STRATEGIE Face à un choix important mais aux implications souvent difficiles à comprendre, les indépendants cherchent généralement à souscrire un produit de 3e pilier lié et négligent de s’affilier à une caisse de pension. Pourtant, ces dernières offrent souvent les meilleures solutions. A condition de bien choisir sa caisse.

Avant de se lancer dans la recherche d’un produit de 3e pilier lié ou d’une caisse de pensions, l’indépendant doit tout d’abord établir ses objectifs en matière de prévoyance. Quels risques veut-il couvrir ? Tout dépendra de sa situation personnelle : les besoins s’avéreront ainsi très différents pour un père ou une mère de famille de ceux d’un célibataire sans enfants. Grosso modo, chacun devrait être couvert contre le risque de longévité, c’est-à-dire d’atteindre un âge très avancé en manquant alors de ressources financières, ainsi que contre les conséquences matérielles de l’invalidité. En revanche, la couverture du risque décès n’a de sens que pour ceux qui ont des personnes à leur charge. À partir de là se pose la question fondamentale du choix entre le 2e pilier et le 3e pilier lié, qui tout deux offrent d’importantes déductions fiscales.

2e pilier ou 3e pilier lié ?

Pour être concret, prenons le cas d’un médecin, marié, avec plusieurs enfants, dégageant un revenu annuel de 200’000 francs soumis à l’AVS. Cette personne pourrait souscrire à une assurance vie mixte, c’est-à-dire un produit qui combine une prestation en cas de décès ou invalidité et une épargne, dans le cadre du 3e pilier lié. Elle pourrait ainsi verser une cotisation allant jusqu’à 20 % du revenu déclaré à l’AVS, mais au maximum  33’696 francs par an, entièrement déductible de son revenu imposable. Ce médecin aurait pu s’assurer contre ces mêmes risques, avec des prestations un peu différentes, en s’affiliant à une caisse de pensions : il aurait alors pu verser des montants plus élevés, pouvant théoriquement aller jusqu’à 25 % du revenu AVS assurable. En réalité, ce serait un peu moins, plutôt 20 %, soit 40’000 francs (= CHF 200’000 x 20 %) dans notre exemple. En outre, ce médecin pourrait, comme tout salarié, souscrire à un ou plusieurs produits de 3e pilier lié, mais, dans ce cas, avec un plafond de déductions nettement plus bas. Ainsi, les cotisations maximales seraient réduites à 6’739 francs par an.

Sur la base de ces seuls chiffres, la conclusion paraît s’imposer : cette personne aurait avantage à entrer dans une caisse de pensions. D’autant plus que la participation à une institution de prévoyance permet en principe de procéder à des rachats en fonction du plan choisi. En d’autres termes, si ses revenus connaissent une forte progression, les cotisations versées dans le passé ne suffiront pas pour assurer la couverture de son dernier revenu en arrivant à l’âge de la retraite. Il faudra donc procéder à des versements supplémentaires, qu’on appelle rachats. Or ces paiements vont également être exonérés de l’impôt sur le revenu et permettre de substantielles économies fiscales supplémentaires.

Quand l’absence de rachats devient un argument de vente

Paradoxalement, ces possibilités de rachats dans le 2e pilier constituent l’un des arguments massue des vendeurs de produits de 3e pilier lié. En effet, cette possibilité n’existe pas dans ce dernier cadre juridique. En d’autres termes, si vous êtes indépendant et que vous avez ouvert un compte de prévoyance bancaire en 3e pilier lié, vous ne pouvez pas sauter une année en cas de difficultés financières passagères par exemple, et verser deux fois le montant des cotisations maximales l’année suivante pour profiter du double des déductions fiscales autorisées. Il serait donc logique de privilégier cette forme de prévoyance si l’on dispose de peu de moyens, comme c’est le cas en début de carrière, pour ne pas perdre ces opportunités de réductions d’impôt.

Un point de vue que conteste Fabrice Merle, directeur de la Caisse Inter-Entreprises de Prévoyance Professionnelle (CIEPP), qui est la plus grande fondation de prévoyance professionnelle de droit privé basée en Suisse romande : « Dans le 2e pilier, les indépendants ont la possibilité de changer de plans de prévoyance au fil du temps et de l’évolution de leurs revenus, ce qui va leur donner la possibilité de procéder à des rachats pour des montants très importants, correspondant à un taux d’épargne de 22 % à la CIEPP par exemple. Ce qui est largement suffisant pour couvrir leur risque de longévité ». Il est vrai que le plafond de rachat fixé dans la LPP est extrêmement élevé, puisque le revenu assuré annuel peut aller, selon le règlement de prévoyance, jusqu’à 842’400 francs. Dans cette perspective, l’absence de rachats dans le 3e pilier ne joue effectivement plus de rôle.

Coordination entre le 2e pilier et le 3e pilier lié

Par ailleurs, la stratégie de couvrir ses risques de personne (longévité–invalidité–décès) en souscrivant dans un premier temps des produits de 3e pilier lié va poser un problème si l’on décide plus tard d’entrer dans une caisse de pensions. En effet, les couvertures d’assurance en matière d’invalidité et de décès du 2e pilier vont alors se superposer à celles du 3e pilier lié, pour atteindre des niveaux parfois élevés et sans doute excessifs en regard des besoins, entraînant des surcoûts pour l’assuré. Il serait donc logique qu’il résilie les contrats d’assurances privées pour transférer, le cas échéant, leur valeur de rachat dans la caisse de pensions. Mais cette opération peut se révéler financièrement très douloureuse, surtout si elle intervient au bout des premières années : les contrats étant fixés pour une très longue durée, les frais pourraient engloutir la totalité des primes déjà versées !

La question du niveau des primes entre également dans l’équation, comme l’explique encore Fabrice Merle : « Dans le 2e pilier, on applique un tarif collectif pour les risques décès et invalidité, alors que dans le 3e pilier lié, les primes sont fixées sur une base individuelle. Elles sont donc en principe nettement plus basses dans le 2e pilier que dans le 3e pilier lié, et surtout plus stables sur le long terme ». Cette question se pose de manière différente pour les personnes dont le mode de vie s’écarte du modèle de la famille traditionnelle, qui n’ont par exemple pas besoin de couverture décès, comme elle est incluse dans les prestations de la prévoyance professionnelle. Une couverture plus personnalisée pourrait peut-être s’avérer plus intéressante.

Choix de l’institution de prévoyance

Si l’indépendant se décide pour l’affiliation à une caisse de pensions, il doit déterminer laquelle sélectionner. Son choix est en fait relativement limité, puisqu’il ne peut s’assurer qu’auprès de l’institution de prévoyance de son domaine d’activité (association professionnelle ou organisation faîtière), comme c’est le cas de la CIEPP, ou auprès de l’institution supplétive. En outre, les indépendants avec personnel ont la possibilité de s’affilier à l’institution de prévoyance professionnelle qui assure leurs employés. Mais, il est important de le souligner, toutes les institutions ouvertes aux indépendants ne proposent pas de plans de couvertures surobligatoires. En clair, cela veut dire que le revenu assurable maximal peut être limité au minimum LPP, qui n’est que de 59’670 francs !

Par ailleurs, puisque l’indépendant peut choisir son institution de prévoyance, il a évidemment avantage à comparer les tarifs et les prestations. Il doit également examiner l’état de santé de la caisse. Toutefois, met en garde Fabrice Merle : « Il ne pourra se contenter du degré de couverture, qui est une mesure statique. Il faudrait donc que la personne se livre à une projection dynamique pour tenter d’appréhender l’évolution de la caisse, en prenant en considération sa structure d’âge, qui va déterminer son besoin en performances futures. C’est malheureusement une tâche extrêmement compliquée que de comparer deux institutions de prévoyance. » Le message a le mérite de la clarté !

Prévoyance individualisée dans le 2e pilier

En principe, les caisses de pensions qui offrent des plans surobligatoires à leurs assurés gèrent de la même manière leur avoir de libre passage pour chacun des plans proposés. Mais, depuis 2006, les institutions de prévoyance qui prennent en charge uniquement la partie du salaire supérieur à 126’260 francs peuvent soumettre à leurs affiliés un choix de stratégies de placement dans le cadre d’un même plan de prévoyance. Cette possibilité est ouverte à toute caisse de pensions, sous réserve que les prestations surobligatoires soient proposées dans une institution séparée. Ce qui est plutôt rare dans les faits.

Grâce à leur liberté de choix, les indépendants peuvent toutefois facilement y avoir accès. En effet, des fondations surobligatoires offrent de tels plans à partir de ce fameux montant de 126’260 francs. C’est le cas par exemple de la fondation collective surobligatoire PensFlex, comme l’indique Pascale Zarra, son directeur pour la Suisse romande, qui précise que cette solution n’est toutefois possible que pour les indépendants avec personnel : « L’indépendant ne peut s’assurer auprès de nous que s’il est accompagné d’au moins une autre personne avec un salaire pouvant être assuré, car il s’agit d’une assurance collective ».

Les indépendants qui se décideraient pour cette solution pourraient ainsi être assurés au titre de la prévoyance obligatoire jusqu’à 84’240 francs et surobligatoire jusqu’à 126’360 francs au sein d’une caisse ne proposant aucune individualisation. Et pour le surplus, leur affiliation à l’institution de prévoyance surobligatoire leur permettrait de choisir leur stratégie de gestion. Dans le cas de PensFlex, cette gestion est effectuée par des partenaires dont c’est le métier, comme la Banque Privée Edmond de Rothschild, ainsi que l’explique Alexandre Michellod, responsable de cette activité : « Nous proposons neuf stratégies différentes correspondant à des profils de risque distincts ».

À première vue, ce modèle paraît plutôt risqué. Les assurés vont-ils faire les bons choix, alors qu’ils ne sont pas forcément de grands spécialistes en matière de placements ? « Toutes les stratégies sont gérées sous la contrainte de l’OPP2, qui fixe les limites dans lesquelles les caisses de pensions peuvent allouer les différents actifs dans leurs portefeuilles, rétorque le banquier. Ces stratégies sont en outre contrôlées par un expert LPP et transmises à l’autorité de contrôle de Suisse centrale à Lucerne. Par ailleurs, il ne s’agit pas d’une plateforme d’exécution des ordres pour les assurés qui feraient eux-mêmes la gestion de leurs capitaux de prévoyance, mais seulement d’un mandat qui nous est confié par PensFlex pour gérer de manière individuelle leurs assurés ! »