Dimanche soir, Christine Lagarde, patronne du fonds monétaire international (FMI), mettait en garde les États-Unis contre le risque d’échec d’accord sur le relèvement du plafond de leur dette, menaçant l’économie mondiale de replonger dans la récession. Jusque-là, il n’y a rien d’extraordinaire, puisque ce sont des craintes largement partagées. En revanche, l’organisation basée à Washington a véritablement créé la surprise la semaine dernière, lors de la publication du dernier numéro de sa revue Fiscal Monitor, intitulé Taxing Times. En effet, on y propose tout bonnement d’accroître la pression fiscale sur les plus hauts revenus, ainsi que sur la fortune, tout en stigmatisant l’optimisation fiscale des multinationales !
Le principe d’augmenter les impôts sur les plus riches a suscité d’autant plus d’étonnement que le FMI se limite généralement à prôner la baisse sévère des dépenses publiques pour réduire les déficits des États. Cependant, précisent les experts, il ne s’agit pas de savoir si les riches doivent payer plus, car cela « relève de positions éthiques sur lesquelles on peut raisonnablement différer », mais seulement d’estimer si l’augmentation d’impôts sur les revenus et les fortunes les plus élevées permettrait d’engranger plus de recettes qu’avec le système actuel. En effet, le risque, c’est de voir ces contribuables diminuer leurs activités ou encore essayer d’échapper à ces nouveaux impôts par tous les moyens, légaux ou illégaux.
Le FMI rappelle d’ailleurs que plusieurs pays développés ont déjà procédé à l’augmentation de leur taux marginal d’imposition maximal (soit le taux d’imposition le plus élevé de la dernière tranche de revenu imposable). Ainsi, depuis 2008, la Grèce, l’Islande, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne et le Royaume-Uni l’ont rehaussé en moyenne de 8 points de pourcentage, même si le Royaume-Uni a fait machine arrière en avril 2013, faisant passer ce taux de 50 % à 45 %.
Concrètement, les spécialistes du FMI ont pris comme base le taux d’imposition appliqué en 1980 pour calculer l’impôt supplémentaire qui pourrait être récolté sur les contribuables appartenant au 1 % des revenus les plus élevés. Le montant engrangé pourrait s’élever à l’équivalent de 0,25 % du PIB. Mais si l’on considère uniquement les États-Unis, le gain potentiel atteindrait près de 1,5 %. Ce qui n’a rien d’étonnant si l’on considère que ce pays est devenu, d’une part, de plus en plus inégalitaire et que, de l’autre, l’imposition des revenus les plus élevés a été fortement réduite.
Inégalité que l’on peut également chiffrer, comme l’indique Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, dans son dernier ouvrage, Le prix de l’inégalité* : « Depuis trois décennies, les bas salaires (des 90 % inférieurs) n’ont augmenté que de 15 %, tandis que les salaires des membres du 1 % supérieur se sont accrus de près de 150 % et que dans le 0,1 % supérieur, leur augmentation dépasse 300 %. » Quant à la fiscalité, elle a été massivement allégée en faveur des plus riches : « Le taux d’imposition marginal le plus élevé a été abaissé de 70 % sous Carter à 28 % sous Reagan ; il est remonté à 39,6 % sous Clinton et enfin redescendu à 35 % sous George W. Bush. »
Pour illustrer l’écart de richesse à l’intérieur d’un certain nombre de pays, le FMI a comparé, comme on le voit ci-dessous, d’une part, la fortune détenue par la moitié de la population la plus pauvre (en bleu) et, d’autre part, celle qui est en possession des 10 % les plus aisés (en rouge). Comme on le constate, les États-Unis font ainsi partie des pays les plus inégalitaires, où environ 75 % de la richesse est concentrée dans les mains des 10 % les plus riches.
Source : FMI / Fiscal Monitor / Taxing Times / octobre 2013
Si les États-Unis pouvaient suivre le chemin tracé par le FMI, en renversant le vapeur pour augmenter l’impôt sur sa population la plus privilégiée, le monde entier applaudirait. Car ce serait un moyen pour contribuer à la réduction plus rapide du déficit budgétaire, sans casser la fragile reprise. Tout en diminuant au passage l’inégalité criante qui s’est développée dans ce pays. Malheureusement, cette solution très simple paraît vouée à l’échec en raison de l’opposition irréductible du parti républicain, majoritaire à la Chambre des représentants, à toute hausse d’impôt. Surtout si elle concerne ses amis les plus riches…
*Le prix de l’inégalité, Joseph Stiglitz, Les liens qui dérangent, septembre 2012