ALLOCATION D’ACTIFS Ces instruments de base sont réputés incontournables dans la gestion privée en général. Ils occupent une place variable dans les grands comptes. Selon le profil du client.

Naguère méprisés pour leur caractère fourre-tout, les fonds d’investissement constituent souvent une très grande partie des portefeuilles proposés aux clients sous mandat. On note cependant de grandes différences selon le type d’établissements : tandis que certains préconisent jusqu’à 100% de fonds selon le profil du client, d’autres se montrent beaucoup plus réservés.

Parmi les sociétés interrogées, celle qui recourt le moins aux fonds se révèle sans surprise un établissement non bancaire, la société de gérants indépendants Prime Partners, établie à Genève et qui compte 15 gestionnaires. Ainsi, selon Stéphane Pochon et Dominique Bertrand, tous deux partenaires, « lorsqu’on vous met une part de 100% de fonds dans votre portefeuille, cela traduit clairement une optique de rentabilité cachée. En fait, les banques utilisent les fonds comme une plateforme de gestion optimalisée des actifs. Pour éviter tout conflit d’intérêts, la société a d’ailleurs renoncé à créer son propre fonds, pour qu’on n’ait jamais besoin de le pousser et pour ne pas avoir à prélever une double commission. »

Les gérants de Prime Partners ne s’intéressent toutefois aux fonds de placement que « s’ils répondent à nos stratégies et à nos idées. Mais en général, nous essayons de placer en direct, même pour des petits portefeuilles, soit moins d’un million de francs. Nous utilisons les fonds quand nous n’avons pas de compétences spécifiques sur un marché, par exemple l’Inde ou la Chine. Dans un portefeuille moyen, les fonds varient entre 5 et 15%, y compris des ETF pour un peu plus de la moitié. »

Captation d’alpha

Autre optique du côté de la banque Pictet & Cie, où Yves Bonzon, responsable de la politique de placement pour la clientèle privée, souligne les avantages de la gestion collective dans le cadre de l’architecture ouverte. « Fondamentalement, le but est la captation d’alpha externe, chez un gérant tiers. » L’alpha étant la capacité du gestionnaire à dégager une performance supérieure à celle qui résulterait d’une gestion passive.

« C’est ainsi qu’on ne met souvent en évidence que la diversification par classe d’actifs (actions étrangères, 1 1 européennes, small cap, marchés émergents, fonds sectoriels, etc.), ce qui constitue la diversification du bêta, en négligeant celle de l’alpha. Lorsque les marchés, comme cela a été le cas au mois de mai, voient leur corrélation augmentée par des phénomènes de liquidités, il est sans doute plus important d’être diversifié en termes de managers que par classes d’actifs. Car peu de gérants sont capables de produire de l’alpha de manière récurrente et constante, d’autant plus que cette capacité à surperformer une gestion passive a des composantes cycliques liées notamment au biais de styles de gestion. Ainsi, les fonds ne se comportent pas de manière synchronisée. Il n’y a aucune stratégie qui, comme un métronome, produit de l’alpha à chaque trimestre et tous les managers connaissent des passages à vide. La diversification réduit ce risque, car si la sélection est judicieuse, tous les managers que vous aurez choisis n’auront pas pris les mauvais paris au même moment. De cette manière, vous obtenez des portefeuilles beaucoup plus robustes dans des conditions adverses. » Pictet & Cie ne prône la gestion par fonds qu’au-dessous d’une certaine taille de portefeuille.

Flexibilité

L’approche est comparable chez Lombard Odier Darier Hentsch (LODH), comme l’explique Serge Ledermann, associé du holding privé et responsable des investissements et de la stratégie. « Nous sommes flexibles sur la répartition entre fonds et lignes directes, qui peut aller de 0 à 100% de fonds. Tous les cas de figure sont possibles à partir du moment où le processus qui mène à cette gestion est clairement défini. »

Ainsi, Alfredo Piacentini, associé de la banque Syz & Co et l’un des trois directeurs généraux, responsable de \ la gestion privée et de la gamme de fonds de placement Oyster, souligne l’avantage de la gestion par véhicule collectif. « C’est un moyen assez efficace de diversification qui élimine la concentration de risques dans un portefeuille. Au point que la question se pose de savoir s’il ne serait pas judicieux de n’avoir que des fonds de placement. D’ailleurs pour les comptes inférieurs à un million, il est plus rare que ceux-ci contiennent des lignes directes. Mais il faut tenir compte d’un facteur psychologique chez le client privé lié au plaisir de détenir un titre individuel, même si on essaie de changer les mentalités. »

Long only et hedge funds

Il est important de distinguer les fonds traditionnels, les long only, des hedge funds, comme l’explique Alfredo Piacentini. Au point qu’à la banque Syz, qui s’est dès l’origine, il y a dix ans, fortement positionnée sur les hedge funds, les deux secteurs sont séparés tant du point de vue administratif que de la gestion ou du marketing. « Si les lignes directes sont encore imaginables dans les actifs traditionnels pour des comptes inférieurs à un million, ce n’est plus le cas des hedge funds, dont le ticket d’entrée s’élève à au moins plusieurs centaines de milliers de francs. Étant donné que le portefeuille moyen comporte environ 20% de hedge funds, il faut que le compte de celui qui désire des lignes directes se monte au minimum à 10 millions de francs. De cette manière, on pourrait répartir ces 2 millions consacrés à ta gestion alternative sur dix hedge funds. Pour des comptes plus petits, la solution optimale passe par une sélection de fonds de fonds. »

Cependant même pour des comptes de cette taille, le fonds de fonds reste le véhicule de placement privilégié. « Je préférerais diversifier à travers trois fonds de fonds avec des profils particuliers plutôt qu’avec dix hedge funds en direct. Vous avez une meilleure diversification des risques, avec des stratégies différentes. Au niveau des frais, poursuit Alfredo Piacentini, vous aurez un surcoût dû au management du fonds de fonds. Nous avons décidé de ne pas appliquer de double commission : celle de gestion du portefeuille et les fonds que nous gérons nous-mêmes. Ainsi, dans ce cas, nous renoncerons à prélever la commission de gestion sur portefeuille. »

Gestion multi-managers

La banque Syz a renoncé pour l’essentiel à l’architecture ouverte au profit de la multigestion, en apposant sa marque Oyster sur ses produits, ce qui implique d’ailleurs une responsabilité nettement plus grande des résultats. « Cette approche nécessite des explications à nos clients privés, car en voyant une série de lignes de fonds Oyster, ils pourraient avoir l’impression qu’on ne leur propose que des fonds maison ! En revanche, nous avons gardé une architecture ouverte pour tous les actifs pour lesquels nous n’avons pas de compartiments spécifiques, tels l’Inde, la Chine, les matières premières, etc. »

Du côté de LODH, la multigestion est pratiquée, mais de manière clairement minoritaire, comme l’indique Aurèle Storno. « L’une des raisons qui nous a incités à choisir cette voie était la possibilité d’élargir notre univers de recherche. Nous avons par exemple confié à un gérant américain un mandat sur les produits aurifères, que nous avons ensuite inclus dans l’un de nos véhicules d’investissement. »

Chez Pictet & Cie, on recourt également à la multigestion, (il s’agit ici de white labelling) comme cela a été le cas pour l’un de ses derniers fonds, le Pictet Funds (Lux-US Equity Selection), en actions américaines avec un biais sur les grandes capitalisations et suivant un style croissance. Bien que sous le label Pictet Funds, ce fonds est géré par la société Waddell & Reed, société de gestion d’actifs basée à Kansas City.

Fonds maison ou fonds tiers

L’architecture ouverte pose la question de l’impartialité du choix entre fonds maison et fonds tiers. Dans le second cas de figure, la plus grande partie de la commission de gestion va échapper au gestionnaire du compte, voire la totalité s’il n’y a pas de rétrocessions sur cette commission. Dans notre échantillon, seuls ? LODH et Pictet & Cie font face à ce conflit d’intérêts potentiel. La banque Syz & Co ne travaille que marginalement en architecture ouverte et les gérants de Prime Partners n’ont pas de fonds en propre.

Toutefois, les deux plus grands établissements bancaires privés genevois estiment pouvoir éviter cet écueil par les procédures qu’ils ont mises en place. C’est ainsi qu’Yves Bonzon explique que « la part de fonds maison par rapport aux fonds tiers est variable : elle dépend de l’allocation d’actifs et des forces de Pictet Asset Management, la division institutionnelle du groupe – l’usine à alpha – dans les classes d’actifs concernées. »

Pour éviter les conflits d’intérêts, l’arbitrage entre fonds maison et tiers est effectué au niveau de la banque privée, qui travaille en architecture ouverte sur la base des recommandations sur fonds tiers des équipes du Manager Selection Services (MSS) de Pictet & Cie. « Concrètement, poursuit Yves Bonzon, sur les classes d’actifs où les espérances d’alpha sont faibles, par exemple dans les produits à revenu fixe, la probabilité de trouver un manager extérieur capable de dégager une performance supérieure n’est pas énorme. Nous aurons ainsi tendance à privilégier les fonds Pictet dans ce secteur. »

Sélection des fonds tiers

Le processus de sélection des fonds par les établissements bancaires se révèle plus ou moins identique, du moins sur le plan de la rhétorique. « Par exemple, explique Serge Ledermann, nous considérons l’univers des fonds de placement en fonction des différents filtres que nous avons développés. Chaque fonds est ainsi reclassifié selon des critères propres différents de ceux proposés par les grandes maisons de notation. À ce stade, nous pouvons examiner l’ensemble des fonds selon une classification commune et en faire ressortir les caractéristiques que nous recherchons. Sur cette base, nous identifions les fonds qui vont faire l’objet d’une analyse qualitative. Nous rencontrons alors les gérants pour comprendre l’organisation des équipes, leurs critères de sélection, de valeur, leurs principes de construction de portefeuille, etc. Il est important de comprendre comment elles sont organisées sur le plan administratif et de déterminer à quel point le gérant sera accessible pour nous fournir un reporting de qualité conformément à nos standards. Si tous ces éléments ne sont pas réunis, nous n’entrons pas en matière. »

Cette démarche, consistant à procéder par une analyse quantitative puis qualitative ne s’applique qu’aux fonds traditionnels. « Pour les hedge funds, le processus est inversé. En ce qui concerne la gestion alternative, l’analyse des bases de données ne nous permettrait pas de faire les bonnes sélections. Nos équipes basent donc leur première évaluation sur les entretiens qu’ils mènent auprès des gérants externes à travers le monde entier. Dans une seconde phase, ces gérants sont soumis à une analyse quantitative puis de compliance. »

On retrouve la même démarche chez Pictet & Cie, où Yves Bonzon met l’accent sur la qualité du réseau dans le domaine de la gestion alternative, étant donné l’absence de bases de données officielles. « Car il s’agit souvent de start-up. Ce n’est que sur la sélection de ces sociétés que vous pourrez vous livrer à une analyse qualitative. Il faut ainsi essayer de comprendre comment l’alpha a été obtenu, soit en portant des jugements, soit de manière statistique, dans le but de pouvoir mesurer sa probabilité de se répéter dans le futur. »

Syz & Co combine également les deux formes d’analyse, qualitative et quantitative. « Sur le plan qualitatif, explique Alfredo Piacentini, nous analysons la structure de la société, pour connaître sa solidité, pour savoir combien elle compte de membres, quelle est la part de fonds propres, quelle est son histoire, quel est le type de management pratiqué à l’intérieur de la société, quel est le passé des managers, quelle est la consistance de leurs convictions, quelle est leur localisation, combien ils gèrent et pour qui. Quant à l’analyse quantitative, nous recourons à tous les ratios de volatilité, Sharpe, etc., tandis que nous examinons également le comportement du fonds durant les périodes difficiles de marché. Enfin, et c’est là un point essentiel, notre équipe d’analystes quantitatifs calcule l’excès d’alpha que produit le fonds. »

Stéphane Pochon et Dominique Bertrand expliquent l’approche simple de Prime Partners : « Nous n’allons pas chercher le meilleur fonds mondial dans le segment qui nous intéresse, car on n’a aucune garantie qu’il va le rester. Nous allons donc choisir un bon fonds géré par un grand nom parmi les best in class, comme HSBC sur la Chine. Même s’il y en a de meilleurs sur ce marché, car nous serons plus à l’aise pour le vendre auprès de nos clients. » Parmi les critères retenus figurent le montant des fonds gérés, la liquidité, ainsi que la performance moyenne sur un an et trois ans.

Les fonds sont ici en concurrence avec les produits structurés : « Par exemple, nous avons acheté des parts de fonds sur l’Inde et la Chine. Au bout de deux ans, certains de ces fonds avaient quasiment doublé. Nous avons alors décidé de sortir de ces véhicules pour investir ce capital sur des produits structurés à capital garanti. De cette manière, nous pouvons continuer à participer à la hausse de ces deux marchés, mais sans prendre de risque à la baisse. Et si ces marchés viennent effectivement à reculer, on peut revendre les produits structurés, qui font office de parachute, pour retourner dans les fonds. La part de fonds structurés oscille entre 5% et 15%.»

Le TER, pour quoi faire ?

Bizarrement, lorsqu’on interroge des professionnels sur les critères de sélection des fonds, le TER (total expense ratio) qui est censé englober la plus grande partie des frais variables prélevés par la direction du fonds, principalement la commission de gestion apparaît comme tout à fait secondaire. C’est d’autant plus frappant que l’on retrouve ce critère souvent placé au premier rang dans les médias spécialisés.

Comme ses confrères, Alfredo Piacentini de la banque Syz, combats la notion de TER comme argument essentiel de la sélection d’un fonds, parce que cela n’a aucun sens pour un fonds géré activement. « Je suis d’accord qu’il y ait de la transparence, mais je ne la considère pas comme un élément essentiel, loin de là. C’est comme si vous disiez que ce qui est déterminant dans l’achat d’une voiture, c’est son prix. L’argument consiste à dire que si vous choisissez le véhicule le moins coûteux et que si vous tombez en panne, elle vous aura coûté moins cher que si vous aviez acheté un véhicule à un prix plus élevé. C’est un discours qui ne veut rien dire. »

En supposant que l’on ait deux fonds à performance égale, certains vont choisir celui qui a le TER le plus bas. Mais là encore, Alfredo Piacentini réfute ce raisonnement : « Si le TER d’un des deux fonds est nettement plus élevé, pour une performance identique, cela veut dire que le gérant du premier fonds est meilleur que l’autre. Je choisirais donc le gérant le plus performant. En outre, il ne faut pas oublier que tout dépend de la catégorie de fonds. S’il s’agit d’un fonds dont les commissions dépendent des performances, la chute éventuelle de ces dernières va entraîner celle du TER. Ce qui est le cas des hedge funds, dont personne ne calcule d’ailleurs le TER. Et de toute façon, si un fonds n’est plus performant, il suffit de le vendre ! » En d’autres termes, l’usage abusif du TER vient de son apparence d’instrument le plus facile à utiliser. « Le TER est important pour savoir s’il n’y a pas de vol caractérisé, mais il doit être lu à la lumière de la performance », explique encore l’associé de la banque Syz.

« Celui qui se baserait sur le TER pour sélectionner un fonds ferait fausse route, conclut Serge Ledermann de LODH, même si cette indication est utile. Si, par exemple, on vous indique que la commission de gestion d’un . fonds est de 1,5% et que le TER est de 4%, alors que le portefeuille est censé de bouger très peu, cette information doit vous alerter »