Comme les médias s’en sont largement fait l’écho, les États-Unis ont évité de justesse d’emboutir le mur fiscal au 1er janvier, grâce à un accord in extremis conclu au Congrès. Un échec aurait entraîné des relèvements d’impôts massifs et de sévères coupes budgétaires. Avec pour conséquence probable une nouvelle récession. Mais tout danger n’est pas écarté, puisqu’un nouveau mur fiscal se dresse à échéance de la fin février, portant sur la réduction des dépenses publiques.

On pourrait s’étonner que ces hausses d’impôts et de coupes dans les dépenses suscitent autant d’inquiétude alors que l’on ne cesse de déplorer la taille délirante du déficit budgétaire américain. Ne faudrait-il pas de toute façon prendre des mesures draconiennes pour commencer à réduire ce boulet ? D’autant plus qu’il n’a cessé d’augmenter, en particulier depuis l’éclatement de la crise des subprimes en 2008. Oui, mais… comme le montre le Professeur Paul Krugman, dans son dernier essai baptisé de manière très combative « Sortez-nous de cette crise… maintenant ! », cette politique irait à l’encontre du but visé.

Ainsi, explique le prix Nobel d’économie américain : « Même si la réduction de la dépense fait baisser la dette future, elle peut aussi faire baisser les futurs revenus, si bien que notre capacité à supporter la dette  – mesurée, disons, par le rapport dette/PIB, – court le risque réel de s’effondrer. » À l’appui de cette affirmation, l’auteur évoque les travaux de certains chercheurs du Fonds Monétaire International, « qui ont identifié pas moins de 173 épisodes d’austérité budgétaire dans des pays développés entre 1978 et 2009. Ils ont constaté que les politiques d’austérité sont suivies de contraction économique et d’augmentation du chômage. »

Dans la même logique, mais de manière beaucoup plus polémique, notre prix Nobel prône la relance par l’augmentation des dépenses publiques pour remettre la machine économique américaine sur les rails, dans la tradition keynésienne, en laissant augmenter quelque peu l’inflation. Cette profession de foi paraît aujourd’hui très iconoclaste à beaucoup d’économistes qui estiment qu’il ne faut surtout pas accroître les dépenses des États, en raison de leur situation financière exécrable. D’ailleurs, le plan de relance d’Obama en 2009, pour un montant de 787 milliards de dollars, n’a-t-il pas montré le manque d’efficacité de telles mesures, tout en faisant exploser le déficit budgétaire ?

Mais, justement, explique Paul Krugman, l’échec était programmé en raison de la modestie de ce plan de relance en regard de la taille de l’économie américaine et de la profondeur de la récession. Quant à l’accroissement vertigineux du déficit, il aurait été essentiellement la conséquence de la crise : « Toute l’accélération de l’accroissement de la dépense est attribuable à des programmes constituant fondamentalement une aide d’urgence aux plus durement frappés par la récession ». Chiffres à l’appui.

Ce bref billet ne peut évidemment pas rendre compte de la profondeur de la réflexion de notre auteur  – qui n’est pas prix Nobel pour rien – et qui développe ses arguments sur près de 300 pages, avec la clarté et l’humour qui le caractérise. Mais j’espère qu’il contribuera à le faire lire, que l’on partage ou non ses analyses, toujours très instructives.

*« Sortez-nous de cette crise… maintenant ! », Paul Krugman, Flammarion, 2012