Le monde secret et à la réputation sulfureuse des hedge funds n’échappe pas à la crise financière. Ces instruments financiers subissent des retraits importants depuis quelques semaines. Compte tenu de l’effet de levier de ces fonds, faut-il craindre une amplification de la crise boursière consécutive aux liquidations forcées de portefeuilles? Car les montants nécessaires doivent servir non seulement à rembourser les investisseurs, mais aussi à rendre les fonds empruntés.

Face à ces inquiétudes, Eric Syz, associé de la banque Syz & Co, un des spécialistes de la gestion alternative à Genève, met au contraire en avant la bonne résistance d’un secteur qui pesait encore 1900 milliards de dollars il y a un an. Dans un entretien avec Le Temps, il juge que l’alternatif «a bien joué son rôle d’amortisseur: depuis le début de l’année, il n’a perdu que 15% de sa valeur, contre plus de 50% pour les actions!»

Les banques plus risquées

Le patron de l’établissement genevois estime en outre que «le fort endettement ne se trouve pas tellement dans les hedge funds, mais dans les banques. Le bilan de certaines banques est monté jusqu’à 2500 milliards de dollars, pour des fonds propres de 50 milliards! Soit un levier de 50 fois. Chez Lehman, c’était pire, puisque ce levier était de 100 fois. Le paradoxe, c’est que ce sont ces mêmes banques qui ont imposé aux hedge funds des critères de crédit extrêmement sévères. Elles ont donc été beaucoup plus prudentes envers les hedge funds qu’avec elles-mêmes.»

Par ailleurs, Jean Keller, directeur général de 3A SA, la division de gestion alternative du groupe Syz, avance que «la meilleure gestion du risque par les hedge funds s’explique par le modèle adopté: le gérant engage une énorme part de sa fortune personnelle. Cette situation détermine ainsi une attitude plus conservatrice face aux risques.» Ce qui explique sans doute, ajoute Eric Syz, que «les hedge funds ont été très peu impliqués, selon mes informations, dans le marché des subprime, de ses avatars et autres dérivés, sinon par des ventes à découvert».

Taux de disparition «toujours élevé»

Jean Keller rappelle que «ce sont les hedge funds qui ont publiquement tiré la sonnette d’alarme en 2006 déjà». Ce qui n’empêche pas ces véhicules de placement d’être accusés de jeter de l’huile sur le feu, au point de se voir interdire les ventes à découvert dans presque tous les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). «Cette mesure complique évidemment l’activité des fonds, reconnaît Jean Keller. Mais vous pouvez utiliser d’autres instruments, comme des options, des futures ou encore des «shorts synthétiques». Il est à relever que cette interdiction n’a pas empêché la poursuite de la chute de ces valeurs, qui s’est au contraire accélérée.»

Reste que les hedge funds accusent des retraits importants de la part de leurs clients. Sur le seul mois de septembre, les fonds alternatifs américains ont vu s’enfuir au moins 43 milliards de dollars, selon les statistiques de l’institut de recherche spécialisé TrimTabs. Cela pourrait provoquer la perte de plus d’un véhicule. «Le taux de disparition des hedge funds est toujours élevé! clame Jean Keller. On lit dans la presse que 20% de ces véhicules de placement vont mettre la clé sous la porte. Mais ce sont chaque année entre 10 et 20% des fonds qui ferment. Car si vous avez de mauvaises performances, vous disparaissez rapidement. C’est d’ailleurs la grande différence avec la gestion traditionnelle, où des fonds qui enregistrent des performances médiocres parviennent tout de même à survivre pendant des années.»

Mais en cas de panique un fonds, même bien géré et modérément endetté, ne risque-t-il pas d’être emporté par la tempête? «Face à ce risque, répond Jean Keller, il est toujours possible de poser des «gates», c’est-à-dire des limites temporaires aux retraits. Cette possibilité existe pour tous les fonds. C’est d’ailleurs ce qui distingue les banques, qui doivent équilibrer leurs comptes chaque jour, des hedge funds, qui peuvent décider de geler les remboursements jusqu’à un délai de plus de six mois. Dans le cas d’une crise de panique, c’est d’ailleurs le meilleur choix pour tout le monde.»

Malgré cette attitude très positive vis-à-vis des hedge funds, la banque a légèrement réduit son exposition dans la gestion alternative pour sa clientèle sous mandat. N’est-ce pas un manque de confiance dans ce type d’instruments? «Pas du tout, affirme Eric Syz. Car nous avons également diminué notre allocation en actions. Cette décision s’inscrit dans la réduction au risque de marché, impliquant donc également l’abaissement de la part consacrée aux hedge funds.»