ALLOCATION D’ACTIFS Les valeurs non cotées sont en principe réservées aux grands comptes. Elles deviennent pourtant plus largement accessibles par le biais de sociétés d’investissement ouvertes. Et par les fonds de fonds.

Dans le monde feutré du private banking, les activités associées au private equity sont sans nul doute parmi les plus difficiles à pénétrer. Il est vrai que les formes classiques du private equity, que sont le capital risque (venture capital), le capital développement, le capital transmission ou le capital restructuration, sont bien connues et régulièrement décrites dans la presse spécialisée, avec les différentes possibilités d’investissement : direct, par un fonds de private equity ou encore par le biais de fonds de fonds.

Seulement, lorsqu’on cherche à savoir comment, concrètement, les clients peuvent accéder à ce type de prestations auprès des banquiers, les langues ont parfois de la peine à se délier. Peut-être sous l’influence du caractère confidentiel des opérations qui sont liées aux valeurs non cotées. La tâche de recherche est en outre compliquée par le nombre très restreint des professionnels actifs dans ce segment de marché.

D’ailleurs, toutes les banques offrant un service de gestion de fortune digne de ce nom ne proposent pas forcément de private equity à leurs clients. Ce qui n’est guère surprenant étant donné que seule la clientèle la plus fortunée accède à ce type de prestations : les fonds les moins chers n’ouvrant leurs portes qu’à partir de 250’000 francs, pour aller jusqu’à 10 millions ou même plus pour les fonds les plus intéressants.

Parmi les grands acteurs en Suisse, on compte évidemment les deux géants, UBS et Credit Suisse, ainsi que Pictet & Cie, LODH ou encore BNP Paribas.

Si le private equity, sous cette forme, est réservé à la clientèle la plus fortunée, les clients plus modestes, et même tout un chacun, ont la possibilité de participer à ce marché par l’intermédiaire des actions. En effet, quelques sociétés qui investissent dans le private equity sont elles-mêmes cotées en Bourse. Avant de se pencher sur cette manière plus « démocratique » d’accéder au marché des valeurs non cotées, examinons d’abord l’offre haut de gamme de quelques-uns de ces acteurs.

5 millions au minimum

Philipp Baretta, director, membre du capital market group de Credit Suisse, indique que « le montant minimal des fonds sous gestion pour investir en private equity est de 5 millions de francs. Et, pour ce patrimoine financier, le client n’a droit qu’à une participation dans un fonds de fonds. Pour avoir un accès direct à un fonds de private equity, il faut que sa surface financière dépasse 20 millions de francs.

Ce n’est qu’une condition, car il faut en outre que le client soit prêt à accepter les conditions particulières du private equity : il faut commencer à investir durant les trois ou quatre premières années avant que ne se concrétisent les revenus attendus. C’est la raison pour laquelle le client qui dispose d’un horizon-temps de moins de huit à dix ans ne doit pas investir dans le private equity. Mais ces contraintes permettent de bénéficier de rendements particulièrement élevés. »

Pour ses clients les plus fortunés et prêts à s’engager sur ce marché, Credit Suisse propose d’investir de 5 à 20% de leur portefeuille en private equity. Si le montant alloué est de 20%, «nous allons diversifier ces investissements de telle manière qu’un seul fonds ne dépasse pas 5% du portefeuille du client. Ce qui veut dire que nous allons investir dans au moins 4 ou 5 fonds différents. Quant aux clients dont le profil de placement se limite à une part de 5% en private equity, ils sont investis en fonds de fonds. »

« Les gros clients préfèrent investir dans les fonds individuels et ce pour deux raisons, explique encore Philipp Baretta : D’une part, ils évitent de payer des commissions supplémentaires dues à la structure du fonds de fonds et, d’autre part, ils peuvent tirer profit d’une des caractéristiques du private equity : l’écart de performance entre le premier quart des meilleurs fonds et le dernier quart des plus mauvais est énorme. »

Ainsi, selon la société Venture Economics, les fonds du premier quart ont dégagé une performance positive de 20,3% sur 10 ans à fin 2004, contre une performance négative de 3,1% pour les fonds appartenant au dernier quart. Sur 20 ans, la performance est de 17% pour les meilleurs fonds et de 0,8% pour les plus mauvais.

Trouver le meilleur manager

Ces résultats corroborent les analyses de la société Adveq, un des leaders européens en fonds de fonds de private equity (non coté), dont son directeur exécutif, Rainer Ender, s’en faisait l’écho dans le magazine La Prévoyance Professionnelle de mars 2005. Ce dernier déclarait que « les différences de performance entre bons et mauvais managers sont beaucoup plus marquées pour le marché du capital investissement que pour les catégories de placement traditionnelles et il est prouvable que les très bons managers réussissent plus longtemps et plus souvent. Autrement dit, l’amélioration souhaitée du rendement sera obtenue si on sait choisir les meilleurs managers de fonds. »

Et il ajoutait que « cette sélection au sein d’un segment déterminé est beaucoup plus importante que le choix du segment en soi ». D’ailleurs, toujours selon Rainer Ender, « les rendements de tous les segments de capital investissement et de tous les fonds y représentés n’apportent pas d’amélioration sensible à un portefeuille de placement traditionnel. De plus, les segments affichent des corrélations surprenantes avec les indices d’actions comparables. »

Pour trouver les meilleurs managers, Credit Suisse opère selon une architecture ouverte, explique encore Philipp Baretta, en faisant appel à des grandes sociétés de private equity telles Blackstone ou Carlyle. En revanche, lorsqu’il s’agit de fonds de fonds, la banque recourt en général aux produits d’ACD (alternative capital division), une unité de l’ancienne DLJ, active depuis 1985 et qui avait été rachetée par Credit Suisse en 2000.

Surperformance de ces actifs

Pictet & Cie est un gros acteur sur le marché du private equity, avec pas moins de 7,5 milliards de francs, soit entre 2,5 et 3% du total des avoirs en dépôt de la banque, comme nous l’a indiqué Hans van Swaay, son responsable auprès de la banque privée genevoise. Et de poursuivre : « Nous sommes presque exclusivement des investisseurs dans des fonds de private equity ; parfois nous faisons des co-investissements avec des fonds dans lesquels nous avons investi. » Pour justifier les efforts consacrés à ce type d’investissements, Hans van Swaay compte sur « une surperformance de ces actifs de 5 points de pourcentage par rapport aux indices des marchés des actions sur le long terme ».

Pictet & Cie n’offre actuellement pas la possibilité à ses clients d’investir dans des fonds de fonds, en raison du manque de flexibilité qui caractérise ce type de véhicule, notamment parce qu’il ne permet pas à l’investisseur de choisir les fonds dans lesquels il placerait son argent. C’est pourquoi la banque préfère agir à titre fiduciaire en détenant un portefeuille de plusieurs fonds directs pour les investisseurs, qui peuvent ainsi faire un choix entre les différents fonds proposés. Pictet favorise des portefeuilles de private equity sur mesure pour chaque client.

À relever que Hans van Swaay estime que « l’engagement dans le private equity devrait se monter dans une fourchette comprise entre 5% et 10%, pour des clients d’une certaine taille ». Pour justifier ce jugement, le spécialiste de chez Pictet estime qu’« à moins de 5%, on n’en voit pas l’effet ».

Famille de fonds

De son côté, la banque LODH avance un milliard de francs en private equity dans les portefeuilles de ses clients « au travers d’une gamme complète de produits propres et tiers, de prestations de conseils et d’administration », indique la banque. Elle propose ainsi pour sa clientèle une famille de fonds qui sont investis en fonds de private equity (fonds de fonds) ou directement dans les entreprises.

LODH offre également « des solutions sur mesure, poursuivant des stratégies spécifiques en fonction de la fortune globale de chaque client et de ses autres besoins particuliers. Ces prestations s’adressent à des investisseurs qui désirent investir en private equity, sans devoir pour autant mettre en place une infrastructure dédiée. Nos prestations incluent la constitution de portefeuilles diversifiés, combinant de manière personnalisée différents produits de private equity : une sélection de fonds directs, les fonds mezzanine inclus, de même que les fonds de fonds. Enfin des conseils quant à la création et à la structure d’un portefeuille de private equity, ainsi qu’à la définition et la mise en oeuvre d’une stratégie d’investissement. »

Clientèle sophistiquée

Chez BNP Paribas, à Genève, le private equity est clairement réservé à une clientèle sophistiquée et qui doit bénéficier d’une certaine surface financière pour y accéder, comme l’explique Marc Ciriani, investment advisor au sein du département dédié aux très grands clients de la banque, « car il s’agit de capital risque, avec le risque de perte qu’incluent de tels investissements, qui sont illiquides par nature et qui peuvent être long à réaliser ».

Des produits pas très courants

C’est d’ailleurs pour réduire ce risque que la banque n’offre d’investissements en private equity que par le biais de fonds, non seulement ceux qui sont proposés par la branche private equity du groupe BNP Paribas, mais aussi des fonds de tiers.

Toujours dans cet établissement, la proportion de private equity ne doit pas dépasser 1% du patrimoine d’un client. Or si le montant minimal demandé par le fonds est d’un demi-million de dollars, par exemple, on calcule rapidement la taille du patrimoine global correspondant. En l’occurrence, cette fortune devrait donc s’élever à 50 millions de dollars.

Cependant, nuance Marc Ciriani, « si vous entrez dans un fonds de fonds, la part consacrée à un seul fonds pourrait être plus élevée, de 3% à 5% du patrimoine, voire plus, réduisant ainsi la taille critique nécessaire. Tout dépendra de la diversification offerte par le produit. Mais nous ne proposons pas pour l’instant ce type de produits à nos clients, qui ne sont d’ailleurs pas très courants ! »

Un terme qui recouvre des profils très différents

Au sens large, le private equity recouvre tout investissement dans des actions de sociétés non cotées en Bourse. Par définition, ce type d’activité est marqué par son manque de liquidité, par la difficulté à établir la valeur des actions détenues ainsi que par la déficience d’informations sur les sociétés. Sous cette définition très générale, le private equity recouvre des prises de participation dans des sociétés aux profils très différents, donnant lieu à des appellations distinctes.

Ainsi, on définit le capital risque (venture), lorsqu’il s’agit de jeunes entreprises, actives dans des secteurs à fort potentiel de développement.

Le capital développement consiste en l’investissement dans des sociétés profitables en plein développement. Les prises de participation des investisseurs sont en général minoritaires, dans le but de les revendre plus tard à des sociétés plus importantes ou par introduction en Bourse (IPO).

On appelle capital transmission (LBO, ou leverage buy out) l’investissement destiné à aider la société à changer d’actionnaire. Les prises de participation sont dans ce cas surtout majoritaires. L’objectif est la revente à terme à d’autres sociétés plus importantes ou l’introduction en Bourse. Souvent dans le cadre de LBO, on parle également de dette mezzanine, par référence au caractère intermédiaire de prêts dans ces opérations.

Enfin, on emploie le terme de capital restructuration (distressed debt restructuring) lorsque les investisseurs rachètent les dettes d’entreprises en difficulté et interviennent dans leur gestion.

Pour l’investisseur (très) fortuné, le private equity peut donc se traduire par des prises de participation directe dans les entreprises. Mais c’est rare, non seulement en raison des risques encourus, mais aussi des compétences professionnelles requises. En général, cet investissement sera effectué via un fonds, qui se présente sous forme de société en commandite.

Le commandité (general partner) est le gestionnaire du fonds, tandis que les investisseurs qui fournissent les capitaux sont les commanditaires (Iimited partners).

Avant de démarrer le processus d’investissement, les gérants de fonds de private equity cherchent des commanditaires qui soient prêts à s’engager sur demande. Ce n’est qu’ensuite qu’ils partent en quête d’investissements, sur trois ou quatre ans, en faisant progressivement appel à eux. Ces investissements ne commencent à dégager du revenu qu’à partir de la 4e ou 5e année, pour être revendus au fur et à mesure, permettant le remboursement (avec bénéfice si possible !) des capitaux investis.

Les investisseurs peuvent également s’engager dans des fonds de fonds, pour des mises initiales moins élevées, mais qui restent trop importantes pour l’investisseur aux moyens modestes. Ce dernier trouvera son chemin vers le private equity en acquérant des actions de sociétés cotées qui sont elles-mêmes investies dans ce secteur.

Le private equity pour tous

Les clients sous mandat auprès de Credit Suisse et dont le portefeuille n’atteint pas 5 millions de francs n’ont pas une allocation directe de private equity. Toutefois, comme l’indique Philipp Baretta, une allocation moyenne de 2% lui est consacrée sous forme d’actions cotées en Bourse et investies en private equity. C’est d’ailleurs le moyen pour tout investisseur d’entrer sur ce marché : il peut ainsi acquérir les actions de ces sociétés et les revendre en Bourse à tout moment.

Mais, évidemment, les actions en private equity n’offrent pas que des avantages, puisqu’elles souffrent en général d’une décote par rapport à la valeur d’inventaire des fonds sous-jacents. Ce qui n’a rien d’étonnant, explique Philipp Baretta, étant donné le décalage existant entre les échanges boursiers et la publication de cette valeur, qui n’a lieu que trimestriellement. C’est cette incertitude que la décote traduit.

Il n’en reste pas moins que de tels investissements permettent d’obtenir des rendements très intéressants, même s’ils ne sont pas aussi extraordinaires que ceux qui sont calculés par venture capital pour les meilleurs fonds sur 10 ans, soit 17,1% à fin 2004. Toutefois l’indice LPX 50, qui regroupe 50 des plus importantes sociétés cotées de private equity à travers le monde, soit 80% du marché, affichait tout de même une performance annuelle de 11%, contre 9% pour le Nasdaq sur quasiment la même période (de janvier 1994 à mars 2004), tandis que l’indice MSCI-World ne présentait qu’une performance de 5%, pour une volatilité toutefois plus importante, de 18% pour le LPX 50, contre 15% pour le MSCI-World.

Corrélation élevée

Les créateurs de l’indice LPX 50, sous la houlette du professeur Heinz Zimmermann, de l’Université de Bâle, ont mis en évidence un résultat qui contredit une idée reçue, mais qui conforte les études réalisées par la société Adveq, déjà mentionnées : le private equity a une corrélation beaucoup plus élevée avec les marchés des actions traditionnelles, contrairement à ce que l’on pense généralement.

C’est particulièrement vrai, écrivent les chercheurs, dans les marchés baissiers, où cette corrélation augmente fortement. Ainsi, avant, la corrélation avec le MSCI-World était de 0,36 pour monter à 0,72 après mars 2000.

Comme la volatilité de ces actions est plus élevée que l’ensemble de celles du marché, « les investisseurs doivent se rendre compte que les sociétés cotées investies en private equity montent plus fortement que les marchés des actions en période de boom et baissent plus fortement lorsque les marchés baissent », déclarait ainsi Heinz Zimmermann dans une interview accordée à Cash l’an dernier. C’est pourquoi, comme il le préconise, lorsqu’on investit dans ce type d’actifs, il faut diversifier.

Par ailleurs, si l’on considère les valeurs qui constituent le LPX 20, sous-indice du LPX 50 constitué par ses 20 plus grandes valeurs, on s’aperçoit qu’il existe là également de très grands écarts de performances sur 10 ans, comme l’a calculé Philipp Baretta. Ainsi, la meilleure société est Ratos B, avec plus de 28% de performance, alors qu’à l’autre bout de l’échelle on trouve Japan Asia, avec -1,57%! À noter que cette action a connu un redressement spectaculaire au cours de ces dernières années, parallèlement à la remontée du marché japonais.

L’intérêt pour les sociétés cotées et pour l’indice LPX 50 a été suffisamment fort pour que Swisscanto, le promoteur des fonds de placement des banques cantonales, vienne de lancer un fonds sur cet indice, le premier dans son genre (voir aussi p. 43). Ce nouveau fonds, baptisé Swisscanto (LU) Equity Fund Listed Private Equity, investit dans le monde entier dans les sociétés cotées investies en private equity, en s’orientant fortement sur l’indice LPX 50. Il s’agit de rendre encore plus accessible le marché du private equity aux investisseurs individuels en permettant une saine diversification.