A la fin du mois dernier, on apprenait que le fonds immobilier allemand CS Euroreal avait suspendu le rachat de parts de fonds par leurs détenteurs pour une nouvelle période de neuf mois, après l’avoir déjà fait pour trois mois à fin octobre. La nouvelle était d’autant plus surprenante qu’il s’agit d’un fonds ouvert, permettant normalement à tout investisseur de récupérer sa mise en tout temps. Cette décision s’inscrit dans un mouvement qui touche une douzaine de ces fonds, sous la pression de vagues de demandes de remboursement.

Sur le marché suisse, un tel événement ne peut se produire pour les fonds immobiliers autorisés à la vente, puisque ceux-ci ne sont de toute façon remboursables que pour la fin d’un exercice, avec un préavis de douze mois. Ce type de clause correspond à la nature du type de sous-jacent, qui est par définition peu liquide. La loi exige cependant que les parts de ces fonds puissent être échangées – en bourse ou hors bourse –, permettant à leurs détenteurs de s’en dessaisir plus rapidement si nécessaire. Comme le précise l’ordonnance sur les placements des capitaux (OPCC), dans son article 109, d’autres classes d’actifs sous-jacents peu liquides permettent des restrictions au remboursement immédiat: «les placements non cotés en bourse, ni négociables sur un autre marché réglementé ouvert au public» et «les placements en private equity».

Celui qui investit dans des fonds aux sous-jacents peu liquides est sans doute au courant de ce type d’entraves. En revanche, il est probable que peu d’investisseurs connaissent l’article suivant, l’article 110, et notamment son alinéa d): «Le règlement peut prévoir que le rachat des parts est provisoirement et exceptionnellement suspendu lorsqu’un nombre élevé de parts est dénoncé et qu’en conséquence les intérêts des autres investisseurs peuvent être affectés de manière considérable.» Et cette possibilité, il est pratiquement certain «qu’elle sera intégrée dans le règlement de votre fonds», comme l’indique Alain Bichsel, porte-parole de la Finma, l’autorité de surveillance des marchés financiers.

A première vue, cet article est plutôt inquiétant puisqu’il laisse planer une véritable épée de Damoclès au-dessus de chaque détenteur de parts de fonds en cas d’effondrement des placements sous-jacents. Mais il est important de souligner qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’un risque, mais d’un système de sécurité. Car les décisions de sorties (ou d’entrées d’ailleurs) ne sont pas neutres dans la gestion du portefeuille du fonds.

En effet, si le fonds est submergé de demandes de remboursement le gestionnaire doit réaliser des portions importantes de son portefeuille dans de mauvaises conditions. Et il ne pourra le faire que sur les positions les plus liquides. En conséquence, les investisseurs restants dans le fonds seront doublement pénalisés, par ces mauvaises opérations et par la part croissante des actifs illiquides dans le portefeuille.

Le gel éventuel des retraits n’est donc pas une mesure favorable ou défavorable en soi, mais dépend de la situation de l’investisseur et de ses prévisions. Si celui-ci croit au redressement des marchés, il a tout intérêt à éviter l’implosion du fonds sous le poids d’un flot de remboursements. Il en va tout différemment si l’investisseur a absolument besoin de son argent. Mais dans ce cas, pourquoi est-il investi en parts de fonds?

On pourrait imaginer que les directions de fonds auraient toujours avantage à geler les rachats en cas de difficultés. Mais ce serait raisonner à très courte vue: dès l’orage passé et les restrictions levées, les investisseurs risquent bien d’en profiter pour quitter au plus vite le fonds qui n’a pu assurer autrement sa survie. Et cela, les directions des fonds le savent bien. Pour l’instant, comme l’indique encore Alain Bichsel, «très peu de directions de fonds de droit suisse ont appliqué ce type de mesures. Il s’agit de véhicules de placement qui appartiennent à la catégorie «autres fonds en placements traditionnels» et «autres fonds en placements alternatifs». Aucun fonds en actions n’a procédé à ce type de restrictions.» Ce qui n’est guère surprenant si l’on sait que cette catégorie de fonds enregistrés en Suisse n’a subi que des retraits très limités l’an dernier, comme l’indiquent les chiffres de Swiss Fund Data à fin janvier. Pour les fonds de hedge funds, la Finma a annoncé à fin janvier qu’elle pouvait autoriser des suspensions partielles de rachats sous la forme de «side pockets». Il s’agit de réduire les remboursements au prorata des actifs liquides, mettant ainsi de côté les actifs illiquides.