La protection systématique des portefeuilles n’a de sens que pour les obligations en monnaies étrangères, dont on peut d’ailleurs facilement se passer en optant pour des obligations étrangères, qui sont émises en franc suisse

Si la gestion de fortune repose sur la diversification à l’échelle internationale, ce principe de base entraîne avec lui un risque non recherché: le risque de change. La question n’est pas nouvelle, mais suscite régulièrement des études pour montrer la nécessité de s’en protéger, comme l’a fait UBS en décembre de l’an dernier, ou encore Credit Suisse, en mars de la même année 1.

Ces différents documents tendent à montrer que le risque de change est un mauvais risque. Pour simplifier, prenons un pays A dont les taux d’intérêt élevés se justifient par une forte inflation. Un pays B propose des taux inférieurs, mais avec moins d’inflation. En théorie, la devise du pays A va se déprécier au fil du temps par rapport à celle du pays B, au point de compenser le différentiel de taux d’intérêt entre les deux monnaies. Mais cela n’est valable que sur la longue durée. Dans le court et moyen terme, les variations de change, qui peuvent s’avérer de très grande ampleur, vont se répercuter sur les performances de l’investisseur particulier lorsqu’elles sont converties dans sa monnaie de référence, c’est-à-dire celle dans laquelle il compte et dépense son argent. Soit en général le franc pour un résident en Suisse.

Si le risque de change touche de plein fouet les obligations, les actions sont aussi concernées, mais à un moindre degré. UBS estime ainsi que le risque de change peut représenter entre 40 et 80% du risque total pour les obligations en monnaies étrangères, mais seulement entre 15 et 40% pour les actions hors de la monnaie de référence. Cette sensibilité réduite s’explique par deux facteurs: d’une part, les actions peuvent dégager des rendements nettement plus élevés que les obligations, compensant très largement les fluctuations des changes; d’autre part, la devise et le marché qui lui est lié font parfois montre de mouvements contradictoires, surtout dans les périodes où la monnaie prend le statut de valeur refuge. C’est ce qui s’est par exemple produit lors de la crise financière de 2008: la chute du marché des actions américaines s’est accompagnée par l’appréciation du dollar.

Dans cette perspective, les deux grands établissements bancaires jugent nécessaire de couvrir presque intégralement le risque de change pour les obligations et, logiquement, dans une moindre mesure pour les actions. Pour l’investisseur individuel qui veut mettre en œuvre une telle stratégie, il existe de multiples manières de se protéger, mais la plus classique reste les contrats à terme sur devises. Il s’agit de vendre à terme la position à couvrir, pour des périodes allant de un à trois mois, en renouvelant l’exercice à chaque échéance. Le prix de cette couverture va correspondre au différentiel de taux d’intérêt à court terme entre la monnaie à couvrir et la monnaie de référence, en l’occurrence le franc. Mais cela ne résout pas la question de savoir quelle proportion du portefeuille en monnaies étrangères il faut couvrir.

On peut toutefois sérieusement se demander si cette stratégie est bien nécessaire. En effet, comme l’explique Constantino Cancela, responsable de la gestion d’actifs auprès de la Banque Cantonale de Genève (BCGE): «Si l’on souscrit à des obligations en monnaies étrangères, il faudrait peut-être les couvrir de manière systématique contre les variations de change. Mais lorsqu’on veut s’exposer à des débiteurs internationaux, il est beaucoup plus simple de souscrire à des obligations étrangères, c’est-à-dire des titres émis en franc suisse par des débiteurs domiciliés à l’étranger. On obtient ainsi la diversification recherchée, sans être pénalisé par un risque de change.»

Pour les actions, on n’a en revanche pas le choix d’investir dans des titres libellés en monnaies étrangères si l’on veut sortir du marché suisse. Pourtant, la couverture des changes est là encore loin d’être impérative, comme l’affirme notre interlocuteur: «Investir en actions, c’est aller chercher la performance de l’entreprise ou du marché sur lequel elle est cotée. Si vous avez vu juste sur l’évolution de l’entreprise ou du marché, la baisse de la devise n’est généralement pas trop conséquente, même dans des situations extrêmes, comme l’a illustré la bourse japonaise l’an dernier: le yen a baissé de 20% mais le marché des actions s’est parallèlement apprécié de plus de 50%. Ce cas de figure est impossible sur le marché obligataire car les rendements ne sont jamais aussi élevés pour compenser la chute de la monnaie.»

Toutefois, la banque ne renonce pas à toute couverture de change dans le cadre de la gestion de fortune, précise Constantino Cancela: «Lorsqu’on dispose d’une vision suffisamment forte, comme c’était justement le cas avec la politique de la banque centrale japonaise en 2013, dont on pouvait prévoir qu’elle allait faire baisser fortement le yen, on peut mettre en place des couvertures. Et c’est ce qu’on a fait, car cela en valait la peine. Mais le reste du temps c’est aléatoire et difficile à exécuter. Il faut ainsi avoir réponse aux trois questions suivantes: quand commencer, pour combien de temps et avec quel instrument?»

En résumé, si l’on s’occupe soi-même de la gestion de son portefeuille, il est sans doute préférable d’accepter l’exposition au risque de change pour les actions étrangères et de privilégier les obligations émises en franc suisse. En revanche, si l’on intègre tout de même quelques obligations en monnaies étrangères, il serait judicieux de les protéger contre le risque de change, en choisissant par exemple des parts de fonds hedgés en franc suisse.

1. UBS, «Focus» 02.2013, «Couverture de change: figure imposée ou programme libre?». Credit Suisse, «Trends» 02/03.2013, «La couverture de change dans un contexte de portefeuille international».