Après la grande opération lancée sur la RTS sur le big data la semaine dernière, hautement anxiogène sur l’atteinte à la vie privée (de manière sans doute très pertinente), on pourrait peut-être rester sur sa faim sur l’ampleur du phénomène. On peut heureusement combler cette lacune en lisant l’excellent et très accessible ouvrage «Big data»*, écrit par Viktor Mayer-Schönberger, professeur à l’Institut Internet de l’Université d’Oxford, et par Kenneth Cukier, journaliste au magazine The Economist. Si cet ouvrage prend toute la mesure des risques impliqués par le big data, il va bien au-delà pour en appréhender les tenants et aboutissants, notamment sur le plan économique et sociétal.

Amazon, pionnier du big data commercial

Pour illustrer leur propos, les auteurs décrivent notamment comment Amazon est passé d’un système de recommandations effectuées par une dizaine de critiques littéraires à un processus reposant sur le big data. C’est ainsi que Jeff Bezos, le patron et fondateur d’Amazon, lança l’idée qu’il fallait personnaliser les recommandations selon les goûts personnels de ses clients, sur la base des multiples traces laissées lors de leurs visites sur le site. Après une phase de tâtonnements, l’entreprise développa un logiciel basé non pas sur la comparaison entre les personnes mais sur l’association entre les produits eux-mêmes. Les résultats s’avérèrent bien meilleurs qu’avec les conseils des spécialistes.  « Sans aucun doute, écrivent nos auteurs, l’ordinateur ignorait pourquoi un client lecteur des œuvres d’Ernest Hemingway aurait également envie d’acheter du F. Scott Fitzgerald. Aucune importance, le chiffre d’affaires augmentait.» C’est évidemment ce système qui s’est imposé, non seulement chez Amazon, mais également à l’ensemble du commerce électronique.

Le quoi, au lieu du pourquoi

Cet exemple illustre particulièrement bien la profonde transformation induite par le big data telle que la perçoivent nos deux experts : « Son plus grand impact ? Quand la société va se rendre compte qu’elle doit mettre un bémol à son obsession de la causalité et se fonder sur de simples corrélations : il ne s’agit plus de connaître le pourquoi, mais seulement le quoi.» Dans ce nouveau monde, « où la probabilité et la corrélation priment, l’expertise dans des domaines spécifiques perd de son importance (…) Les spécialistes ne disparaîtront sans doute pas, mais il leur faudra composer avec les résultats de l’analyse de gros volumes de données. Les conceptions classiques de la gestion, de la prise de décision, des ressources humaines et de l’éducation vont devoir être ajustées ».

*Big data, par Viktor Mayer-Schönberger et Kenneth Cukier, Robert Laffont, 2014