« Le procès Adoboli révèle un appât du gain sans limites ». C’est le titre de l’article consacré par Bilan au procès du « rogue trader » de l’UBS dans sa dernière édition. Ce qui ne manque pas d’ironie lorsqu’on sait que ce numéro du magazine économique est presque intégralement consacré aux 300 plus riches de Suisse… Plus sérieusement, ce procès nous ramène à celui de son prédécesseur en scandale financier, Jérôme Kerviel, qui avait failli faire sauter la Société Générale en 2008, et dans la foulée, mettre en péril le système financier international. Avant le dépôt de bilan, bien réel, lui, de Lehman Brothers quelques mois plus tard.

Les arguments de la défense dans les deux cas s’y ressemblent à s’y méprendre : en deux mots, la hiérarchie savait et aurait sinon encouragé, du moins laisser faire, leur trader respectif les mener à la catastrophe. S’il est évident que les systèmes de contrôles de chacun des deux établissements ont gravement dysfonctionné, avec une culture du profit à tout prix, il reste en revanche un point qu’il est difficile de comprendre, c’est l’attitude des contrôleurs. Qu’avaient-ils donc à gagner en se taisant sur les dangereux comportements de leur collègue ? Dans cette perspective, l’affaire Kerviel est particulièrement emblématique, comme le rappelle la journaliste indépendante Olivia Dufour dans un récent ouvrage* sur cet énorme scandale financier, avec pas moins de 74 alertes entre juin 2006 et janvier 2008, « sans que personne ne réagisse ». Comment est-ce possible ?

Au départ, la banque avait mis en avant le génie technique de Jérôme Kerviel pour tromper le système de contrôle. Mais il s’est rapidement révélé qu’il s’agissait de fraudes classiques, qui auraient dû être facilement détectées, comme en attestent d’ailleurs ces très nombreuses alertes. Une bonne partie de l’explication vient sans doute du vrai talent de notre ex-trader, qui avait réussi à manipuler ses interlocuteurs sur une longue durée, comme l’auteur le décrit bien : « Dès qu’une alarme s’allume, Jérôme Kerviel surgit dans le bureau du contrôleur et tient des propos apaisants. Tantôt, il dit que le problème est repéré, mais que c’est une erreur d’un autre service ou d’une entreprise extérieure qu’il est en train de gérer. Tantôt, il fournit des explications dans un jargon si épais qu’on lui demande de traduire. Rappelons que ses interlocuteurs, qu’ils soient contrôleurs ou déontologues se sentent inférieurs à lui techniquement. Donc ils n’imaginent pas que Jérôme Kerviel ment, mais simplement qu’eux-mêmes sont incapables de comprendre. Soit ils enregistrent la réponse sans en saisir le sens, parce que le manuel de procédure interne leur demande de faire taire les alarmes et non pas d’enquêter, soit ils lui demandent de traduire, ce qui laisse toute latitude à Jérôme Kerviel pour deviner la réponse qu’ils attendent et la leur servir sur un plateau ».

Pour réduire le risque de tels comportements, il faudrait que les départements de trading écartent les personnalités trop portées sur la compétition, le jeu, le bluff et l’appât du gain. Mais je vais m’arrêter là car je crois que je suis en train d’écrire n’importe quoi…

*Kerviel : enquête sur un séisme financier, Olivia Dufour, Eyrolles, 2012