Avec la montée du chômage et la persistance de la morosité économique, les prévisions conjoncturelles prennent un relief particulier. Elles sont rapportées par les médias avec d’autant plus d’ampleur que l’environnement économique s’assombrit. Et elles sont écoutées avec le respect dû à la qualité d’experts de ceux qui les émettent. Mais est-ce bien justifié? Pas si l’on en croit de multiples études, qui concluent à la médiocrité de l’ensemble de ces prévisions.

Une des recherches les plus récentes, celle du FMI, affirmait que les prévisions des économistes les plus chevronnés n’étaient pas plus fiables que celle d’une simple projection de la croissance sur la base des douze mois précédents? Résultat qui corrobore des études plus anciennes, qui montraient que les prévisions n’affichaient de bons scores que lorsque la tendance se poursuivait, mais qu’elles rataient régulièrement leur cible en cas de retournement conjoncturel: la force des reprises a souvent été sous-estimée de même que la gravité des récessions.

Ces résultats sont généralement mal reçus par les professionnels de la prévision, qui voient leur légitimité mise en cause. Mais plutôt que de se battre sur ces différentes statistiques, il est sans doute plus intéressant d’essayer d’en comprendre la raison, comme l’a fait David Dreman, auteur et financier de renom, dans «Contrarian Investment Strategies: the next generation» (Ed. Simon & Schuster).

Tout d’abord, pour apporter un peu de baume sur l’ego des experts en prévisions économiques, on peut les rassurer: leurs erreurs sont humaines? et surtout inévitables. Et l’on ne peut guère compter sur l’effet de l’expérience pour améliorer les choses. En effet, comme l’a montré le psychologue Herbert Simon, Prix Nobel d’économie 1978, les êtres humains fonctionnent avec une rationalité limitée ou procédurale. Ainsi, explique Herbert Simon, nous avons à faire face à deux types de problèmes: d’une part, les problèmes «bien structurés» pour lesquels existent des algorithmes ? processus ? de résolution; d’autre part, les problèmes «mal structurés».

On comprend facilement que les problèmes «bien structurés» sont prévisibles par un expert: diagnostiquer la réparation d’un engin mécanique par exemple. En revanche, les problèmes «mal structurés», telle la prédiction de l’évolution de l’économie, sont d’un tout autre ordre de complexité, avec ses milliers de variables. Pour essayer d’approcher de la réalité, il faut modéliser, simplifier l’extrême.

Malheureusement les exigences pour obtenir un résultat honorable dépassent de très loin les capacités humaines. En fait, note Herbert Simon, face à une information qui les submerge sous une foule de données, les gens n’en sélectionnent qu’une toute petite partie. Pas de manière neutre, mais qui est cohérente avec leur modèle et leur vision du monde, en éliminant tout ce qui lui est étranger. C’est-à-dire, en suivant un cheminement intellectuel complètement biaisé, expliquant par là les grandes différences d’interprétation constatée.

Cette découverte qui paraît presque triviale a posteriori ? comme toujours ? devrait être tout à fait familière à tout expert en problèmes «mal structurés». On pourrait donc s’étonner de leur manque de prudence en la matière. Mais ce serait sans compter ce biais qui nous frappe tous ? à moins d’être déprimé ?, c’est la confiance exagérée en nos propres capacités, à se penser généralement au-dessus de la moyenne: la plupart des gens pensent par exemple qu’ils font partie des meilleurs conducteurs.

Mais les experts ne seraient-ils pas quelque peu épargnés de ce vice mental, grâce à leur immense savoir dans leur domaine de recherche? Paradoxalement, c’est le contraire qui se produit, comme l’a montré Paul Slovic, célèbre psychologue américain. Le phénomène de confiance exagérée s’aggrave avec l’augmentation des connaissances, alors que la capacité de prédiction reste au même niveau? Il suffit d’assister à n’importe quel débat sur des grands sujets de sociétés ? complexes par définition ? pour observer ce phénomène à l’œuvre.