Décidément, les leçons de l’Histoire semblent difficiles à assimiler, même au plus haut niveau de responsabilité, comme vient de le montrer le résultat de la négociation entre le gouvernement chypriote, l’Union européenne et le FMI de taxer les comptes auprès des banques de l’Île, en échange d’un plan de sauvetage. Comme le rappelaient de nombreux observateurs, une telle démarche est de nature à déstabiliser tout le système bancaire au Sud de l’Europe, en provocant d’éventuelles paniques au sein des populations pour retirer leur épargne avant qu’une partie n’en soit éventuellement confisquée.

Après le refus du parlement chypriote, un plan B serait actuellement en discussion, d’après une information donnée par la RTS (radio) ce matin pour exonérer les montants inférieurs à 100’000 euros. Mais il paraît difficile à l’Île – enfin sa partie ouest – de s’en sortir toute seule, à moins que la Russie ne vienne à son secours. Certains se demandent si elle ne pourrait pas suivre le chemin d’une autre petite île, l’Islande, qui avait laissé son système bancaire partir en faillite, en refusant d’honorer ses dettes à l’égard des créanciers étrangers. Oui, mais… il y a une grosse différence sur le plan monétaire entre les deux pays, comme le rappelait avec justesse l’économiste Charles Wyplosz hier matin sur les ondes de la RTS (radio) : l’Islande a sa propre monnaie et a donc pu dévaluer massivement sa devise en toute liberté, alors que Chypre est « pieds et poings liés » avec l’Union monétaire européenne.

Mais pourquoi laisser filer sa devise constitue-t-il un tel avantage ? Parce que cela permet d’abaisser sa valeur pour tous ses possesseurs en même temps et dans la même proportion. Ainsi, si votre monnaie est par exemple dépréciée d’un quart sur le marché des changes, tous les dépôts libellés dans cette devise, toutes les dettes, tous les salaires se réduiront dans la même mesure vis-à-vis des autres monnaies . Pour bien comprendre cet atout de la flexibilité des taux change, reprenons cette image proposée par Milton Friedman en 1953 et cité par Paul Krugman dans son dernier essai, Sortez-nous de cette crise… maintenant !* :

« Aussi étrange que cela paraisse les arguments en faveur de taux de change flottants sont quasiment identiques à ceux qui préconisent le changement d’heure en été. N’est-il pas absurde d’avancer sa montre en été quand on pourrait arriver exactement au même résultat en demandant à chaque individu de modifier ses habitudes ? Il suffirait que tout le monde accepte d’arriver au bureau une heure plus tôt, de prendre son déjeuner une heure plus tôt, etc. Il est évidemment beaucoup plus simple d’intervenir sur l’horloge qui tient lieu de référence collective que de demander individuellement à chacun de modifier son comportement par rapport à l’horloge, même en supposant que tout le monde y soit disposé. C’est exactement la même chose pour le marché des changes. Il est bien plus simple de permettre le changement d’un seul cours, celui du change avec l’extérieur, que de compter sur la modification de la multitude de cours qui, ensemble, constituent la structure intérieure des prix ». Lumineux, non ?

* Sortez-nous de cette crise… maintenant !, Paul Krugman, Flammarion, 2012