GESTION DE FORTUNE Confier un mandat de gestion n’est pas synonyme de confiance aveugle. Quelques règles de prudence à observer avant et pendant le mandat.

« Les escroqueries sont très rares », se réjouit Hanspeter Häni, l’ombudsman des banques une instance neutre et gratuite d’information et de médiation chargée des plaintes contre des banques ayant leur siège social en Suisse. Toutefois, après avoir choisi un établissement pour faire gérer tout ou partie de son patrimoine, le client doit tout de même faire preuve de vigilance. Il prend le risque que son mandataire gère mal son portefeuille ou, pire, qu’il se livre à des malversations. Mais comment surveiller son gestionnaire ?

Outre les qualités personnelles et professionnelles de son mandataire, le client doit réfléchir aux risques qu’il est prêt à prendre. C’est un point particulièrement important. « L’expérience montre que les clients sous-estiment les risques. Et les promesses de très hauts rendements s’accompagnent forcément de risques élevés. D’une manière générale, il est toujours déconseillé d’investir dans des produits dont on ne comprend pas le fonctionnement. »

Objectifs réalistes

Carlo Lombardini, avocat au barreau de Genève, spécialiste du droit de la gestion de fortune et auteur d’un ouvrage de référence surie sujet (Droit et pratique de la gestion de fortune, Helbing & Lichtenhahn, 3e édition, 2003), abonde : « Il faut avoir des objectifs réalistes en termes de rendement. Et c’est plutôt au gérant de surveiller son client, surtout en période de taux d’intérêt bas. Beaucoup de clients sont prêts à courir des risques importants sans en appréhender l’ampleur. En achetant, par exemple, des monnaies exotiques comme le dollar australien, la couronne norvégienne, le rand sud-africain, etc. »

Le gérant doit parfois aussi avoir le courage de refuser de suivre un client qui a des objectifs irréalistes. Selon Carlo Lombardini, un des grands sujets juridiques dans le domaine de la gestion de fortune est le devoir d’information avant l’octroi du mandat de gestion c’est-à-dire de définir l’étendue de la discussion que vous devez avoir avec le client pour choisir la manière dont vous allez gérer son portefeuille.

La question se pose ensuite de savoir si le fruit de cette discussion doit être inscrit dans un document purement unilatéral ou qui soit également contractuel, avec les éventuelles restrictions du client. Le document contractuel est théoriquement meilleur, mais il a un inconvénient : une modification doit également faire l’objet d’un document contractuel et donc revêtir la signature du client. L’expérience enseigne que les gérants ont beaucoup de peine à suivre cette discipline. Ils s’entretiennent souvent au téléphone avec leurs clients ou se déplacent à leur domicile et n’ont pas forcément tous les documents avec eux. « Dans le cadre du mandat de gestion, je recommande de prévoir qu’à un certain niveau de pertes, on arrête tout ! On réalise les investissements et on rediscute. » Une procédure qui permettrait de s’interroger sur sa tolérance à la perte.

Relevés réguliers

Une fois le cadre de la relation clairement établi, sous forme d’un mandat de gestion ou non, il faut veiller à se faire envoyer les relevés de compte régulièrement. Carlo Lombardini conseille une fréquence mensuelle. Mais il n’y a aucune exigence légale en la matière, sinon que le gérant doit rendre compte de sa gestion. Les banques ont des pratiques très différentes. Certaines présentent leurs performances avec de magnifiques graphiques sur une base mensuelle, d’autres produisent des relevés moins compréhensibles. Les présentations très succinctes ne permettent pas toujours de distinguer sur quoi on a gagné ou perdu. Au-delà de l’aspect juridique, le gérant devrait avoir le courage d’admettre ses erreurs. Le client ne devrait pas être embarrassé de lui exprimer son mécontentement le cas échéant.

La clarté et l’étendue des comptes constituent une problématique juridique importante. « Si les comptes ne sont pas rendus de façon claire, le client pourrait prétendre qu’il n’avait pas exactement compris le montant de ses pertes. Et que, s’il l’avait su, il aurait résilié le mandat de gestion. »

Violation du mandat

On pourrait imaginer qu’une fois le mandat de gestion conclu, le mandataire soit tenu de respecter scrupuleusement toutes les clauses du contrat. D’autant plus que la loi est on ne peut plus précise : le mandataire s’engage à la bonne et fidèle exécution du mandat (art. 398 al. 2 CO) et ne doit pas s’écarter des instructions précises reçues de la part de ses mandants (art. 397 al. 1 CO). En cas de violation des termes du contrat conduisant à des pertes, il devrait logiquement s’ensuivre une condamnation quasi automatique de la banque, tenue alors d’indemniser son client.

En réalité, c’est loin d’être le cas. Nicolas de Gottrau, avocat au barreau de Genève et contributeur externe du Centre de Droit Bancaire et Financier de l’université de Genève (www.unlge.ch/cdbf) l’a mis en évidence dans son commentaire sur un récent arrêt du Tribunal de commerce du canton de Zurich. Dans cette affaire, deux clientes avaient confié un mandat de gestion à une banque pour une gestion axée sur le gain en capital. La banque ne s’en était pas tenue à cette politique. Elle avait appliqué une stratégie dynamique fondée sur les options. Les pertes importantes entraînées par cette politique amenèrent les deux clientes à réclamer des dommages et intérêts.

Pour sa défense, la banque affirma que ses clientes avaient ratifié la gestion appliquée à leur compte. Le tribunal donna raison à la banque arguant qu’après avoir examiné en détail l’évolution du portefeuille des mandantes pour déterminer si celles-ci avaient réalisé ou auraient dû comprendre que la banque ne gérait pas leur compte comme convenu, mais développait au contraire une stratégie fondée essentiellement sur les options. Le tribunal a ainsi pu déterminer qu’à un moment donné les clientes savaient – ou auraient dû savoir – que la banque avait largement recours aux options, contrairement à la stratégie convenue. Les risques d’une telle stratégie, avec le danger d’une perte totale de leur patrimoine leur étaient donc connus.

Il appartenait aux clientes, si elle n’était pas d’accord avec ladite stratégie, de protester auprès de la banque. Le fait qu’elles ne l’aient pas fait pouvait dès lors être interprété, d’après les règles de la bonne foi, comme un consentement. Les clientes ont été déboutées.

Plusieurs gérants

Contre d’éventuelles malversations, la meilleure prévention est de rencontrer deux gérants. D’ailleurs, c’est souvent durant une absence du gérant fautif que les affaires sont découvertes. C’est déjà une pratique courante au sein de nombre de grands établissements. Pour réduire le risque évoqué et parer à la défection de la clientèle si le gérant devait changer d’établissement ou se mettre à son compte. À relever qu’il y a beaucoup plus de contrôles internes actuellement que par le passé. Pour se protéger, le client a intérêt à conserver tous ses relevés de compte. Ce qui n’est pas forcément évident s’il est domicilié à l’étranger, par exemple. Dans ce cas mieux vaudrait déposer ces documents en Suisse, chez un avocat ou une fiduciaire, de manière à pouvoir faire la preuve de sa bonne foi si on lui annonçait tout d’un coup qu’il avait perdu la moitié de sa fortune. Un problème particulier se pose lorsque le client est en poste restante.

Comme il ressort d’un autre arrêt du Tribunal fédéral, également commenté par Nicolas de Gottrau sur le site du Centre de Droit Bancaire et Financier : « Lorsqu’une banque accepte de conserver les avis qu’elle adresse à son client, ses communications sont opposables à ce dernier comme s’il les avait effectivement reçues. De même, le client qui adopte ce mode de communication est censé avoir pris connaissance immédiatement des avis qui lui sont ainsi adressés. »

Par ailleurs, le client qui reçoit ou est réputé avoir reçu de sa banque l’avis qu’une obligation a été exécutée d’une certaine manière est soumis à une règle : son silence vaut ratification. D’où le risque que prend le client lorsqu’il choisit le mode de communication banque restante. Pour réduire le risque, ajoute Nicolas de Gottrau, le client devrait dans ce cas veiller à faire relever régulièrement son courrier, s’il ne veut pas se voir imputer une acceptation tacite d’une obligation mal exécutée.

Formaliser les décisions

Pour les clients qui n’ont pas confié de mandats discrétionnaires, il est recommandé de formaliser les décisions avec l’indication de la décision prise surtout si le client persiste dans son choix et malgré l’avis contraire de son gérant. Le gérant qui ne formalise rien peut être victime d’un client de mauvaise foi et se trouver dans une situation délicate en cas de litige. Une discipline que les gérants de longue date peinent à adopter, ayant été habitués à tout traiter sur parole.

« Si les banques responsables de manière évidente restent une exception, cela n’exclut pas une erreur de l’établissement d’avoir proposé un produit qui mettrait le client en difficulté si tout allait mal. Toute la question qui va se poser est de savoir si la société va être capable d’indemniser le client. Dans cette perspective, la capacité de son gérant à faire face à une perte dont il serait responsable, même s’il est parfaitement honnête, est un point très important. »

En cas de conflit

« En cas de réclamation, aucune banque n’aime payer, lance Carlo Lombardini. Comment approcher la banque pour formuler une réclamation ? Tout d’abord, il faut être très précis. L’expérience montre en effet que si on réclame de manière erronée, il devient ensuite très difficile d’ajuster le tir après coup et cela fait très mauvais effet sur les magistrats. Vous êtes donc obligé de procéder à une analyse très approfondie des comptes.

Si vous êtes trop soft, poursuit notre interlocuteur, on risque de ne pas vous prendre au sérieux et si vous êtes trop agressif, on risque de vous envoyer paître tout de suite. Certains clients menacent par exemple de faire intervenir la Commission fédérale des banques (CFB), en imaginant que cela va impressionner l’établissement. En réalité, celui qui choisit cette voie se discrédite, lui ou son avocat, étant donné que la CFB n’est pas concernée par la surveillance de la gestion.

La société peut envisager de négocier, puis elle passe à un stade où elle y renonce : elle ne paiera alors plus qu’après une éventuelle condamnation. Mais pour le client, ce n’est pas un bon résultat, parce que cela veut dire devoir faire face à un procès. » Notre avocat conseille en revanche de recourir à l’ombudsman des banques (www.bankingombudsman.ch) en cas de litige, estimant qu’il « travaille très sérieusement ».

Les rétrocessions reviennent au client

Un bon indicateur de l’intégrité du gérant de fortune sera la transparence qu’il affichera en matière de finders’ fees versées aux apporteurs d’affaires et autres rétrocessions, c’est-à-dire une part des droits de garde et frais de courtage que les banques reversent parfois aux gérants de fortune, ou encore la part de la commission de gestion accordée par les promoteurs de fonds de placement à leurs distributeurs. Un arrêt du Tribunal fédéral du 22 mars 2006 a en effet statué sur ces pratiques estimant, comme le commente Rashid Bahar, du Centre de droit bancaire et financier de l’Université de Genève, que ces ristournes « reviennent au client. »

En même temps, tranchant une controverse doctrinale, il a considéré que les parties pouvaient convenir d’une autre solution, pour autant que l’accord soit clair et explicite.

Comme l’indique Rashid Bahar, cet arrêt pèche cependant sur un point crucial, en ne précisant pas de quelle manière les informations doivent être données : « Suffit-il d’informer le client sur le principe du versement des rétrocessions ou de décrire les pratiques usuelles en la matière, si tant est qu’elles existent ? Faut-il au contraire dévoiler les arrangements en place et qui pourront le cas échéant être modifiés par la suite ? » Sans aller plus avant dans ce débat juridique, il est évident que plus le gérant jouera la carte de la transparence, plus il sera digne de confiance.

Un piètre résultat n’est pas synonyme de mauvaise performance

Fondamentalement, lorsqu’on confie son patrimoine à gérer, c’est généralement dans l’espoir de le voir prospérer ou, dans le pire des cas, de parvenir à en maintenir l’intégrité. Il paraît donc facile d’établir le résultat de son gérant en considérant l’état du patrimoine au terme d’une période suffisamment longue, au minimum cinq ans, pour évaluer le talent du gérant et réduire l’effet du hasard. Sans oublier évidemment de tenir compte des apports et des retraits de fonds effectués durant toute cette période.

Cette approche est malheureusement trop simpliste et peut aboutir à un paradoxe : une performance positive et une perte en capital ! Ce paradoxe n’est en fait qu’apparent. On peut l’expliquer en prenant un exemple très simple, sur deux ans. On suppose qu’un client donne à gérer 100’000 francs. À la fin de l’année, la performance est de 20%, soit un gain de 20’000 francs. Enchanté, le client décuple la mise et porte son capital à 1 million de francs. Cette fois, la performance s’avère négative de 10%, entraînant une perte de 100’000 francs. Si la perte totale sur ces deux ans est de 80’000 francs, le gérant pourra tout de même afficher une performance annualisée positive de 5% = (= (20% – 10%) / 2). Oh comprend donc bien qu’une performance n’a de sens qu’en fonction de l’investissement réalisé. Si le client choisit une période défavorable pour confier son argent à gérer, il en est responsable, et non pas le gérant, qui est tributaire de ses décisions.