Après la déroute du paquet fiscal le mois dernier, les propriétaires ou futurs acquéreurs de leur propre logement doivent-ils s’attendre à ce que de nouvelles propositions de réformes de la fiscalité immobilière reviennent sur le tapis prochainement? Si l’on en croit les experts de la branche, la situation est bloquée pour longtemps, c’est-à-dire avec le maintien de la valeur locative et la déductibilité des intérêts hypothécaires. Alors si rien ne change, les propriétaires doivent-ils continuer à s’endetter aussi fortement et à procéder à de lents amortissements pour profiter au maximum de l’effet de la déductibilité des intérêts hypothécaires? Pas si sûr?
Mais avant d’aller plus loin, constatons l’effet du cadre juridique actuel. Car il y a des gagnants et des perdants, comme nous l’explique Stéphane Tanner, directeur des affaires fiscales et juridiques de l’administration fiscale cantonale genevoise: le résultat final entre l’ajout de la valeur locative et la déduction des intérêts hypothécaires «est dépendant de plusieurs facteurs, à savoir la valeur locative de l’objet, son abattement, les frais d’entretien encourus et le niveau d’endettement, respectivement des taux d’intérêt liés à cet endettement. Globalement, poursuit Stéphane Tanner, je pense pouvoir dire qu’une grande partie des personnes concernées voient leur valeur locative absorbée par les charges déductibles. Il n’en va pas ainsi pour les personnes peu endettées, et notamment certaines personnes âgées ayant remboursé leurs hypothèques au cours du temps.»
Cette analyse justifie donc les critiques faites à ce système, comme s’en fait l’écho Christophe Aumeunier, secrétaire général de la Chambre genevoise immobilière (CGI) poussant les emprunteurs à retarder leurs remboursements le plus possible, tout en effrayant une partie des propriétaires potentiels qui ne veulent pas s’endetter jusqu’à la fin de leurs jours. Oui, mais? nous dit Christophe Reymond, secrétaire de l’Union suisse des professionnels de l’immobilier (USPI), s’il est vrai que la loi actuelle incite les propriétaires à freiner l’amortissement, c’est en général une erreur de calcul! «Même s’il y a des exceptions, le coût des intérêts hypothécaires est plus élevé que celui du fisc, affirme notre interlocuteur. Quant à l’impôt dû sur un bien entièrement amorti, dit du syndrome du rentier de Pully, il ne faut pas oublier que le propriétaire paierait des intérêts passifs. Pour que l’opération soit vraiment favorable, il faudrait que la somme qui n’a pas servi à rembourser l’hypothèque ait pu générer des gains en capitaux, qui sont francs d’impôts. Mais ce n’est pas aussi facile qu’on le croit?».
Les taux d’intérêt extrêmement bas que l’on connaît actuellement rendent cependant la démonstration moins évidente, puisque cela réduit d’autant la charge immobilière. Mais ce serait raisonner à courte vue car les emprunts hypothécaires sont par nature des dettes à très long terme et qu’on ne peut savoir quel sera le niveau des taux d’intérêt dans les dix années qui viennent. Mais si l’on se fie aux banques, qui usent de l’argument de la remontée des taux pour inciter les candidats à la propriété à franchir le pas aujourd’hui, l’augmentation à venir des charges hypothécaires est programmée.
Enfin, il convient de prendre garde à une composante souvent sous-estimée, comme le rappelle fort à propos William-Henri Sunier, expert comptable diplômé et membre de la Chambre fiduciaire de Genève: s’il est vrai qu’«on a avantage à minimiser l’assiette de l’impôt en profitant des déductions fiscales liées aux intérêts hypothécaires, surtout lorsque les taux sont bas comme aujourd’hui, on ne doit pas s’arrêter à ce seul aspect fiscal. Il faut également considérer la capacité du débiteur à faire face à ses charges financières à l’avenir».
Cette solvabilité est bien évidemment impossible à garantir à 100%, à moins d’être devin. C’est pourquoi il est nécessaire de se garder une marge de sécurité pour éviter d’être pris à la gorge en cas de coup du sort. Dans la même logique, à moins d’être assuré de conserver un revenu élevé arrivé à la retraite, il vaut mieux avoir presque complètement amorti son bien immobilier à ce moment-là. D’autant que si aucun changement n’est en vue dans l’immédiat sur le plan fiscal, il ne faut pas oublier qu’un amortissement hypothécaire s’étale sur plusieurs décennies. Sur une aussi longue période, tout peut arriver!