Selon Rolf Banz, le père de la théorie du «small size effect», la gestion passive n’existe pas au niveau de l’allocation d’actifs, car elle résulte toujours d’une décision active

Après avoir enseigné plusieurs années dans de prestigieuses écoles de commerce au Canada, aux Etats-Unis et en France, Rolf Banz a créé une société d’investissement concentrée sur les petites capitalisations. Après avoir vendu son affaire en 1991 à Allianz Capital, il en devient responsable pour toutes les activités internationales en actions, pour rejoindre ensuite Pictet Asset Management (PAM) et officier dans des positions de direction durant une quinzaine d’années. A la retraite depuis peu, il reste très actif et est devenu ­consultant pour PAM.

Le Temps: Il semble que les investisseurs institutionnels se tournent de plus en plus vers la gestion passive. Comment expliquez-vous ce phénomène?

Rolf Banz: Certains gérants de fonds sont responsables de ce développement, car pendant longtemps ils ont prétendu faire de la gestion active, alors que ce n’était pas le cas, en s’écartant peu des indices sous-jacents. Comme on les appelle dans le jargon, il s’agit de closet-indexers. C’était trop cher pour la valeur ajoutée qu’ils dégageaient.

Par ailleurs, tout le monde apprécie la gestion active quand cela marche, avec un tracking error (écart de performance par rapport à son indice de référence) élevé. Jusqu’au moment où ce tracking error se traduit en une sous-performance, même temporaire. Or les caisses de pension, particulièrement en Suisse, s’intéressent énormément à la performance sur une année de calendrier et supportent donc mal ce risque.

Une autre raison souvent évoquée, en particulier dans les milieux académiques, c’est l’incapacité de la grande majorité des gestionnaires actifs à battre le marché sur la longue durée. Qu’en pensez-vous?

Si l’on parle de la moyenne, c’est tout à fait vrai. Il ne s’agit ni de philosophie ni de croyance dans l’efficacité des marchés, mais d’arithmétique, car les investisseurs sont le marché. Donc, avant la prise en compte des frais, nous devons avoir la performance du marché. Et après frais, la moyenne des investisseurs doit sous-performer. Si nous devions tous suivre la même stratégie, il faudrait qu’elle soit passive. Mais l’argument est un peu court, car il suppose que personne ne serait capable de battre le marché.

Comment dénicher les perles rares?

Le problème, c’est qu’on ne sait pas a priori si un gérant qui a dégagé une bonne performance sur dix ans par exemple a bénéficié de beaucoup de chance, s’il y a eu des biais stratégiques ou s’il la doit à son savoir-faire. Par ailleurs, et c’est un autre point important, quelle que soit l’origine de ses résultats, le fonds n’aura souvent plus la même masse sous gestion qu’au début de la période prise en compte. Il faut donc que l’entreprise ou le gérant ait la discipline de limiter les flux dans le produit. Par ailleurs, on doit essayer de comprendre comment le gestionnaire est parvenu à ce résultat: s’il a réussi à bien performer dans des phases de marché très différentes, cela veut dire quelque chose. Mais on ne peut jamais simplement acheter de la performance, comme le font d’ailleurs de nombreux investisseurs individuels: ils acquièrent ce qui a récemment bien marché et, comme il y a souvent un peu de régression vers la moyenne, ils ont une mauvaise performance parce qu’ils y entrent au mauvais moment.

La question des frais est devenue aujourd’hui centrale dans la gestion des caisses de pension et les pousse également vers les produits indiciels. Que pensez-vous de cette évolution?

Je trouve que les conséquences de la réglementation sur la transparence sont un peu absurdes. Finalement, ce qui devrait intéresser les clients, ce sont les performances, après frais. Mais comme les performances sont difficiles à contrôler directement, on s’attache aux frais. Et si l’on veut simplement minimiser ces derniers, on y parvient, mais avec un portefeuille composé uniquement de produits passifs. On élimine ainsi complètement certaines classes d’actifs, parce qu’on ne peut pas se les procurer pour 5 ou 10 points de base tels l’immobilier direct, le private equity ou encore l’investissement dans les infrastructures. Pour une caisse de pension suisse, ce sont des placements qui me paraissent d’autant plus raisonnables qu’ils permettent de réduire la volatilité apparente. Par exemple, l’immobilier direct est beaucoup plus volatil que l’immobilier indirect, même si on l’investit dans la même chose, de même que les actions cotées par comparaison avec le private equity. Ce qui est une bonne chose pour les caisses, car même si la réglementation les force à s’attacher à la performance annuelle, ce sont des investisseurs à long terme.

Pour les caisses de pension suisses, la pression sur les frais conduit donc à une concentration sur les classes d’actifs traditionnelles, soit les actions suisses, étrangères, ainsi que les obligations, en francs suisses et en monnaies étrangères, avec un peu d’immobilier. L’immobilier direct sera sans doute limité à la Suisse parce que c’est moins cher qu’à l’étranger. Ce qui aura pour conséquence une exposition énorme aux obligations, limitée aux titres de qualité supérieure, qui ne produit pratiquement aucun rendement. Cette fixation sur les frais me paraît donc très dangereuse pour les caisses qui appliquent cette politique de manière rigoureuse, car elles auront un problème de diversification.

Avec leurs frais très élevés, les hedge funds sont également sous le feu de la critique. Est-ce que ces coûts se justifient?

Il est clair que les frais élevés des produits alternatifs entraînent une pression politique pour les réduire dans les caisses publiques. Je ne crois pas aux hedge funds miracles, mais, comme investisseur, je cherche un gérant qui doit ajouter de la valeur. C’est ainsi probablement plus raisonnable d’utiliser quelqu’un qui se donne un peu plus de liberté. Car si l’on considère une gestion active qui est «long only» (sans ventes à découvert), qui a des contraintes de positions et de risque sévères, il devient presque impossible, à un moment donné, de battre le marché après frais. C’est un problème qui se manifeste partout, en particulier dans la gestion obligataire. C’est pourquoi certaines institutions poursuivent une stratégie passive à un extrême et recourent à des hedge funds, en comptant sur une performance plus intéressante.

La distinction entre gestion active et passive paraît parfois un peu floue selon les intervenants au débat. Quelle est la vôtre?

Il faut faire la différence entre la gestion à l’intérieur d’une classe d’actifs et l’allocation parmi ces classes d’actifs. A l’intérieur d’une classe d’actifs, on choisit un indice parmi différentes familles. La gestion passive consiste à répliquer la performance de cet indice. En gestion active, on sélectionnera peut-être le même indice de référence mais en essayant d’ajouter de la valeur, soit avec un meilleur choix de titres et, dans certains cas, avec une allocation entre cette classe d’actifs et des liquidités.

Mais, selon votre définition, n’est-il pas exagéré de parler de gestion passive, puisqu’il faut choisir l’indice de référence?

C’est tout à fait juste. La gestion passive n’existe pas au niveau de l’allocation d’actifs, car elle résulte toujours d’une décision active. La sélection de l’indice est toujours très importante et peut avoir un effet sur la performance ultérieure qui est beaucoup plus grand que le choix entre une gestion active et passive si l’on considère le comportement humain sur les marchés financiers: nous prenons en général de mauvaises décisions en achetant ce qui s’est récemment bien comporté et augmentons les risques quand les choses vont bien. Et nous nous débarrassons de nos investissements au pire moment, en encaissant de grandes pertes. Je suis ainsi convaincu que des décisions dommageables en matière d’allocation d’actifs coûtent beaucoup plus cher aux investisseurs, en moyenne, que la sélection de produits activement gérés.

Le choix de l’indice est donc toujours un peu arbitraire, sauf si l’on se cantonne au marché suisse où l’indice SPI s’impose. L’indice peut être biaisé en faveur des blue chips ou des grandes capitalisations, parce que l’indice doit parfois servir de support pour des produits dérivés. Dans ce cas-là, il faut disposer d’une certaine liquidité, qui ne va pas nécessairement dans l’intérêt d’un investisseur à long terme. Ce dernier se satisferait d’avoir des titres un peu moins liquides, mais peut-être plus intéressants parce que plus uniques.

En matière de choix d’indices, on remet souvent en question la pertinence de la pondération par la capitalisation boursière. Que pensez-vous de cette critique?

Pour les indices de marchés d’actions, qui sont pour la plupart basés sur la capitalisation boursière, on peut toujours débattre pour savoir si c’est le bon choix. Mais il y a une relation avec la réalité économique. Il en va différemment avec les obligations, où la pondération va dépendre du degré d’endettement de l’émetteur. Donc ceux qui empruntent le plus sont les plus importants dans l’indice. Ce qui est un peu ridicule. Par ailleurs, si le volume de transactions des fonds passifs en actions est assez raisonnable, il est beaucoup plus élevé pour des fonds indiciels en obligations. Les gestionnaires de ce type de fonds vendent toujours quand les obligations arrivent à un an de l’échéance. Le nombre de transactions sera d’autant plus important que l’indice sous-jacent se concentre sur certaines plages de qualité. Ainsi, quand il y a un changement de notation de crédit, ils sont obligés de vendre.

Mais si vous avez des obligations en direct, n’avez-vous pas aussi le problème des échéances à gérer?

Je pense que la gestion obligataire «à l’ancienne», comme le pratiquaient les caisses de pension suisses, était tout à fait raisonnable. On achetait une grande variété de produits que l’on conservait jusqu’à l’échéance, en touchant deux fois par an les coupons. C’est très différent d’un fonds indiciel où l’on achète et où l’on vend, en participant intensivement aux mouvements des marchés.