IMMOBILIER Les investisseurs qui possèdent déjà des biens immobiliers risquent d’être surexposés s’ils persistent dans ce domaine. Il est en fait peu présent dans les portefeuilles.
L’immobilier constitue un cas particulier dans les placements. La plupart des spécialistes reconnaissent à ce type d’investissement la capacité d’améliorer le rapport risque/rendement des portefeuilles. II est dans les faits très peu représenté. Certaines des banques que nous avons interrogées l’excluent même de leurs portefeuilles, pour différentes raisons, à l’instar de la Banque Cantonale de Genève (BCGE), Vontobel ou encore Bordier & Cie.
Selon les études de Hoesli et Anderson, les placements immobiliers présentent une rentabilité sur le long terme plus proche de celle des actions, mais à un niveau de risque plutôt proche de celui des obligations. C’est ainsi que les analystes de Credit Suisse se disaient convaincus, dans leur dernière grande étude consacrée à l’immobilier (Le marché suisse de l’immobilier. Faits et tendance. Credit Suisse, 2006) publiée en début d’année, que les placements immobiliers font partie de tout portefeuille équilibré, ne serait-ce qu’en raison de leur profil risque/rendement.
Leur part dans une allocation d’actifs stratégique devrait se situer entre 20 et 30%. La sous-pondération parfois importante des placements immobiliers dans de nombreux portefeuilles privés et institutionnels permet de conclure à l’existence d’un grand potentiel de croissance pour cette classe d’actifs.
Non à la fatalité
Il ne faut toutefois pas prendre l’affirmation des spécialistes de Credit Suisse au pied de la lettre. Lorsque l’on considère la gestion des avoirs de la clientèle privée, comme l’explique l’expert en immobilier Lorenzo Pedrazzini, associé de Colliers Ami (Suisse) et qui vient de publier un recueil de ses chroniques (Chroniques Agefi – Finance immobilière 1998–2005, Lorenzo Pedrazzini, Colliers Suisse Publishing, 2006), il faut considérer l’immobilier dans l’ensemble du patrimoine du client, et non pas uniquement son portefeuille d’actifs financiers. Si sa fortune ne dépasse pas 1 à 2 millions de francs et qu’il est propriétaire de son logement, cela signifie qu’il est déjà très engagé dans l’immobilier. Il serait donc peu judicieux d’investir davantage.
Lorsque le client se présente, la première question à lui poser est de savoir quelles sont ses autres participations immobilières. Par ailleurs, il faut se demander quelle est l’exposition au risque qu’il recherche et quelle est sa situation actuelle. S’il est vrai que l’immobilier peut tempérer le risque d’un portefeuille constitué uniquement de hedge funds, le client a d’autres possibilités de placement, par exemple des obligations de la Confédération. Il sera ainsi couvert de la même façon avec des durations plus courtes. Lorenzo Pedrazzini insiste : « Avec l’immobilier, on s’expose à deux risques : l’illiquidité et la longueur de cycle. Quand ça va bien, ça va bien longtemps, mais quand ça va mal, là aussi, ça va mal longtemps. L’immobilier n’est pas une fatalité ! C’est un leurre de croire qu’il est indispensable dans les portefeuilles. »
Pas d’allocation spécifique
La Banque Cantonale de Genève va plus loin. Les mandats de gestion n’ont pas d’allocation d’actifs spécifique dans le secteur de l’immobilier. Et ils ne comportent aucune participation directe à des fonds immobiliers. En revanche, il peut naturellement arriver que, dans la sélection globale des fonds actions, certains d’entre eux soient marginalement investis dans ce secteur. Le cas échéant, cela ne représenterait alors qu’une part très faible. Ce choix est justifié par le fait que de nombreux clients de la gestion privée de la BCGE possèdent déjà des biens immobiliers, soit pour leur propre usage (logement principal et/ou résidences secondaires), soit sous forme d’investissements (immeubles résidentiels et/ou commerciaux).
Dès lors, une part importante du secteur immobilier dans l’allocation d’actifs des mandats de gestion ferait en quelque sorte double emploi et ne « répondrait pas à une saine diversification des risques ». Les mêmes raisons sont avancées chez Vontobel. L’immobilier est absent des portefeuilles sous mandat de gestion. Au prétexte que cette clientèle possède le plus souvent déjà de l’immobilier et n’en souhaite pas davantage. Chez Bordier & Cie, on argumente simplement que les prix de l’immobilier sont aujourd’hui trop élevés pour être inclus dans les portefeuilles.
Diversifier les placements alternatifs
Chez Credit Suisse, l’immobilier est tout de même présent dans les portefeuilles. Laurent Morattel, responsable des mandats de gestion pour la Suisse romande, détaille : « Nous avons actuellement 2,5% d’investissement en immobilier dans nos mandats, avec le franc suisse comme monnaie de référence, et 5% dans nos mandats Focus Suisse, mis en place en mars 2006. Focus Suisse, par rapport au franc suisse normal, a la particularité d’être un investissement plus important sur la Suisse au niveau des actions et des obligations. »
Le choix d’investir dans l’immobilier est dû, d’une part, à une volonté de diversifier les placements alternatifs – dont l’immobilier fait partie – et, d’autre part, de pouvoir profiter d’une faible corrélation entre ces investissements et ceux réalisés en actions ou en obligations. « L’utilisation de tels investissements permet d’améliorer le rapport rendement/ risque de nos portefeuilles », rajoute Laurent Morattel.
Toujours selon Credit Suisse, les placements immobiliers présentent d’autres caractéristiques intéressantes. Un rendement régulier avec des loyers généralement adaptés à l’inflation, notamment. Et, malgré le fait que ces placements soient inclus dans les portefeuilles orientés sur la Suisse, les placements immobiliers ne se limitent pas au marché autochtone, mais s’étendent à l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie, où le potentiel de développement semble particulièrement intéressant.
Concernant les véhicules d’investissement, la banque explique encore qu’ils sont faits exclusivement sous la forme de placements créés spécialement et uniquement pour leurs clients sous mandat. Ces placements, appelés Realis, investissent dans des fonds immobiliers suisses et étrangers, dans des sociétés immobilières suisses et étrangères ainsi que dans des sociétés d’investissement en immobilier et dans du private equity. La diversification de l’univers d’investissement permet de répartir les risques.
« Le choix de ce type d’investissement correspond à notre politique d’investissement et à la structure de certains autres placements en actions, obligations ou alternatifs déjà utilisés dans nos mandats. » L’établissement affirme également que la liquidité de ces placements est assurée et que la gestion active à l’intérieur du placement ainsi que dans les portefeuilles sous mandat permet en tout temps de contrôler avec précision la part investie. Et, le cas échéant, de l’adapter rapidement aux décisions stratégiques.
Hors logement
UBS propose également une part de l’allocation d’actifs parce que « l’immobilier ne se limite pas au logement ». Selon la banque, le placement immobilier constitue une source de diversification importante. Il bénéficie d’une faible corrélation avec les marchés des actions et des obligations. Il est peu volatil et fournit des rendements courants stables ainsi qu’une couverture partielle contre l ‘inflation.
Dans les mandats classiques en francs suisses, équilibrés, la part dévolue à l’immobilier se situe entre 2 et 5% et elle est entièrement investie dans le UBS Wealth Management – Global Property Fund. C’est un fonds international multigérants dont le portefeuille diversifié vise un rendement stable et une faible volatilité. Il contient 35% d’immobilier public (coté) et 65% d’immobilier privé (non coté), investis dans les principaux types d’immeubles. Il n’y a aucun risque de change, car les actifs bénéficient d’une couverture monétaire.
Compliqué pour les particuliers
Il est toujours possible d’acquérir un immeuble dans la perspective d’en tirer un rendement régulier sous forme de loyers. Lorenzo Pedrazzini poursuit : « Cas typique : le dentiste qui a 2,5 millions de francs sous gestion auprès de sa banque. Il possède déjà son propre logement, mais achète un immeuble pour 3 millions de francs, pour lequel il fournit 500’000 francs de fonds propres. Le solde est prêté par la banque, permettant au bout du compte de dégager un rendement net de 5 à 6% sur les fonds propres engagés. »
Est-ce que c’est une bonne affaire ? À cette question, l’expert rappelle que le client se retrouve endetté à hauteur de 2,5 millions, avec le risque qui lui est associé. Or les prix sont fortement montés depuis quelques années pour atteindre des niveaux extrêmement élevés, en particulier à Genève et sur la Riviera. Au point que le marché est qualifié de surpayé. « Par ailleurs, la gestion d’un bien immobilier à louer est un exercice compliqué. Elle exige des connaissances en droit foncier, administratif, du bail, en finance, en économie, dans le domaine de la technique, de la qualité du bâtiment, dans le domaine commercial (vente de baux), etc. Celui qui achète les yeux fermés s’expose à un certain nombre de surprises. »
C’est pourquoi en dessous d’une fortune globale de 10 millions, tant pour des raisons d’exposition aux risques que de contrôle de gestion, Lorenzo Pedrazzini ne conseillerait pas forcément les placements directs. « Il faudrait plutôt opter pour des instruments indirects, dans une triple perspective : risque, performance future probable – pour autant qu’il existe des instruments d’analyse – et fiscalité. L’impôt anéantit d’ordinaire la performance immobilière dans des proportions qui oscillent entre 15 et 30%.»
Les bons véhicules de placement
Les fonds de placement immobiliers et les sociétés d’actions immobilières constituent les deux principaux véhicules de placement indirect. Les fonds se caractérisent par le fait que leur direction n’est tenue de racheter les parts qui leur sont soumises que pour la fin d’un exercice avec un préavis de douze mois. Cette particularité s’explique par le manque de liquidité du marché sous-jacent.
Ces deux instruments financiers sont cotés en Bourse. Mais ils se distinguent par leur statut juridique et par le type d’investissement. C’est ainsi que le détenteur d’une part de fonds est un créancier, tandis que l’actionnaire d’une société d’actions immobilière peut se prévaloir des droits patrimoniaux et sociaux liés à son statut de copropriétaire.
Par ailleurs, les fonds de placement ne sont présents que dans l’immobilier résidentiel, tandis que les sociétés d’actions immobilières sont souvent entièrement investies dans le secteur commercial. « En outre, indique Lorenzo Pedrazzini, ces sociétés recourent massivement à l’endettement, contrairement aux fonds de placement. Dans une proportion qui dépasse 70 à 80%. Ainsi, le risque est beaucoup plus élevé, mais permet un rendement sur fonds propres nettement plus important que sur les fonds de placement. »
Sensibilité aux variations de taux
Si les sociétés d’actions immobilières sont logiquement très sensibles aux variations de taux d’intérêt, les fonds de placement n’y échappent pas non plus. Comme l’explique Credit Suisse, les parts de ces fonds étant négociées comme les actions, leurs prix traduisent non seulement la valeur actuelle des biens immobiliers en portefeuille, mais aussi les attentes des investisseurs quant à l’évolution future des titres. Dans le cas des biens immobiliers, ces attentes sont étroitement liées à l’évolution des taux d’intérêt.
Concrètement, cela signifie que lorsque les taux d’intérêt montent, le cours des fonds immobiliers baisse. Inversement, lorsque les taux reculent, le cours des fonds monte. La corrélation entre les taux d’intérêt et les fonds de placement suisses s’élève à -92% pour la période 1988-2004 ! Lorenzo Pedrazzini rebondit : « II est faux d’affirmer que l’actif est moins volatil que les produits classiques : actions et obligations. Car l’actif immobilier n’est plus stable en valeur que sur une période plus longue. »
À relever qu’à la différence des obligations – qui assurent un revenu régulier puisque le montant de leur coupon est fixe –, les dividendes des fonds immobiliers sont susceptibles de varier en fonction des loyers qui constituent la source principale de revenus. Ce qui explique l’accroissement de leurs cours lorsque les loyers augmentent.