. La différence entre les deux systèmes est cruciale en cas de rachat, explique Albert Gallegos, responsable du conseil patrimonial et prévoyance de la Banque Cantonale de Genève: «Les lacunes de cotisations dans les caisses en primauté de prestations deviennent de plus en plus coûteuses au fil du temps, contrairement à celles des caisses en primauté de cotisations. Ce qui s’explique par le fait que la part de rente à racheter est définie à l’avance pour le moment du départ en retraite. Ainsi, plus la retraite est éloignée, moins les montants à verser sont élevés. Les assurés dans les caisses à primauté de prestations ont donc avantage à combler leurs lacunes rapidement.» Il en va différemment dans les caisses à primauté de cotisations, poursuit notre interlocuteur: «Le montant racheté est crédité sur l’avoir de vieillesse: le coût à la charge de l’assuré est donc identique quel que soit son âge. Mais, évidemment, l’impact des intérêts composés sur ces rachats sera d’autant plus grand qu’ils auront été effectués en début plutôt qu’en fin de carrière.»

Calendrier de l’assuré

Le principe de base est d’éviter des rachats massifs en une seule fois, mais plutôt de les échelonner sur plusieurs années. Non seulement parce que le versement pourrait dépasser le revenu imposable, mais aussi parce que l’impôt est progressif, c’est-à-dire que les déductions fiscales sont particulièrement avantageuses pour les tranches de revenus les plus hautes. Par exemple, un rachat de 100 000 francs étalés sur cinq ans à raison de 20 000 francs par an, pour un revenu imposable de 150 000 francs par an, permettrait une économie fiscale nettement plus élevée que si les 100 000 francs étaient rachetés d’un coup. Toujours en primauté de cotisations, il peut être intéressant de repousser le plus tard possible les rachats éventuels, surtout si l’institution de prévoyance n’assure que des rendements très faibles. Il pourrait en effet s’avérer plus judicieux d’investir entre-temps sur d’autres instruments financiers, et de procéder aux rachats quelques années avant le départ en retraite. Mais, dans ce cas, pour ceux qui voudraient retirer leur capital, il faudra impérativement effectuer ces rachats au moins trois ans avant cette échéance, sinon ces fonds pourraient être bloqués et ne plus pouvoir être retirés, selon un récent arrêt du Tribunal fédéral. Une autre question est de savoir s’il faut racheter la totalité de ses lacunes de cotisations si on en a les moyens. Pas forcément, comme l’explique Albert Gallegos: «Il faut partir du principe qu’il faut racheter le montant nécessaire pour la rente que l’on souhaite recevoir à la retraite. Si l’assuré dispose d’un plafond de rachat plus important, il doit réfléchir comme un investisseur, en comparant les rendements, pour autant qu’il puisse retirer son capital à l’échéance.»

L’accession à la propriété limitée

De nouvelles règles restreignent le retrait ou la mise en gage de son 2e pilier.

La nouvelle est tombée à la fin du printemps, sans crier gare: depuis le 1er juin dernier, les preneurs de crédits hypothécaires doivent, d’une part, fournir au moins 10% de fonds propres qui ne proviennent pas de la mise en gage ou d’un retrait anticipé des avoirs de prévoyance au titre du 2e pilier; d’autre part, la dette hypothécaire devra être amortie de manière à ce qu’elle ne représente plus que deux tiers de la valeur de nantissement de l’immeuble sur une durée maximale de vingt ans. Si la limitation du retrait ou la mise en gage de son 2e pilier va sans doute restreindre la sortie de capitaux des caisses de pension au titre de l’accession à propriété immobilière, il ne s’agit en fait que d’un effet indirect. Comme l’indique la Finma, cette décision réduit le risque que les candidats aux moyens modestes mettent «en danger leur capital de prévoyance et donc leur propre rente». C’est un avis que partage Roland Bron: «Nous avons toujours été relativement prudents avec les recommandations de prise de son capital de 2e pilier pour l’accession à la propriété. En effet, l’idée à la base est de compenser le trou dans sa prévoyance causé par l’exécution d’un plan d’épargne et de reconstituer son avoir de vieillesse. Or la réalité montre que ce n’est généralement pas le cas, entraînant des problèmes pour l’assuré au moment où il arrive en retraite.»

Allant dans le même sens, Albert Gallegos déconseillait l’usage des fonds de son 2e pilier dans ce but depuis longtemps, d’autant plus avec des taux d’intérêt très bas et des prix de l’immobilier qui sont très élevés. En effet, explique le spécialiste: «Si vous videz votre caisse de pension pour acquérir un bien immobilier, vous êtes exposé à un retournement de marché. Si, pour votre malheur, vous êtes victime d’un accident professionnel ou personnel et que vous soyez obligé de vendre à ce moment-là, vous risquez de perdre ce que vous aviez sorti de votre 2e pilier. Vous seriez alors doublement pénalisé.»