L’initiative AVSplus, qui va être soumise au verdict du peuple le 25 septembre prochain, milite pour une augmentation générale des rentes de vieillesse de l’AVS de 10%. Son slogan interpelle : «Qui sait calculer renforce l’AVS». Selon les initiants, il suffirait de relever de 0,4 point la cotisation salariale à l’AVS et d’autant pour l’employeur, permettant d’augmenter en moyenne 2’400 francs de plus par an pour les personnes qui vivent seules 4’200 francs pour les couples mariés. Ce qui ne paraît a priori pas trop cher payé. Mais qui sont vraiment les gagnants (et les perdants) de cette proposition ?

L’un des arguments en faveur de cette initiative, tel qu’on pouvait l’entendre lors du débat d’Infrarouge du 31 août sur la RTS, c’était d’épargner aux plus modestes l’humiliation de solliciter des prestations complémentaires (PC). S’il est vrai que ces dernières constituent un droit, puisqu’il s’agit également d’une assurance sociale, elles ne sont pas automatiquement versées, mais dépendent des revenus et de la fortune des rentiers. Ces derniers doivent déposer une demande qui doit donc faire l’objet d’un examen. Mais pourquoi avoir choisi un tel système plutôt que la fixation de rentes minimales à un niveau plus élevé ?

Les prestations complémentaires ? Qu’est-ce que c’est ?

Pour répondre à cette question, on peut revenir à la genèse des PC, comme l’explique Michel Valterio, dans son très accessible et très complet «Commentaire de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI*» (2015) : «Lorsque, au début des années 1960, le Conseil fédéral retint la conception dite des trois piliers pour la prévoyance vieillesse, survivants et invalidité, la garantie des besoins vitaux n’était toujours pas assurée pour une partie des rentiers. Il fallut donc rechercher une solution intermédiaire qui fut trouvée en la forme des prestations complémentaires. Aux yeux du Conseil fédéral, il se justifiait en effet d’introduire un système à condition de ressources car, à défaut, il eût fallu ou bien augmenter considérablement le taux des prestations de l’AVS/AI, ce qui aurait entraîné l’abandon du principe de l’assurance de base et nui aux autres systèmes de prévoyance, ou bien augmenter démesurément les rentes minimales, ce qui aurait équivalu pratiquement à adopter un système de rentes unitaires et à octroyer à des personnes non nécessiteuses des prestations excessives. Le Parlement suivit ces arguments et le régime des prestations complémentaires fut introduit par la loi fédérale du 19 mars 1965 (LPC), entrée en vigueur le 1er janvier 1966.»

La législation a évolué, faisant passer les PC de statut de transitoires – les rentes combinées de l’AVS et du 2e pilier auraient dû les rendre superflues – vers un caractère permanent, «dans la mesure où les besoins n’avaient pas disparu, voire augmenté, tout particulièrement pour les personnes résidant dans des homes», précise Michel Valterio.

Les PC resteraient indispensables

Les initiants d’AVSplus semblent partager la vision du Conseil fédéral d’il y a cinquante ans, en acceptant le principe de rentes minimales qui resteront très modestes, nécessitant l’apport de PC pour les revenus les plus faibles. Cette catégorie de rentiers n’y gagnerait d’ailleurs rien, puisque leur droit aux PC serait réduit du montant de l’accroissement de la rente. Certains pourraient même voir leur situation financière se dégrader, si l’on en croit le Conseil fédéral, en raison de l’impôt prélevé sur le supplément de rentes, alors que les PC sont exonérées d’impôts.

Les petits revenus ne pourraient donc tirer aucun avantage de cette initiative. En revanche toutes les personnes dont la rente dépasse le seuil donnant droit aux PC bénéficieraient à plein de cette réforme, avec un impact d’autant plus important que la rente est élevée. On pourrait ainsi s’étonner qu’une telle initiative soit issue des rangs de la gauche. En réalité, c’est moins paradoxal qu’il n’y paraît si l’on se souvient que l’AVS/AI est l’assurance sociale sans doute la plus redistributive de notre système de prévoyance. En effet, si les rentes sont plafonnées à un niveau assez bas, les cotisations ne connaissent aucune limite : elles sont prélevées linéairement quel que soit le revenu qui lui est soumis. C’est pour cette raison que les initiants peuvent mettre en avant son meilleur rapport prestations/prix puisque les hauts revenus subventionnent en quelque sorte ceux qui sont plus modestes.

Mais cet impôt déguisé n’est évidemment pas indolore pour les hauts revenus et pour l’ensemble de l’économie, surtout si l’on considère la transition démographique historique qui se profile avec le départ en retraite massif des baby-boomers, qui devrait assécher le fonds de garantie de l’AVS dans les 15 ans à venir. Privilégier un système en pure répartition ne constitue donc pas forcément une solution très adaptée, pour le dire de manière feutrée…

Prévoyance 2020 est en péril

Au-delà de ces considérations économiques à long terme, on peut surtout s’inquiéter des conséquences immédiates de l’acceptation éventuelle de cette initiative sur «Prévoyance vieillesse 2020». En effet, l’aboutissement de cet énorme projet législatif à la conception très équilibrée, dont la Suisse a vraiment besoin, pourrait être mis en péril sous l’effet d’une véritable fronde parlementaire visant à le dénaturer. Pour rappel, le Conseil des États a tiré le premier, en projetant d’augmenter les rentes AVS de 70 francs, tandis que la commission du Conseil National a jeté de l’huile sur le feu en proposant un mécanisme automatique pour élever l’âge de la retraite jusqu’à 67 ans en cas de déficit. Comme l’explique le professeur Giulano Bonoli, expert en politique sociale dans une longue interview accordée à Magalie Goumaz et publiée aujourd’hui dans le journal Le Temps : «C’est dommage car à partir de là, retrouver un certain équilibre va être très compliqué. On est même en train de tout foutre en l’air pour des raisons politiques. Tout simplement parce que le parlement veut se profiler sur ce dossier.» On ne saurait mieux dire.

*Commentaire de loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI, par Michel Valterio, Éditions Schulthess, 2015