Le mouvement est déjà bien amorcé avec l’émergence de plateformes de crowfunding, par exemple, et de nouveaux systèmes de paiements.

Le monde des activités bancaires et financières est en cours de mutation sous l’effet des avancées de la technologie. Les géants d’Internet menacent-ils les grands acteurs traditionnels sur leurs marchés ? Et quel rôle les fintechs jouent-elles? Etat des lieux.

Après avoir bousculé les secteurs de l’hôtellerie et des taxis, les sociétés de la haute technologie passées maître dans la gestion des données vont-elles également provoquer la disruption – pour reprendre l’expression à la mode – de l’univers des services financiers ? La question taraude nombre de professionnels de la banque et de l’assurance. Mais, cette fois, l’épouvantail n’est pas une petite société de logiciels californienne comme Uber, mais les stars de la galaxie Internet réunies sous l’acronyme GAFA, pour Google, Apple, Facebook et Amazon.

La crainte vient de la puissance de ces mastodontes, qui disposent non seulement d’énormes ressources financières mais également de la culture d’entreprise et des outils technologiques liés aux habitudes de la génération montante. Habitudes qu’ils ont d’ailleurs largement contribué à façonner. Sans compter les gigantesques bases de données que leurs utilisateurs leur ont docilement confiées au fil des années, leur donnant accès à leurs informations les plus personnelles. Informations bien utiles pour cerner au plus près leur profil et leurs besoins. On rappellera que Facebook compte à lui seul pas moins de 1,5 milliard de membres… La création par chacune de ces sociétés de leur propre système de paiement – appliqué à plus ou moins large échelle – leur permettant ainsi de court-circuiter les intermédiaires bancaires, ne rassure guère ces derniers quant à leurs intentions.

Le jeu en vaut-il la chandelle?

Face à de tels arguments, certains des banquiers qui s’expriment publiquement dans les médias cherchent à rassurer leurs pairs, en mettant en avant la complexité des activités financière, la composante personnalisée des conseils prodigués à la clientèle, ainsi que la lourdeur des cadres réglementaires et juridiques. Sans parler des risques liés à ce type d’activité. L’effort pour s’imposer sur ces marchés en vaut-il la peine? Peut-être pas.

Les grands acteurs qui dominent aujourd’hui la banque et les services financiers ne restent de toute façon pas dans l’expectative pour savoir à quelle sauce ils pourraient être mangés, pour le dire un peu familièrement, comme on pouvait s’en convaincre en visitant le salon professionnel Sibos 2016. Cet événement qui s’est tenu à Genève en septembre dernier durant quatre jours, réunissait plus de 8’000 délégués du monde entier issus des services financiers, bancaires, de sociétés technologiques et même d’une vingtaine de fintech suisses, invitées à l’initiative du Canton de Genève. Tous les grands défis technologiques y étaient très largement débattus, à commencer par le développement des nouveaux systèmes de paiement, tels le bitcoin et le blockchain, la lutte contre la cybercriminalité, la gestion de l’avalanche des réglementations – différentes dans chaque pays – qui nécessite le recours aux outils de l’intelligence artificielle, ou encore l’automatisation croissante des processus administratifs, y compris dans la gestion de fortune, par exemple sous la forme de robo advisors.

La concurrence des fintechs

Si les géants d’Internet renoncaient finalement à s’engager plus avant dans le secteur des services financiers au profit d’activités peut-être plus profitables, les acteurs traditionnels ne pourraient cependant pas se reposer sur leurs lauriers. S’ils sont évidemment en compétition les uns avec les autres, ils subissent également la concurrence de ces startups technologiques qui se consacrent au développement d’applications financières. Raison pour laquelle on les appelle fintechs.

Concrètement, comme le montre une étude sur l’impact des fintechs sur les services financiers(1) publiée cette année par le cabinet d’audit et de conseils PwC, 80% des responsables bancaires interrogés estiment que ces startups menacent leurs activités. Plus précisément, la majorité des participants à quête estiment que les secteurs qui vont être le plus touchés par la disruption à l’horizon 2020 seront la banque de détail, ainsi que les paiements et les transferts de fonds. En fait, le mouvement est déjà bien amorcé avec l’émergence de plateformes de crowfunding, par exemple, et de nouveaux systèmes de paiements.

La deuxième vague

Mais cet assaut ne constituerait qu’une première étape, avant qu’une nouvelle vague disruptive ne vienne soulever d’autres pans des services financiers, tel le monde de l’assurance, ainsi que celui de la gestion d’actifs et de fortune. Cette anticipation est corroborée par le sentiment des professionnels dans ces deux domaines, à hauteur de 74% pour l’assurance et de 51% pour la gestion d’actifs. Cette perception de vulnérabilité dans le secteur de l’assurance paraît d’autant plus justifiée que cette industrie repose sur l’analyse des grands nombres. La capacité de passer au crible d’énormes bases de données – le fameux big data – à l’aide de l’intelligence artificielle constitue sans nul un moteur du changement, qui permet notamment d’affiner les profils pour proposer des produits de plus en plus personnalisés.

Quant à la gestion d’actifs et de la gestion de fortune, elle est évidemment appelée à tirer parti d’outils d’analyse et de transactions plus sophistiqués, sans parler de l’automatisation de l’ensemble des activités de back office encore traité manuellement jusqu’à aujourd’hui. L’émergence de conseils de placement automatiques, comme des robo advisors, constituerait une menace compétitive significative pour les opérateurs actifs dans le segment du execution-only ou de compte autogérés, aussi bien que pour les conseillers de gestion traditionnelle.

De la confrontation à la collaboration

Qui des fintechs ou des acteurs traditionnels sortiront vainqueurs de cette guerre de tranchées? C’est la question qui se posait avec beaucoup d’acuité il y a encore quelques mois. Mais le vent a tourné. Ainsi, comme le met en évidence une autre enquête de PwC, centré sur l’impact des fintechs sur le secteur bancaire(2), on passe graduellement de la confrontation à la collaboration: les opérateurs historiques fournissent le financement et partagent leur culture bancaire et financières avec leurs partenaires des startups, qui apportent de leur côté leurs innovations technologiques.

(1) Blurred lines: How FinTech is shaping Financial Services, Global Fintehch Report, March 2016, PwC (2) Customers in the spotlight – How FinTech is reshaping banking, Global FinTech, Survey 20

Glossaire

Bitcoin Monnaie virtuelle et cryptée, créée en 2009. Le bitcoin repose sur la technologie dite du blockchain (voir ci-dessous), qui le rendrait particulièrement sûr, grâce à un système de validation complètement décentralisé. Ses différents déboires, notamment son usage par des milieux criminels et de forts mouvements spéculatifs, lui ont fait perdre beaucoup de sa crédibilité, tandis sa mise en place à large échelle n’irait pas sans difficulté, selon les spécialistes

Blockchain En français, la chaîne de blocs constitue une base de donnée qui contient toutes la chaîne, justement, des transactions entre ses opérateurs depuis son lancement, à l’image d’un grand livre comptable. Le bitcoin en est une application, mais devrait rester une niche. En revanche, les experts s’attendent à ce que cette technologie connaisse un succès grandissant dans les domaines de la santé ou des contrats, par exemple.

Crowfunding Le crowfunding permet de collecter des fonds auprès de particuliers afin de financer des projets, selon la définition de la Finma. Les prêteurs de fonds assument les risques potentiels. Intelligence artificielle Selon Wikipedia, «l’intelligence artificielle est une discipline recherchant des méthodes de résolution de problèmes à forte complexité logique ou algorithmique». Les outils qui en dérivent permettent ainsi d’analyser en une fraction de seconde d’énormes bases de données non structurées, c’est-à-dire sans format prédéfinis, qui peuvent donc être du texte brut, des dates ou encore des nombres.

Robo advisor Système qui permet la gestion automatisée d’un portefeuille, en général d’ETF, selon une stratégie prédéfinie sous la forme d’algorithmes paramétrés selon le profil de risque du client et de ses préférences en matière de placement