De nombreuses plateformes concurrencent désormais les bourses historiques. Au grand profit des traders à haute fréquence

La capitalisation boursière américaine dépasse toujours outrageusement celle des autres marchés de la planète, comme le montrent les statistiques publiées régulièrement par la World Federation of Exchanges (WFE), suivie de loin par celle du Japon. Mais ces données peuvent être trompeuses, car une grande partie des échanges ne passe déjà plus par les bourses traditionnelles – seuls membres du WFE – comme c’est le cas notamment aux Etats-Unis, où BATS Global Market fait pratiquement jeu égal avec le NYSE, tandis qu’il est très présent sur le marché européen.

A l’origine de cette évolution spectaculaire, deux mouvements législatifs majeurs ont eu lieu de part et d’autre de l’Atlantique. Ainsi en 2005, les Etats-Unis ont procédé à une réforme de leur réglementation en matière boursière, en adoptant le National Market System (NMS), suivis en 2007 par l’Union européenne avec MiFID I, pour Markets in Financial Instruments Directive.

Avec des modalités différentes, ces deux législations ont visé à doper la concurrence au profit de la clientèle, en attirant de nouveaux opérateurs sur le marché. Il en a résulté une multiplication des plateformes, offrant de nouvelles possibilités d’échanges en termes de vitesse, de coûts et de transparence, sous forme électronique. Par ailleurs, une partie des transactions est aujourd’hui exécutée de manière anonyme dans ce qu’on appelle des «dark pools», où les investisseurs institutionnels peuvent transmettre leurs ordres sur de gros blocs de titres, en toute discrétion et sans provoquer de remous.

Resserrement des spreads et courtages réduits

La mutation dans la structure des marchés a profondément modifié la manière de passer les ordres. Auparavant, un ordre de bourse, même de grande taille, était en principe traité sur la bourse nationale. Tout cela a disparu, pour laisser place à des «smart order router» qui guident l’ordre vers le meilleur prix possible sur les différentes plateformes. Etant donné la fragmentation des marchés, il faut scinder les ordres de grande taille en une multitude de petits ordres sur chacune des bourses, car le nombre de titres disponibles sur chacune des places d’échanges s’est beaucoup réduit.

Cette transformation des marchés a eu pour effet de resserrer les spreads – c’est-à-dire les écarts entre le prix offert et demandé –, tandis que les courtages baissaient également de manière sensible.

Le trading à haute fréquence

La rapidité de cette évolution s’explique grandement par l’apparition du trading à haute fréquence (THF), où les transactions s’opèrent à des vitesses foudroyantes et toujours plus grandes, selon des algorithmes (suite d’instructions) sous forme de programmes informatiques. Le développement de ce phénomène a pris une telle ampleur que le THF représente aujourd’hui pas moins de 60% des échanges sur le marché américain et 30% sur les marchés européens.

Le rôle joué par les traders à haute fréquence est très controversé. Mais tout dépend de leur activité, qui peut correspondre à du «market making», c’est-à-dire en proposant continuellement un prix auquel ils achètent une action et un prix supérieur auquel ils la vendent, dans l’espoir de dégager l’écart – le spread – entre les deux, mais en révisant les prix en fonction des changements de marché de manière infiniment plus rapide que l’être humain ne pourrait le faire. Certains observateurs estiment ainsi qu’ils jouent un rôle bénéfique en aidant à diminuer la volatilité et les spreads, et en augmentant la liquidité.

En revanche, ces robots traders peuvent s’avérer de véritables prédateurs lorsqu’ils tentent d’engranger des gains en créant de légères distorsions de prix à court terme ou en étant systématiquement plus rapides que la plupart des autres intervenants. C’est le cas décrit par Michael Lewis dans son best-seller «Flash Boys», où l’on voit les traders à haute fréquence profiter de ce que les différentes tranches d’ordres n’arrivent pas exactement en même temps sur toutes les plateformes. Ce décalage leur permet de tirer parti de l’information liée au paquet de titres atteignant la première bourse, grâce à leur accès ultrarapide au carnet d’ordres. Ils peuvent ainsi devancer le flux de demandes d’exécution destiné aux autres places d’échanges: s’il s’agit d’un ordre d’achat, par exemple, ils acquièrent les titres avant le donneur d’ordre pour les lui revendre éventuellement, mais plus cher.

Grandes manœuvres autour des marchés traditionnels

Parallèlement à cette accélération grandissante des échanges, les grands marchés traditionnels connaissent également de grands changements. C’est ainsi que NYSE Euronext était acquis par IntercontinentalExchange (ICE) – bourse de produits dérivés – en 2013. Le nouveau propriétaire n’était toutefois guère intéressé par les activités au comptant d’Euronext, qu’il a remises sur le marché au printemps 2014, en conservant toutefois Liffe, bourse européenne de produits dérivés.

Par ailleurs, en Asie, ce sont les bourses de Tokyo et d’Osaka qui ont fusionné au début de 2013, pour donner naissance au Japan Exchange Group. Cette démarche était soutenue depuis longtemps par les autorités nippones, pour contrer la concurrence des places asiatiques comme Hongkong, Shanghai et Singapour. La fusion avait d’autant plus de sens que Tokyo domine largement le marché des actions japonaises, tandis qu’Osaka est spécialisée sur le marché des produits dérivés.