Changer de patron pour augmenter son salaire peut finalement s’avérer une mauvaise opération si la nouvelle institution est moins généreuse que l’actuelle.
En changeant d’emploi, on va généralement quitter une caisse de pension pour entrer dans une autre. Or les prestations des institutions de prévoyance peuvent grandement différer entre elles, selon qu’elles sont en primauté de prestations (un taux de rente du dernier salaire est fixé a priori) ou en primauté de cotisations (les rentes futures sont déterminées par la somme des cotisations et par le rendement accumulé des capitaux), mais aussi selon leur flexibilité ou leur générosité, plus ou moins grandes, et la manière dont elles sont gérées.
Une caisse peut par exemple s’en tenir au minimum LPP, en fixant un montant de cotisations identique pour l’employeur et le salarié, et se limiter au salaire maximal assuré de 59 160 francs. Mais elle aurait eu la liberté de prendre en charge les deux tiers des cotisations et/ou d’augmenter le salaire assuré maximum (au plus 835 200 francs). Sans entrer dans de savants calculs, on comprend aisément que la seconde caisse offre de bien meilleures conditions que la première.
Si le changement d’emploi est essentiellement motivé par une augmentation de salaire, il ne faudrait évidemment pas que cette dernière soit réduite à néant par la dégradation des prestations de la nouvelle caisse de pension. Toute la question est de pouvoir quantifier l’écart entre les deux institutions. Heureusement, il n’y a pas besoin d’être un spécialiste du 2e pilier pour y voir clair rapidement: il suffit de comparer les avoirs de vieillesse à la retraite dans les deux institutions de prévoyance ainsi que les couvertures offertes en cas de décès ou d’invalidité.
Concrètement, il faut faire établir une projection auprès de l’institution de son éventuel futur employeur et de comparer le résultat avec celles de sa caisse de pension actuelle contenues dans son certificat de prévoyance.
Si l’on songe à retirer son 2e pilier dans un avenir proche pour accéder à la propriété de son logement, il faut aller un peu plus loin dans l’analyse, explique Albert Gallegos, responsable du conseil patrimonial et prévoyance de la Banque Cantonale de Genève. «En effet, en primauté de prestations, le retrait de tout ou partie du capital n’a pas d’influence sur les prestations décès et invalidité, puisque calculées sur le dernier salaire, alors qu’en primauté de cotisations, il peut faire drastiquement baisser ces couvertures. Il faut tout de même noter que de nombreuses caisses ont adopté des régimes mixtes, c’est-à-dire avec des prestations de vieillesse calculées en fonction de l’avoir à la retraite (primauté de cotisations) et des prestations d’invalidité et de décès en fonction du salaire (primauté de prestations).»
Si vous passez donc d’une caisse de pension à primauté de prestations ou mixte, à une institution de prévoyance en primauté de cotisations pure, «il faudra combler les lacunes vous-même, poursuit Albert Gallegos. Si vous êtes en position de négociation, vous pouvez par exemple proposer à l’entreprise – qui ne peut pas modifier le plan de prévoyance rien que pour vous – de vous verser un 14e salaire pour constituer votre propre prévoyance par le biais d’un 3e pilier lié ou libre.»
Si la caisse de votre éventuel futur employeur présente de bien meilleures conditions que celle de votre situation actuelle, vous devrez encore faire entrer un nouveau paramètre, à savoir la qualité de sa gestion. En effet, les promesses de prestations ou les projections d’avoir de vieillesse ne pourront être tenues que dans la mesure où l’institution de prévoyance est bien gérée. Vous devez également porter une attention particulière au taux d’intérêt retenu pour le calcul de la projection de votre avoir de retraite. Si ce calcul est fait avec un taux d’intérêt de 4% alors que la norme actuelle se trouve à 2%, voire plus bas pour les prestations surobligatoires, l’avoir de retraite projeté sera artificiellement trop élevé et n’aura aucune valeur de comparaison.
Pour évaluer la bonne santé de la caisse de pension, on recourt classiquement au taux de couverture – qui est le rapport entre les actifs nets et les engagements de prévoyance présents et futurs. Un taux inférieur à 100% risque de nécessiter des mesures d’assainissement s’il perdure ou baisse de manière trop importante. Une couverture intégrale ne sera toutefois pas suffisante, puisque chaque caisse de pension qui assume elle-même ses risques de placement doit disposer de réserves de fluctuation de valeurs, servant de coussin de sécurité en cas de baisse des marchés boursiers.
Le montant de ces réserves est fixé par le règlement. Si les réserves s’avèrent trop basses en fonction des risques pris, la caisse est vulnérable à tout retournement de marché. L’institution de prévoyance doit donc les reconstituer, au détriment de la rémunération des comptes de ses assurés (en primauté de cotisations). On tiendra également compte du taux d’intérêt minimal servi sur les comptes.
En fin de compte, il faut en tirer les bonnes conclusions: une caisse très généreuse, avec un employeur qui paie les deux tiers des cotisations, mais qui souffre de réserves de fluctuation de valeurs insuffisantes, est-elle vraiment moins attrayante qu’une fondation collective avec assurance complète, c’est-à-dire sans risque de mesures d’assainissement, mais aux conditions minimales LPP? La décision penchera évidemment d’autant plus en faveur du nouvel emploi que l’augmentation de salaire sera substantielle.