Sous la pression croissante d’exigences toujours plus grandes, les employés suisses souffrent d’un mal bien connu, le stress. Mais les entreprises n’ont pas encore vraiment pris de mesures pour y faire face.
Accélération des cadences, allongement des heures supplémentaires, exigences toujours plus grandes de la part des employeurs, précarité générale des emplois: tout concourt aujourd’hui à aggraver le mal du siècle, le stress. Véritable maladie professionnelle, celle-ci peut contribuer à la genèse de nombreuses pathologies: maladies cardiovasculaires et cérébrovasculaires, hypertension artérielle, ulcères de l’estomac et du duodénum, maladies inflammatoires de l’intestin, pathologie musculosquelettique, maladies rhumatismales et métaboliques, explique le Dr Alain Kiener, chef de la Division médecine et hygiène du travail de l’Office fédéral de l’industrie, des arts et métiers et du travail (Ofiamt). On dispose également de certains indices quant à l’influence négative du stress sur les mécanismes naturels de défenses de l’organisme et sur sa contribution au développement de certains cancers.
Par ailleurs poursuit, le Dr Kiener, certains états anxieux et dépressifs, les névroses et les comportements toxicomaniaques (alcools, drogues) lui sont également liés. Selon une estimation concernant les Etats-Unis, le coût annuel imputable au stress et à ses conséquences (absentéisme, frais de prise en charge médicale, pertes de productivité, etc.) serait de 250 milliards de dollars!
Les Suisses ne semblent cependant pas avoir pris la pleine mesure du problème comme l’a montré la faiblesse de la participation helvétique au 8e Congrès international sur le stress de Montreux qui s’est tenu du 19 au 23 février, en dépit du très haut niveau de la manifestation. Celle-ci a réuni pas moins de 53 orateurs et environ 250 participants venus des Etats-Unis, du Japon, de Russie et d’Australie. Le tableau est toutefois loin d’être uniforme lorsque l’on interroge les entreprises. Chez Nestlé par exemple, on se dit conscient du problème et on le prend au sérieux, affirme Hans-Jörg Renk, porte-parole suppléant. C’est ainsi, explique ce dernier, qu’à Lausanne, un séminaire suivi par une centaine de personnes a été organisé pour informer le personnel. Mais, reprend M. Renk, il faut réaliser que le stress est un phénomène très subjectif: chacun le vit différemment, d’une manière qui peut être positive et très stimulante.
A la SMH, on marque plus clairement sa préoccupation, comme l’explique Béatrice Howald, chef de presse de la société: «Nous tenons compte du stress de nos employés en organisant des cours à leur attention, payés par la société, sur la gestion du temps, son efficacité, sur la résolution de conflits, etc. En tout une vingtaine de cours différents. On veille par ailleurs à aménager le cadre de travail de manière à ce que les employés s’y sentent à l’aise. Enfin, on a introduit un horaire de travail libre, fixé d’avance d’entente avec le chef de service.»
Plus surprenante est la politique de Swissair, dont les pilotes appartiennent pourtant à l’une des professions les plus soumises au stress: «Nous n’organisons pas de cours spécifiques sur la gestion du stress», indique Jean-Claude Donzel, porte-parole de la compagnie aérienne. Toutefois, ajoute-t-il, ce problème peut être abordé lors de séminaires organisés à l’intention des cadres et des pilotes. Par ailleurs d’autres séminaires sur les changements rapides ont lieu régulièrement.
La SBS en pointe
La Société de Banque Suisse (SBS) se distingue en revanche par une claire analyse des dégâts provoqués par la pression croissante que subit son personnel. Ainsi, explique Cédric Dietschy, porte-parole de la banque, si la productivité a pu être augmentée dans un premier temps, on enregistre par la suite des signes d’épuisement chez certains collaborateurs, les obligeant à prendre des cures de repos. Ce type d’absentéismes tend ainsi à remplacer celui du lundi et du vendredi pour prolonger le week-end, poursuit M. Dietschy, qui a d’ailleurs pratiquement disparu en raison des craintes de licenciements.
Pour faire face à ce problème qui mine sa compétitivité, la SBS va mettre sur pied un projet en Suisse romande, à Lausanne et à Sion, pour être lancé en automne. Ce projet prendra la forme d’une série de cours qui viseront à aider les personnes, mais uniquement celles qui le désireront, à mieux gérer leur vie familiale et personnelle, leur nutrition, à contrôler ou à cesser la consommation d’alcool ou de tabac. La philosophie de la SBS est donc d’aider son personnel à mieux se porter, tant mentalement que physiquement, pour être apte à résister à une pression grandissante.
Du côté des sociétés américaines établies en Suisse, le responsable du personnel de Hewlett-Packard (Suisse), Roberto Pucci reconnaît que sa société n’en fait pas assez dans ce domaine. Or, avec l’augmentation de la quantité de travail et la pression croissante qui s’exerce sur les épaules des employés qui craignent pour leur emploi, il est nécessaire de trouver une solution, reprend notre interlocuteur.
Les (mauvaises) relations avec les collègues
Parmi les sources de stress, les relations entre collègues ne sont pas l’une des moindres. Au point qu’une «Société contre le stress psycho-social et le mobbing (manifestations d’hostilité sur le plan social dans le cadre de la vie professionnelle)» a été fondée vendredi dernier, à Zurich, dans le but, notamment, «d’organiser l’aide aux personnes qui souffrent de harcèlement et d’exclusion sur leur lieu de travail».
Une étude de l’Ofiamt réalisée en 1991 révèle l’ampleur du phénomène: 26% des personnes interrogées entretenaient des relations perturbées avec leurs supérieurs hiérarchiques. Par ailleurs 15% des personnes actives qualifiaient de désagréables les rapports entre collègues, tandis que 13% partageaient cette opinion en ce qui concernait les autres personnes côtoyées sur le lieu de travail. Les hommes faisaient état de rapports perturbés dans une proportion une fois et demie supérieure à celle des femmes. Les taux plus élevés de travailleurs mentionnant un dérèglement des relations interhumaines se retrouvaient parmi les ouvriers du bâtiment, ceux de l’industrie et les manœuvres sans qualification professionnelle.
Parmi les personnes interrogées se plaignant de multiples facteurs de perturbation sur le plan psychosocial au poste de travail, un pourcentage extraordinairement élevé qualifiaient également de médiocres les rapports interhumains qu’ils entretenaient avec leurs supérieurs hiérarchiques (67%), leurs collègues (38%), d’autres personnes côtoyées au poste de travail (31%).
La même étude a également révélé le fardeau que représentaient les problèmes ou soucis d’ordres personnels pour 61% des personnes interrogées.
Les problèmes d’organisation générale constituent également un facteur non négligeable de stress: ils ont pour effet d’engendrer des retards frustrants lorsque des décisions importantes doivent être prises, explique le psychologue américain David Fontana (1). De même le manque de personnel à des endroits clés (quoique apparemment non essentiels), peut obliger l’employé à accomplir des tâches en deçà de son niveau de formation ou de ses compétences. Si elles se répètent trop souvent, ces petites irritations peuvent se révéler très oppressantes.
Les périodes de travail longues ou indues sont également néfastes pour l’individu. Car non seulement elles perturbent ses rythmes biologiques, mais ont deux autres effets importants en ce qui concerne le stress. Tout d’abord, si ces heures sont imprévisibles, elles empêchent l’individu de se sentir en sécurité par rapport aux exigences de son travail. En second lieu, ces heures indues ou trop longues peuvent en elles-mêmes interférer avec le développement des relations personnelles ou des loisirs sur lesquels la décompression s’appuie principalement. Parmi d’autres facteurs de stress, M. Fontana met en avant un mauvais salaire, le manque de perspectives de promotion, l’incertitude et l’insécurité, la détermination de tâches peu claires, les conflits de rôles, le perfectionnisme, l’incapacité d’influencer la prise de décision, le surcroît de travail et la pression des horaires et le manque de variétés des tâches.
(1) Gérer le stress, par David Fontana, Edition Pierre Mardaga, Liège-Bruxelles 1990.