GESTION DE FORTUNE La place financière genevoise s’adapte-t-elle aux nouvelles possibilités offertes par les conseillers robots? On constate une différence d’approche majeure avec le monde anglo-saxon et même un retard par rapport à la France

Souvent associé à des androïdes prenant la place de gérants humains, le concept de «robo-advisors» regroupe aussi des outils facilitant la maîtrise des informations des clients. Comment les banques genevoises intègrent-elles ces nouvelles technologies? Sont-elles vraiment en retard, comme on l’entend souvent? Enquête.

Les robots conseillers peuvent traiter «les informations financières et personnelles des clients, mais surtout celles qui portent sur les questions de régulation et qui sont liées au lieu de résidence, une tâche qui occupe aujourd’hui entre 30% et 40% du temps d’un gérant», explique Daniel Corrales, associé de la société de consultants Chappuis Halder. Le recours à de tels instruments, poursuit notre interlocuteur, se révélera «encore plus indispensable avec l’introduction en janvier 2018 des exigences MIFID II en matière de suitabilité et d’adéquation, c’est-à-dire de la pertinence de la proposition à un client d’un produit ou d’un service, ainsi que de la transparence à lui fournir».

Prise de conscience

Leader mondial de la gestion de fortune, la place financière genevoise a-t-elle pris les mesures nécessaires pour s’adapter à ce nouvel environnement? En réponse à cette question, Edouard Cuendet, directeur de la Fondation Genève Place Financière, met notamment en avant sa présence lors du congrès international Sibos, en septembre 2016 à Genève, qui avait réuni plus de 8000 délégués du monde entier issus des services financiers, bancaires et de sociétés technologiques: «Il faut en finir avec le mythe du retard de la Suisse en termes de fintechs. Car les premières fintechs sont les banques, qui n’ont pas attendu ce mot pour en faire.»

Daniel Corrales brosse un tableau nuancé: «Les petites banques dynamiques, en particulier, voient dans les fintechs des partenaires qui peuvent leur permettre de rattraper leur retard ou d’accélérer leurs stratégies. Cette adaptation n’est pas facile à effectuer, car il faut introduire non seulement de nouvelles technologies, mais aussi changer les mentalités en interne pour faire accepter l’innovation. Une autre difficulté va consister en l’intégration de ces robo-advisors dans une architecture informatique vétuste, qui n’a pas forcément été construite dans la même philosophie.»

Malgré ce récent changement d’attitude sur la place financière de Genève, n’y a-t-il pas un risque qu’une partie des gestionnaires de fortune en Suisse ne ratent le train de ces nouvelles technologies? «Je ne le crois pas, poursuit le consultant, mais cela va se traduire par un coût beaucoup plus élevé d’accès à l’innovation dans des secteurs qui ont mûri. D’autant plus qu’il faut rattraper le terrain perdu face à la concurrence, notamment française, qui a pris de l’avance sur les Suisses en matière de gestion et de service client assisté par des robo-advisors.»

Le rattrapage sera sans doute compliqué par un biais culturel, relève Dorian Selz, fondateur du site local.ch et de la start-up Squirro. Selon lui, trois raisons expliquent la réticence des acteurs suisses face à l’innovation par rapport au monde anglo-saxon: «Premièrement, les banques américaines ou anglaises ne considèrent pas le risque comme un phénomène dangereux, mais comme l’une des seules options pour développer leurs affaires. Deuxièmement, aux Etats-Unis, les grandes sociétés sont habituées à travailler avec des petites sociétés, qui sont, elles, à l’origine des innovations. Enfin, et c’est lié, les Suisses n’aiment pas prendre de risques et veulent s’assurer de la pérennité de leur partenaire. Il est donc très difficile pour une start-up d’avoir un gros établissement suisse comme client.»

Aux Etats-Unis, la question ne se pose pas en ces termes, poursuit l’entrepreneur, qui compte Wells Fargo parmi ses clients et aucune banque suisse: «Il s’agit seulement de savoir s’il est moins coûteux d’essayer de faire l’innovation soi-même en embauchant le personnel nécessaire ou de travailler avec une start-up. Et le calcul est vite fait!»

Abondant dans le même sens, Daniel Corrales explique que, jusqu’ici, une banque privée suisse n’acceptait de collaborer avec une start-up qu’aux conditions suivantes: «Elle est connue, elle est solide financièrement et d’autres établissements ont déjà implémenté ses solutions. Or ce type de modèle n’est plus du tout adapté au monde d’aujourd’hui, où une bonne partie de l’innovation vient des start-up qui n’ont évidemment pas de «track record» à faire valoir.»

Le rôle des start-up

Les start-up établies en Suisse ne sont pourtant pas condamnées à trouver des clients uniquement à l’étranger. En effet, poursuit Daniel Corrales, la tendance actuelle repose sur un modèle où «de petites sociétés de fintech offrent toute une batterie d’applications qui peuvent être installées sur la configuration existante de banques privées et de sociétés de gestion de fortune, selon les besoins des clients, plutôt que de prendre en charge toute leur administration».

La start-up genevoise InvestGlass, qui se concentre sur la clientèle non bancaire, s’inscrit dans ce schéma, comme l’explique Alexandre Gaillard, son patron et fondateur: «Il s’agit d’une plateforme automatisée de vente, surtout dans le domaine de la compliance (conformité), qui se «branche» sur le robot de gestion d’actifs de nos clients. Car ces derniers possèdent quasiment tous leur propre algorithme – c’est-à-dire que dans un ou deux ans, il y aura plus de 400 robo-advisors en suisse!» C’est un changement considérable, poursuit l’entrepreneur: «Il y a trois ans, ils ne voulaient pas de notre solution, estimant qu’elle allait tuer leur job. Actuellement, ils veulent savoir comment la mettre en place au plus vite. Il s’agit d’une machine qui peut être paramétrée par un gérant sans aucune connaissance de programmation.»

On doit cependant préciser que certains grands acteurs de la place ont développé des technologies de pointe: «Pour ce faire, plusieurs stratégies existent, détaille Edouard Cuendet. Certains acteurs bancaires privilégient le développement de solutions fintechs en interne pendant que d’autres préfèrent faire appel à des sociétés informatiques externes ou encore s’allient ou soutiennent des start-up actives dans ce domaine.»