La grande majorité des opérateurs sur les marchés connaissent des résultats généralement médiocres sur la durée. Seule une poignée émerge du lot. Ce n’est pas par hasard.

Comment arrivent-ils à de telles performances ? C’était la question à laquelle Jack Schwager, dans son célèbre « Le secret des grands traders » (traduction de « The New Market Wizards », Valor Editions), avait déjà commencé à répondre, en interviewant avec brio quelques-unes de ces stars généralement peu connues du grand public, mais qui accumulent année après année des performances exceptionnelles.

Les dix tâches du trader efficace

Dans la même veine, deux spécialistes américains renommés, Van K. Tharp, un psychologue, et Henry O. Pruden, professeur d’analyste technique à l’Université de Golden Gate de San Francisco, ont développé un modèle décrivant en dix points le processus idéal du trading efficace. Cette étude a été publiée en 1992 (« The Ten Tasks of Top Trading », MTA Journal, hiver 1992-1993), mais reste parfaitement d’actualité. Nous avons rencontré Henry O. Pruden à Genève, alors qu’il présidait, en juin dernier, le séminaire baptisé « Behavioural Finance & Technical Analysis », organisé par MGI (Switzerland) et le SAMT (« Swiss Association of Market Technicians »). Si le modèle s’adresse à des traders professionnels, il est riche en enseignements pour tout opérateur, peu importe sa taille.

À noter qu’il ne s’agit en aucun cas d’un catalogue de trucs ou de combines pour boursicoteur, mais bel et bien de stratégie. Si le processus paraît relever d’un certain bon sens, il met en réalité le doigt sur les erreurs à éviter, commises par exemple en 1998 par les responsables du fameux fonds LTCM. Responsables qui se sont enfoncés dans des stratégies de plus en plus risquées, sans limiter au départ la perte maximale qu’ils pouvaient s’autoriser, en pariant sur une évolution des marchés conformes à leurs désirs. Si leur démarche était logique puisque, comme nous l’expliquait Nicolas Barberis, professeur de finance comportementale de l’Université de Chicago, les titres qu’ils acquéraient étaient mal évalués, ils ont sous-estimé la durée du retour à la normale. Au contraire, la déviation s’est davantage creusée, rendant la situation pire encore, pour entraîner finalement la chute du hedge fund.

L’autocontrôle quotidien

« Une opération de trading réussie, c’est 40% de contrôle de risque et 60% d’autocontrôle. À son tour, le contrôle de risque se partage pour moitié par le money management et pour l’autre moitié par l’analyse du marché. Par conséquent, ce dernier facteur ne compte que pour 20% dans le succès de l’opération de trading lancent Van Tharp et Henry Pruden. La première tâche d’un trader sera donc de savoir s’il est au meilleur de sa forme, en raison de l’impact qu’une diminution de ses capacités personnelles aura sur sa performance.

La répétition mentale

À l’instar des sportifs de haut niveau, les traders doivent s’astreindre à recourir à la répétition mentale. De cette manière, le trader peut se préparer aux opérations à venir, en anticipant les problèmes et en développant des solutions appropriées. Cela permet d’éviter les erreurs.

Le développement d’idées à faible risque

« La plupart des traders analysent le marché de manière à prévoir les prix. Mais la prévision n’a que peu à voir avec des opérations de trading réussies. Ce qui est important, poursuivent Van Tharp et Henry Pruden, c’est de éterminer quand le risque est très bas et ensuite de le contrôler. »

La traque

Pour cette phase, les deux auteurs recourent à une métaphore familière aux grands professionnels du trading, celle de la stratégie des félins, comme celle du guépard. « Le guépard peut rattraper n’importe quel animal, mais il reste cependant à l’affût, jusqu’à ce qu’il arrive à proximité de sa proie, en choisissant habituellement un animal faible ou boiteux. » Toujours dans cette idée de limiter le risque d’échec pour un coût minimal.

L’action

Cette phase est courte et nécessite « une décision agressive, hardie et courageuse », rajoutent les deux auteurs. Ce n’est plus l’heure de la réflexion, des doutes et des délais.

Le contrôle

Une fois que le trader a pris une position dans le marché, il doit la contrôler. « La pire erreur lors de cette phase est de chercher une justification et de déformer les données pour les adapter à ses attentes. »

L’abandon

La règle d’or en trading est résumée par le dicton « cut your losses and let your profits run », soit couper ses sources de pertes et laisser courir ses profits.

Pour liquider une position, la plupart des grands traders partagent l’une ou plusieurs des vues suivantes : « Si le marché évolue en votre défaveur, c’est le moment le plus critique pour sortir. Ce qui est le plus important pour décider de liquider la position, c’est le montant de perte maximale que vous êtes prêt à accepter. » Car c’est la survie même du trader – financière s’entend – qui est en jeu.

En limitant la casse, le trader conservera son opportunité à chasser de nouveau, pour reprendre l’analogie avec l’animal prédateur. Et il faut faire preuve de bon sens. « Lorsque les vents vous sont contraires, vous avez intérêt à vous retirer du marché », expliquent nos deux spécialistes.

Cette possibilité n’existe évidemment que pour les spéculateurs et non pas pour les traders d’établissements financiers ou commerciaux, qui sont obligés de faire des transactions. C’est un très grand avantage pour le spéculateur. « Car, indiquent Van Tharp et Pruden, vous n’êtes pas forcé d’être dans le marché à tout moment. »

La prise de bénéfices

La plupart des traders mettent beaucoup d’application pour préparer leur entrée sur le marché, mais pas leur sortie. « Si vous ne le faites pas, cela signifie que vous n’avez pas calculé votre risque de manière adéquate. » Concrètement, quand faut-il prendre ses bénéfices ? Décision qui doit être rapide et décisive.

Van Tharp et Henry Pruden listent les quatre situations suivantes. Premièrement, quand la raison originale d’être investi a disparu. Deuxième critère pour prendre ses bénéfices, c’est lorsque le marché a atteint les objectifs du trader. Le troisième principe, c’est quand la volatilité du marché change brutalement, modifiant ainsi les paramètres de l’opération. La forte augmentation de la volatilité est caractéristique des marchés marqués par l’euphorie et l’hystérie collectives. Cette quatrième situation offre de belles opportunités de profits, mais le risque qui leur est associé devient plus grand encore. Il est donc plus raisonnable de sortir du marché à ce moment-là et de prendre ses bénéfices.

Le bilan quotidien

Les bons traders se livrent chaque jour à l’examen de leurs actions pour déterminer si aucune erreur n’a été commise. Pas forcément une erreur qui leur cause une perte… Selon Van Tharp et Henry Pruden : « Une erreur de trading est un manquement à sa stratégie et à son plan d’action. Les traders devraient être particulièrement attentifs aux erreurs pendant qu’ils sont en train de faire de l’argent, C’est le meilleur moyen d’en perdre beaucoup par la suite, la chance n’étant pas toujours au rendez-vous.

La révision périodique

Le trader doit régulièrement repenser sa stratégie, car les marchés changent et lui aussi. La fréquence de cette étude doit se faire sur une base qui dépend du nombre d’opérations. Par exemple, un trader qui effectue plusieurs transactions par jour devra revoir sa stratégie toutes les trois ou quatre semaines ; si le trader n’intervient que trois ou quatre fois par semaine, la révision ne sera nécessaire qu’une fois tous les trois ou quatre mois.

L’importance de prendre des vacances

« Les traders qui souffrent de graves problèmes personnels ne peuvent réussir sur le marché, parce que ces problèmes les y accompagneront », affirment Van Tharp et Henry Pruden. En fait, les deux experts mettent en avant un élément fondamental, indispensable pour connaître le succès en Bourse : vivre de manière équilibrée, sans que l’activité de trading n’en devienne obsessionnelle au point de déborder sur les autres activités et plaisirs de la vie. Il est ainsi important de prendre des vacances, sans penser constamment au marché. Un trader qui ne parvient jamais à décrocher complètement du marché gâche ses périodes de détente. Cette crispation se répercute alors sur ses performances quand il sera de retour à son bureau, entraînant un véritable cercle vicieux. Alors que, comme le soulignent Van Tharp et Henry Pruden « vous n’avez pas à capter chaque mouvement du marché ! Il y aura toujours une autre opportunité. »