La mue de Postfinance en banque postale, qui devrait intervenir au cours des prochains mois, lorsqu’elle sera transformée en société anonyme, entièrement détenue par la Poste, pourrait n’intéresser que les juristes. Au point que je croyais qu’elle bénéficiait déjà de ce statut, avant de me pencher sur cette problématique il y a quelques jours, à la demande des journalistes de l’émission « On en parle », de la RTS. Ceux-ci m’ont proposé de répondre à quelques questions pour éclairer la lanterne de leurs auditeurs.
Cette recherche m’a ainsi permis de constater que cette métamorphose n’aurait sans doute aucun effet visible sur les clients. Il y a pourtant un changement fondamental qui touche à la sécurité de leurs dépôts. En effet, ces derniers ont été jusqu’ici garantis de manière illimitée par la Confédération, à l’instar de la grande majorité des banques cantonales par leur canton respectif, à l’exception de Genève où cette garantie est plafonnée, et de Vaud et Berne où elle a été supprimée. Pour les cinq premières années d’existence de la banque postale, cette garantie sera maintenue pour les montants inférieurs à 100’000 francs par client, mais pas au-delà. Ensuite, ce filet de sécurité disparaîtra à son tour, ne laissant plus que la garantie des dépôts, financée par les banques et négociants en valeurs mobilières (www.einlagensicherung.ch), pour un montant allant également jusqu’à 100’000 francs.
A priori, ceux qui disposent de moins de 100’000 francs en dépôt devraient pouvoir dormir sur leurs deux oreilles pendant les cinq premières années. Ensuite, il leur faut espérer qu’il ne soit pas nécessaire de recourir au système de garantie des dépôts des banques car elle est limitée à 6 milliards de francs… Avec un bilan de 100 milliards de francs, une faillite éventuelle de Postfinance pourrait épuiser la totalité de la garantie bien avant que chaque déposant puisse récupérer les montants théoriquement couverts. La modestie du fonds de garantie a été particulièrement mise en évidence lors du sauvetage d’UBS en 2008 : les déposants n’auraient ainsi été que très peu indemnisés par ce système si la banque avait déposé son bilan, en raison de sa taille gigantesque.
L’intervention de l’État pour sauver une banque trop grosse pour faire faillite ( « too big to fail ») a de quoi rassurer. Mais c’est en même temps particulièrement malsain qu’existe une telle garantie implicite, sans coût pour les établissements qui pourraient en bénéficier. D’autant plus que cette garantie occulte couvre, paradoxalement, beaucoup plus d’acteurs que les simples déposants. En effet, en sauvant UBS, la Confédération – par le biais de la Banque Nationale – n’a pas seulement évité aux épargnants de la banque de perdre une grande partie de leurs économies, mais a également protégé les détenteurs d’obligations émises par la banque. Même les actionnaires ont pu en profiter puisqu’autrement ils auraient pratiquement tout perdu. Ce qui n’est que moyennement logique dans une économie de marché…
Mais il faut reconnaître que nos responsables politiques n’avaient guère de choix, comme l’écrit Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, dans son excellent ouvrage « Le triomphe de la cupidité* », dans lequel il analyse très finement les dérives de la finance qui ont mené à la catastrophe : « En temps de crise, les États renflouent les banques, qu’il y ait ou non garantie des dépôts – c’est un truisme, la crise actuelle le montre assez. Mais si l’État va venir réparer les dégâts, il doit faire ce qu’il peut pour empêcher les accidents. » Il a encore du pain sur la planche…
*Le triomphe de la cupidité, Joseph Stiglitz, Les liens qui libèrent, 2010