Le net recul du bitcoin au cours de ces dernières semaines est-il de nature à faire entrer cet actif numérique dans son portefeuille pour profiter de l’opportunité de cours avantageux ? Si l’on présente un profil de risque modéré, c’est-à-dire que son portefeuille serait de type équilibré (60 % en actions, 40 % en obligations), ce n’est pas forcément une bonne idée, si l’on en croit l’étude CIO Office Viewpoint_bitcoin_2025.10.28_FR.pdf de Lombard Odier publiée à mi-octobre et intitulée « Bitcoin, et pourquoi tout ce qui brille n’est pas d’or ». Cette recherche établit l’impact, en termes historiques, de l’introduction d’une part croissante de bitcoins dans un portefeuille équilibré, soit respectivement 2 %, 5 % et 10 %. Comme on le voit ci-dessous, la volatilité du portefeuille passe progressivement de 7,9 % en l’absence de bitcoins à une volatilité totale de 14,1 %, soit le doublement de la volatilité du portefeuille !

« Comme véhicule de placement, les rendements moyens du bitcoin sont bien entendu à la mesure de sa volatilité », nous précise l’auteur de cette étude, Nannette Hechler-Fayd’herbe, responsable stratégie d’investissement, durabilité et recherche, CIO EMEA auprès de la banque genevoise. Mais l’introduction de bitcoins au-delà d’un certain seuil dans le portefeuille change sa nature de façon significative. » En d’autres termes, le portefeuille devient trop agressif par rapport au profil de risque modéré.

Pourquoi un tel impact ?

On pourrait s’étonner d’un impact aussi grand sur la volatilité totale des portefeuilles qui contiendraient le crypto-actif. Cela s’explique non seulement par sa volatilité très élevée, mais aussi par la corrélation positive entre l’évolution des marchés des actions et celle du bitcoin. En effet, ce dernier s’avère particulièrement sensible aux conditions de liquidités du marché, et monte de concert avec les actions lorsqu’elles sont abondantes. Et au contraire, en période d’incertitude, le bitcoin tend à reculer avec l’ensemble du marché.

Ainsi, la reine des cryptomonnaies, selon l’expression consacrée, ne jouerait pas ce rôle de valeur refuge en cas de crise qu’on lui attribue souvent, contrairement au métal jaune. En effet, l’or physique s’avère bien moins volatil, et « brille surtout en période d’incertitude, ce qui lui confère des qualités de diversification de portefeuille bien différentes de celles du bitcoin », écrit la stratège de Lombard Odier. C’est donc une véritable valeur refuge. Logiquement, à l’inverse, l’or recule lorsque les marchés des actions retrouvent des couleurs, même si sa progression spectaculaire au cours de ces dernières années contredit quelque peu cette affirmation. Mais l’environnement géopolitique très incertain et les achats massifs d’or par des banques centrales n’y sont évidemment pas étrangers.

Que fait la concurrence ?

Si l’on regarde d’autres acteurs du marché, il est difficile d’obtenir des informations sur ce qui est effectivement proposé à leur clientèle. On sait que du côté de certaines grandes institutions américaines, la part de bitcoins recommandée dans les portefeuilles s’échelonne entre 1 % et 4 %, selon le profil de risque du client.

Par ailleurs, si l’on se réfère à Morningstar, dans un article (Comment utiliser le bitcoin dans votre portefeuille | Morningstar France) publié le 17 août dernier consacré aux cryptomonnaies, on y constate une grande circonspection à leur égard : « Nous pensons qu’elles ne devraient occuper qu’une petite partie d’un portefeuille diversifié, et seulement si vous avez l’intention de les conserver pendant au moins dix ans avant de les vendre. » Plus précisément, ajoute Morningstar, « une pondération de 5 % ou moins dans un portefeuille semble prudente, et de nombreux investisseurs peuvent souhaiter ne pas y investir ».

Dix ans de conservation ?

Ces dix ans recommandés peuvent surprendre. Mais ils correspondent, selon Morningstar, « à la fréquence historique des pertes sur différentes périodes allant d’un an à dix ans », ainsi qu’à la prise en compte du « délai maximum de récupération, c’est-à-dire le temps qu’il faut généralement pour se remettre d’une baisse ».

Cette extrême prudence vient sans doute également de la difficulté à attribuer une estimation à un actif qui n’a aucune valeur intrinsèque. Il n’y a pas d’éléments sur le plan fondamental pour déterminer son rendement attendu, reprend Nannette Hechler-Fayd’herbe : « Contrairement aux actions, les cryptomonnaies n’ont ni bénéfices ni flux de trésorerie permettant d’établir leur valeur de marché. Le cours du bitcoin dépend de l’offre et de la demande globale et est influencé par le sentiment de marché, le degré d’adoption, les avancées technologiques et le contexte macroéconomique. »

Appel à l’analyse technique

Les analystes ne sont toutefois pas entièrement démunis pour tenter de cerner la direction que peuvent prendre les crypto-actifs. En effet, ils disposent d’une batterie d’outils issus de l’analyse technique et notamment l’analyse graphique, comme le rappelle la responsable auprès de Lombard Odier, qui permet de se passer des fondamentaux.

Cette technique repose en effet exclusivement sur l’analyse de l’évolution du cours des valeurs sous-jacentes, avec les volumes de transactions – quand ils sont disponibles. Elle va ainsi aider à mettre en évidence des tendances au moyen d’un certain nombre de constructions graphiques, à commencer par les moyennes mobiles et les résistances ou soutiens, telles que je les ai décrites dans mon article « Comment utiliser l’analyse technique à bon escient » publiée initialement le 23 octobre 2023 dans le magazine Bilan, ainsi que dans « Comment combiner analyse technique et fondamentale ? », dans le même magazine le 27 mars 2024.

« En l’absence d’outils permettant de déterminer sa juste valeur, précise notre interlocutrice, l’analyse des graphiques et des tendances peut fournir une indication sur la confiance, et non pas une opinion, quant à l’évolution possible du bitcoin. »

Intérêt des investisseurs

L’absence du bitcoin dans les grilles de placement de la banque genevoise n’empêche pas ses analystes de suivre attentivement l’évolution de « ce véhicule d’investissement, liquide et qui est échangé sur les marchés ». Ce suivi est d’autant plus nécessaire qu’il s’agit aussi de répondre aux demandes des clients qui s’y intéressent, voire qui en possèdent déjà, afin « qu’ils puissent calibrer avec soin leurs expositions aux risques. » Enfin, conclut-elle, les cryptomonnaies, et le bitcoin en particulier, du fait de « leur volatilité et le caractère extrême de leurs baisses font qu’ils ne constituent ni des actifs ni une réserve de valeur comparable à ceux que nous détenons dans nos allocations d’actifs stratégiques. »