Un an après la faillite de la Banque Barings, Nick Leeson raconte sa vérité dans une autobiographie (1) qui vient de sortir.

Si peu de gens hors du cercle des professionnels comprennent vraiment la nature des produits dérivés, beaucoup en revanche se souviennent de la déconfiture de la Banque Barings, vénérable établissement britannique qui comptait parmi sa clientèle pas moins que la reine d’Angleterre elle-même. Or c’est justement sur ces mystérieux produits dérivés que cette banque a vu son destin se sceller, à la suite des gigantesques pertes accusées par sa filiale de Singapour.
Cette catastrophe secoua la planète, faisant craindre un instant que la secousse ne mette en péril le système financier dans son ensemble. Il se révéla rapidement qu’il fallait en imputer la faute principale à Nick Leeson, le responsable de la filiale de la Barings à Singapour, qui avait sciemment trompé ses supérieurs, en falsifiant ses comptes pour camoufler des pertes en croissance exponentielle.

Nerfs solides

Acteur principal d’une histoire hors du commun, qui constitue la matière première idéale pour un thriller haletant, l’auteur livre ses états d’âme tout au long d’une carrière météorique qui l’a conduit de la salle des marchés de Singapour à l’une des cellules de sa prison.
C’est donc vraiment de l’intérieur que l’on parvient à saisir comment cet homme a réussi, non pas seulement techniquement, mais aussi psychologiquement, à faire sauter la Barings. Car il fallait avoir des nerfs solides pour jouer à un jeu qui avait démarré plus de deux ans plus tôt, par un petit découvert, porté sur un compte secret. Nick Leeson décrit donc comment il a été poussé à jouer de plus en plus gros, pour tenter de se «refaire» après chaque nouvelle perte: «La première fois, on vend ou on achète quelque chose parce qu’on en a besoin. La deuxième fois, on effectue une transaction en gardant à l’esprit la position acquise. Si le résultat est défavorable, on peut doubler la mise, c’est la base de tout pari. Si on double la mise, il suffit que le marché connaisse une variation deux fois plus faible pour regagner la mise. Mais le risque est doublé. Tout le monde sait qu’il vaut mieux éviter ce procédé, et pourtant tout le monde l’applique.»
Ce jeu de roulette russe se révèle cauchemardesque pour le trader qui voit sa tombe se creuser avec l’accumulation de pertes qu’il camoufle en multipliant les manipulations de plus en plus illégales: «Je haïssait les lundis. Le week-end m’apportait un peu de répit: je n’avais plus à craindre de prendre une raclée en salle de marché ou de voir mes magouilles dévoilées au back-office.»

Myopie

Les manque de contrôles à l’intérieur de la banque, l’incompétence de ses responsables à tous les échelons et leur myopie à l’égard des manipulations de Nick Leeson, mis en évidence dans les rapports d’enquête officiels, prennent un sel particulier sous la plume de l’escroc lui-même. Ce dernier prend notamment un malin plaisir à fustiger l’ignorance du président de la Banque Barings, Peter Barings, en rappelant un échange de celui-ci, avec le directeur de la Banque d’Angleterre, en septembre 1993, alors que les pertes de la filiale de Singapour commencent à prendre de l’ampleur: «Les bénéfices sont devenus spectaculaires après la restructuration: la Barings en a conclu qu’en fait il n’était pas très difficile de gagner beaucoup d’argent avec des titres.» Nick raconte alors comment il imaginait «la voix doucereuse de Peter Barings dans l’un des immenses bureaux de la Banque d’Angleterre, confortablement assis dans un canapé de cuir, tournant sa cuiller dans l’Earl Grey et admirant les pointes de ses souliers vernis. «Pas très difficile de gagner…» (…) «Pourtant, reprend Nick Leeson, ils auraient dû savoir qu’il n’a jamais été facile de gagner de l’argent(…) Quand ça le devient, c’est qu’il s’agit d’un jeu de hasard. Même le joueur le plus accro sait qu’il a des probabilités contre lui, sinon les casinos en seraient pas aussi prospères.»

Sincérité?

Si on ne peut évidemment attendre d’une autobiographie qu’elle soit complètement sincère, surtout lorsque l’on considère les antécédents de l’auteur, on ne peut en revanche mettre en doute l’authenticité de la plupart des faits avancés. Mais comment l’ex-trader aurait-il pu faire autrement, puisqu’il a été pris la main dans le sac. Par ailleurs, le grand intérêt de cet ouvrage est de remettre l’église au milieu du village: ce ne sont pas les produits dérivés qui ont causé la perte de la Banque Barings, mais Nick Leeson, responsable de la filiale de Singapour. Violations de la loi qu’il paie d’ailleurs chèrement: six ans et demi de prison.

1) Trader fou par Nick Leeson avec Edward Whitey, JC Lattès 1996.