Le public se focalise sur les événements les plus récents et les plus spectaculaires, surévaluant leur portée.

Alors que l’effondrement des Bourses mondiales entretient un climat délétère et inquiétant sur les perspectives économiques, l’attribution du Prix Nobel d’économie à Vernon Smith et à Daniel Kahnemann tombe à point nommé. Car ce dernier est le chef de file de la finance comportementale, en compagnie d’Amos Tversky, aujourd’hui décédé. Ces deux psychologues d’origine israélienne ont joué un rôle déterminant pour expliquer les errances des marchés financiers. Leurs travaux, et ceux de leurs disciples, parmi lesquels on compte Richard Thaler ou Robert Shiller, l’auteur du célèbre Exubérance Irrationnelle, mettent en lumière les mécanismes mentaux à la base des nombreuses aberrations observées sur les marchés à chaque crise.

L’un des phénomènes à l’?uvre dans les exagérations de marché est l’heuristique de disponibilité, concept issu de la psychologie sociale: les événements les plus récents et les plus spectaculaires occupent tout le champ mental du public. La portée de leurs effets est ainsi surévaluée, au détriment de données statistiques, froides, mais qui reflètent une image beaucoup plus fidèle à la réalité. Le cas plus souvent cité est celui des accidents d’avion, dont l’effroi qu’ils suscitent amplifie un risque qui est pourtant bien moindre que le transport routier.

Sur les marchés, un phénomène de même nature s’est produit avec les valeurs high-tech, des télécommunications et d’Internet. Les effets de ces innovations scientifiques, bien réelles au demeurant, ont suscité l’émergence de nouveaux concepts, tel celui de «Nouvelle Economie», cristallisant le point de rupture avec le modèle de croissance économique traditionnelle. Des études statistiques montraient en réalité que la productivité de ces secteurs ne connaissait pas les gains mirobolants proclamés. Mais lorsque les actions du secteur doublent en quelques mois, sous l’enthousiasme des acheteurs, les explications plus rationnelles ne font guère le poids…

Comme à chaque bulle spéculative, le jeu ne pouvait durer éternellement, comme de nombreux investisseurs en font aujourd’hui cruellement l’expérience. D’autant plus que si le marché exagère à la hausse, il tend aussi à amplifier les mouvements à la baisse. A l’optimisme béat succède un pessimisme de plus en plus noir au fur et à mesure que le marché chute: les mauvaises nouvelles, bien réelles, ne laissent alors plus aucune place à d’autres éléments, positifs: l’apocalypse paraît proche, tandis que le marché des actions est voué aux gémonies et comparé à un casino.

Sur le long terme pourtant, de nombreuses études comparatives de performances entre instruments financiers prouvent que les actions offrent des rendements de loin supérieurs à ceux des obligations et plus encore à ceux des placements à court terme.

Alors, si l’on est investi en Bourse, peut-on dormir sur ses deux oreilles et attendre la remontée du marché? Oui, si vous avez suivi les conseils traditionnels de la gestion de fortune, à savoir que n’avez pas besoin de l’argent ainsi placé pendant au moins une dizaine d’années, que votre portefeuille est assez diversifié avec des titres de sociétés solides, qui dégagent régulièrement des bénéfices et qui sont peu endettées.

En revanche, ceux qui ont succombé aux sirènes de la haute technologie, et qui se retrouvent avec un portefeuille de titres payés au prix fort, sur la base de promesse irréalistes, sont dans de beaux draps! L’espoir de récupérer sa mise est en effet très faible: l’acquisition des valeurs les plus en vogue à un prix élevé est l’une des pires politiques d’investissement recensées au cours des cinquante dernières années.