Les rendements obligataires sont presque nuls depuis des années. Les emprunts n’ont pourtant pas disparu!… Pierre Novello

Les taux d’intérêt très bas que l’on connaît depuis plusieurs années ne sont guère propices aux obligations, c’est le moins qu’on puisse dire! Au point que, comme l’a montré récemment la banque LODH & Cie, les caisses de pension suisses ont réduit de 60 à 35% la part obligataire dans leurs portefeuilles. La diversification s’est effectuée au profit de hedge funds, de produits structurés, de métaux précieux et de matières premières.

Ce glissement vers des produits alternatifs n’est pas forcément sans risque, comme le rappellent cruellement les vicissitudes de Bear Stearn: deux hedge funds du groupe américain lourdement investis dans des dérivés de crédit de type CMO (collateralized mortgage obligations) sur le marché des hypothèques risquées, dites «subprime» en grave difficulté. Au point de provoquer les turbulences que l’on sait sur les marchés.

Pour l’investisseur privé, on note une tendance analogue, mais moins spectaculaire, de la part des établissements spécialisés dans la gestion de fortune, à trouver des alternatives aux obligations et aux fonds en obligations. La part obligataire a non seulement été réduite, mais également la duration.

A l’instar des caisses de pensions, le recours à des produits alternatifs est fréquent, avec de nombreuses nuances. Que l’on gère soi-même son portefeuille ou que l’on délègue cette tâche, il est primordial d’examiner attentivement ce que contient son portefeuille obligataire et ses substituts.

Exposition et duration

Yves Bonzon, directeur des investissements (CIO) de la banque Pictet & Cie, détaille: «Nous avons établi une part stratégique en obligations de 35%, pour un portefeuille à risque équilibré. Mais tactiquement, elle ne se monte qu’à 28% (18% en francs suisses, 5% en euros et 5% de dettes émergentes en monnaies locales).

Sous cette rubrique, les portefeuilles contiennent soit des obligations en direct, soit des fonds en obligations. Le rapport va dépendre de la taille du portefeuille.»

«Il y a trois ans, poursuit-il, nous avons stratégiquement et de manière progressive baissé la part obligataire dans les allocations d’actifs au profit de hedge funds très diversifiés, très défensifs, qui ne soient pas directionnels, dans une proportion de 15%. Pour un client résidant en Suisse avec un portefeuille équilibré, la proportion de 28% d’obligations sera peut-être moindre. Une partie peut être remplacée par des parts de fonds immobiliers, qui permettent une optimisation fiscale.»

Gestion active et diversification

En revanche, la banque a exclu «toute forme de crédit structuré de type CDO (collateralized debt obligation) ou de swaps d’intérêt». Par ailleurs, elle a choisi de nouveaux indices de référence, à la duration inférieure. Cette décision a entraîné «mécaniquement la baisse de la duration dans les portefeuilles de l’ordre de deux à trois ans selon les marchés, c’est-à-dire selon les monnaies, concernés».

Du côté de la Banque Cantonale Vaudoise, Fernando Martins da Silva, stratège pour la gestion de fortune, indique: «L’exposition aux obligations a été réduite, de même que la duration des portefeuilles. En 2006, nous avions déjà une duration très courte, ce qui nous a permis de dégager des performances positives avec un portefeuille purement obligataire. Cette duration était d’environ trois ans et demi, contre cinq ans pour nos indices de référence. Tout en ayant, pour les portefeuilles conservateurs, une position en liquidité plus élevée que la norme. Cette année, c’est l’inverse: nous avons légèrement réduit cette sous-exposition. Nous pensons que le plus gros du mouvement a eu lieu au premier semestre. Pendant le second semestre, les taux seront plutôt irréguliers que fortement haussiers.»

Pour expliquer comment performer quand les taux augmentent, notre interlocuteur met en avant «des certificats qui s’appuient sur la vente à découvert de contrats à terme sur les taux, et qui s’apprécient dans ce cas. Il existe des fonds de placement très actifs à la duration négative.»

La BCV recourt également à une substitution de sa part obligataire par des hedge funds très défensifs, de type market neutral, asset base lending, arbitrage, etc. «Ces véhicules peuvent remplacer une partie du portefeuille obligataire. Mais nous sommes conscients, reconnaît Fernando Martins da Silva, que les hedge funds réduisent les liquidités du portefeuille et qu’il y a une forme de risque systémique. C’est pourquoi ils apparaissent sous une rubrique différente dans l’allocation d’actifs. En revanche, la rubrique obligations recouvre tout ce qui comporte une exposition directe au rendement des obligations et aux mouvements des taux. Elle englobe les obligations, les swaps d’intérêt ou un fonds obligataire. Pour les marchés émergents, ce sera le moyen d’obtenir une bonne diversification du risque crédit. Le fonds peut contenir entre 50 et 100 titres.»

A la banque Syz & Co, «la part obligataire dépend du profil d’investissement, explique Ricardo Payro, son porte-parole. Elle peut théoriquement varier entre 5 et 100% pour un portefeuille moyen. Cette part est réalisée soit sous forme directe, soit par le biais de fonds obligataires. Elle est actuellement de 24%, auxquels il faut ajouter l’allocation en produits structurés de 7%, comprenant notamment des reverse convertible. Les deux allocations sont distinctes car elles n’ont pas les mêmes objectifs.»

Les craintes d’inflation

Parmi les obligations figurant dans les portefeuilles gérés par la banque Syz, on compte quelques-unes à taux variable, ainsi que des obligations indexées sur l’inflation, «car les craintes de hausse de l’inflation vont augmenter, précise Ricardo Payro. La banque n’investit que dans des obligations de premier ordre, sans chercher à augmenter le rendement. Nous investissons indirectement sur le marché obligataire par le biais de hedge funds qui parient eux-mêmes sur ce marché.»

Pour Frédéric Durand, Investment Manager auprès de Portailprivé, société de gestion de fortune établie à Genève, la gestion obligataire des derniers mois a consisté à réduire l’exposition et de manière concomitante la duration. «Dans les comptes conservateurs, cette part a été réduite dans une proportion située entre 30 et 35%, à laquelle s’ajoute une partie de cash de l’ordre de 20 à 25%. La duration est très courte pour les investissements en francs suisses et en euros, soit entre deux et trois ans, et proche de quatre ans pour les investissements en dollars.»

Les produits structurés

Frédéric Durand explique encore: «Généralement, les produits structurés ne remplacent pas les obligations ni leur sont assimilés. Toutefois, à titre d’exemple, prenons un produit à capital garanti d’une durée de sept ans sur un fonds alternatif à volatilité très basse (3%), et qui historiquement a généré une performance assez proche de celle de son sous-jacent. Dans ce cas, nous pourrons effectivement considérer ce produit comme entrant dans la partie obligataire.»

En revanche, les reverse convertible, même avec des coussins de 20%, ou encore les produits structurés sur taux d’intérêt de type CMS (Constant Maturity Swap), n’entrent pas du tout dans la partie obligataire. Ces derniers produits, très à la mode il y a encore deux ans, ont causé de lourdes pertes à leurs détenteurs. Ils ont été très sensibles, négativement, à l’aplatissement de la courbe des taux d’intérêt. A quoi il faut ajouter des problèmes de liquidités en raison de l’étroitesse de ces marchés.»

«Aujourd’hui, poursuit Frédéric Durand, l’alternative à l’obligation est le marché monétaire. Dans la situation actuelle, il n’y a pas de coût d’opportunité à aller sur du très court terme. Les rémunérations sont satisfaisantes aux Etats-Unis. Tandis qu’après les hausses successives sur l’euro, on est parvenu à des niveaux acceptables. De même, sur le franc suisse, les taux courts se sont nettement redressés. Et macroéconomiquement, nous ne voyons pas de signes qui indiquent de fortes baisses des taux longs dans un proche avenir.»

Optimisation de la fiscalité

En Suisse, la fiscalité est le point noir des obligations. En effet, si les gains en capitaux sont complètement exonérés, les revenus sont imposés à 100%.

Pour s’assurer qu’aucun bénéficiaire n’y échappe, la Confédération prélève un impôt anticipé de 35% auprès de l’émetteur. Les contribuables qui déclarent ces revenus pourront récupérer la somme, mais en étant imposés sur ces revenus à titre personnel. Les amateurs d’évasion fiscale peuvent profiter d’une faille du système: l’impôt ne peut être perçu que si l’émetteur est soumis à la juridiction fiscale en Suisse. C’est pourquoi tous les revenus issus d’emprunteurs domiciliés à l’étranger échappent à cet impôt.

En revanche, le client non-résident en Suisse et contribuable d’un pays membre de l’Union européenne ne peut plus profiter de cet avantage. La directive européenne sur la fiscalité de l’épargne, à laquelle la Suisse s’est associée, prévoit un impôt à la source de 15% actuellement, pour aller progressivement jusqu’à 35% en 2011. Impôt qui touche évidemment les obligations.

Il existe des parades largement utilisées pour éviter ce nouvel impôt, notamment parce que cet impôt ne concerne que les personnes physiques. La constitution d’une société offshore, genre trust ou société panaméenne, suffit pour s’en mettre à l’abri.

Ces considérations fiscales vont évidemment avoir un impact sur le type de produits utilisés, explique pour sa part Frédéric Durand. C’est surtout important pour la clientèle on shore (résidente): «Pour un rendement à l’échéance égal, nous allons plutôt choisir des obligations qui présentent un coupon un peu plus faible et que nous pouvons acheter au-dessous du pair, dans la perspective de profiter de gains en capitaux, qui ne sont pas taxés.»

«Pour le client non-résident en Suisse et contribuable d’un pays membre de l’Union européenne, nous essayons de trouver des solutions à travers des véhicules d’investissements qui génèrent des revenus et qui ne sont pas soumis à la retenue à la source européenne.»

«Mais aujourd’hui, poursuit notre interlocuteur, la partie intérêt est encore relativement faible, parce que notre exposition aux taux n’est pas très élevée et que ceux-ci sont encore à des niveaux relativement bas. La partie «revenu» est par conséquence relativement modeste.»

«Par ailleurs, ajoute Frédéric Durand, l’exonération des gains en capitaux constitue sans doute l’une des raisons qui explique le succès des produits structurés, en particulier des reverse convertible. En effet, vous pouvez encaisser un coupon qui peut être assez élevé par rapport au taux hors risque, par exemple pour une durée d’un an, avec comme sous-jacent une action suisse de bonne qualité, vous touchez quelque 6% en francs suisses. Là-dessus vous avez une partie intérêt relativement faible, peut-être 2 à 2,5% et une partie prime qui n’est pas soumise à l’impôt.»

Prévisions d’inflation. Elles sont au centre des évolutions de rendements et la crainte qu’elles génèrent va s’accentuer.

Force d’attraction. Les perspectives de croissance des produits alternatifs conditionnent les marchés depuis des années. A commencer par le marché des taux.

Petites et grandes subtilités de la duration

L’ennemi des obligations est la montée des taux d’intérêt à long terme. Lorsque c’est le cas, les obligations perdent de leur valeur. Et en gagnent, lorsque les taux baissent. On peut réduire l’impact de ce phénomène puisque la sensibilité des obligations aux variations des taux d’intérêt dépend de deux paramètres: leur échéance et le montant de leur coupon. Les obligations qui présentent des échéances lointaines et des coupons bas sont les plus sensibles aux mouvements des taux. D’où leur appellation d’obligations volatiles.

A l’inverse, celles qui ont des échéances très courtes et des coupons élevés réagissent peu aux changements de taux. Leur appellation: obligations stables.

Pour se prémunir contre le risque de montée de taux, il suffirait donc de vendre les obligations volatiles pour les remplacer par des obligations stables. Seulement, la réalité est souvent plus complexe. Notamment lorsque le portefeuille contiendra également des obligations à échéances courtes et coupons bas, ou à échéances longues et coupons élevés. Il devient donc plus difficile d’évaluer intuitivement leur sensibilité aux variations de taux.

Heureusement, la science financière a développé un instrument de mesure qui permet de calculer précisément cette sensibilité. Il s’agit d’une formule mathématique complexe: la duration. Elle tient compte de l’échéance de l’obligation, du coupon (son montant et sa périodicité) ainsi que du niveau de rendement sur le marché.

La duration, qui s’exprime en années, indique la durée moyenne d’immobilisation du capital (somme qui sera versée à l’échéance et les coupons). Ces derniers sont considérés comme des remboursements partiels du capital investi.

Les obligations stables ont des durations réduites, les obligations volatiles des durations élevées.

Pour réduire la sensibilité du portefeuille obligataire, le gestionnaire vendra les titres à duration plutôt élevée pour en acheter à duration plutôt basse. S’il s’attend au contraire à la baisse des taux, il augmentera la sensibilité de son portefeuille en procédant à l’opération inverse.

CDO – CMO – CMS

CDO (Collateralized Debt Obligation). Titre garanti par un ensemble d’obligations de qualité variable, émis en différentes tranches, allant de la meilleure notation (AAA) aux plus basses. Théoriquement, les notations les plus élevées bénéficient de la meilleure sécurité. Pour de nombreux spécialistes, il s’agit d’une illusion. Pour eux, il s’agit de «repackager» des notations basses en notations plus hautes, donnant ainsi l’accès à ce type d’investisseur. Le fait de rajouter du levier ne change rien à la qualité des papiers sous-jacents!

CMO (Collateralized Mortgage Obligation). Construit de la même manière que les CDO, à la différence près que les titres sous-jacents sont des hypothèques. La crise est venue du marché des hypothèques dites «subprime», c’est-à-dire dont le débiteur est de deuxième ordre.

Swap de taux d’intérêt. Il s’agit d’un swap, c’est-à-dire d’un échange d’intérêt à recevoir. Ici, un taux fixe contre un taux variable.

CMS (Constant Maturity Swap). Des produits structurés offrant à l’investisseur des coupons reflétant le différentiel entre les taux longs et courts. Parmi les sources de risques, citons