Bénédict Arnbäck, notaire à Genève

Lorsqu’on est héritier d’une succession ouverte en Suisse, surtout lorsqu’on connaissait mal le défunt et sa situation financière, il peut être dangereux de l’accepter, c’est-à-dire de ne pas la refuser à temps. En effet, dans le pire des cas, si la succession s’avère passive, c’est-à-dire que les dettes dépassent les actifs, l’héritier est obligé de les prendre à sa charge !

Recherche d’informations

La solution la plus simple est de répudier la succession, se dégageant ainsi de toute responsabilité. Mais il existe d’autres possibilités moins radicales, comme je l’expliquais dans mon blog du 30 mai dernier. La première, « gratuite » mais informelle et approximative, consiste à essayer de s’informer auprès des créanciers pour connaître la situation patrimoniale du défunt, en profitant du délai de répudiation qui est de trois mois à compter du décès ou du moment où l’on a pris connaissance de sa qualité d’héritier. Délai dont on peut demander la prolongation aux autorités.

 Demande de bénéfice d’inventaire

« Mais, comme l’explique Bénédict Arnbäck, notaire à Genève, qui m’a accordé une longue interview, si l’on ne parvient pas à s’assurer avant l’échéance que la succession sera active au bout du compte ou si les circonstances exigent de ne prendre aucun risque, on peut notamment faire une demande de bénéfice d’inventaire des actifs et des passifs avec le concours des autorités compétentes du canton dans lequel la succession s’est ouverte. Ceci dans un délai d’un mois, à compter du décès ou du moment où l’on a pris connaissance de sa qualité d’héritier. On pourra ainsi se déterminer en toute connaissance de cause, en acceptant ou en répudiant la succession à la clôture de la procédure de bénéfice d’inventaire. Mais ce n’est pas gratuit, les frais de cette procédure pouvant atteindre quelques milliers de francs. »

 Répudiation par tous les héritiers

Une autre solution, gratuite celle-là, consiste à ce que tous les héritiers répudient la succession : « Ainsi, aux termes de la liquidation par les autorités, l’éventuel solde, appelé reliquat, qui resterait après paiement de toutes les dettes et tous les frais, reviendrait aux héritiers. Il convient au préalable de prendre des renseignements auprès des autorités ou d’un professionnel pour s’assurer de maîtriser le sort du reliquat dans le cas concret. Car selon les liens de parenté et en fonction des répudiations effectives, notamment, les effets de la répudiation peuvent varier, et l’éventuel reliquat ne pas forcément revenir aux personnes prévues par les héritiers ayant répudié. »

 Approche de terrain

La description de ce processus apparaît cependant quelque peu théorique. Passons en revue ces différentes alternatives, en commençant par la recherche d’informations : on doit s’adresser aux différentes administrations publiques, telles l’administration fiscale, l’office des poursuites et les créanciers habituels que sont notamment la régie s’il était locataire, la caisse d’assurance maladie, et les banques avec lesquelles le défunt entretenait des relations. « Sauf qu’en pratique, précise Me Arnbäck, certains établissements refuseront de répondre sans qu’un certificat d’héritiers ne soit produit. Or les héritiers n’ont précisément pas forcément envie de faire établir un certificat d’héritiers, dont le coût peut excéder 1’000 francs, alors même qu’ils envisagent de répudier la succession. On rappellera que le certificat d’héritiers sert à identifier formellement et officiellement les héritiers pour leur donner accès aux biens de la succession. »

 Acceptation implicite de la succession ?

On peut se demander si cette demande de certificat d’héritiers ne revient pas à accepter implicitement la succession, comme on l’entend parfois. Ce qui serait en contradiction avec le but recherché. En fait, explique notre interlocuteur, ce n’est pas le cas : « On peut répudier la succession même si l’on a fait établir ce certificat, selon la jurisprudence. Mais si l’on n’est pas sûr de vouloir accepter la succession, il est préférable de ne pas faire établir de certificat d’héritiers, pour éviter des frais potentiellement inutiles et dans la mesure où le délai de trois mois pour répudier la succession ne laisse finalement que très peu de temps pour chercher et trouver les créanciers et débiteurs, les contacter et obtenir leur réponse à temps En cas de doute, il est préférable de demander le bénéfice d’inventaire ou, si l’on ne veut pas faire de frais, de répudier la succession. Mais en faisant alors attention à procéder de manière coordonnée et à avoir vérifié en amont les conséquences des répudiations dans le cas concret. Sans quoi l’éventuel reliquat ne profitera pas forcément à tous ».

 Échéance du délai de répudiation

Si l’on a négligé de faire une déclaration de répudiation dans les temps, on peut à certaines conditions très strictes obtenir un nouveau délai, et on a la possibilité dans certains cas de se prévaloir de l’insolvabilité notoire du défunt au moment du décès, rappelle notre notaire : « C’est en principe le cas notamment lorsque le défunt avait des actes de défauts de biens ou se trouvait en faillite personnelle. Ces solutions sont toutefois à considérer comme des « roues de secours », car il aurait été plus simple et plus sûr, par précaution, de répudier à temps, étant précisé que dans certains cantons, les répudiations tardives sont enregistrées par l’Autorité, sans forcément faire l’objet de contestations ultérieures Tout n’est donc pas forcément perdu si l’on n’a pas répudié à temps, mais il vaut mieux éviter de jouer avec le feu ».

 Attention à l’immixtion dans les affaires du défunt !

Même si l’on est encore dans les temps, on peut perdre sa capacité à répudier la succession, notamment si l’on déclare expressément l’accepter, mais aussi si l’on s’immisce dans les affaires du défunt. C’est ce que dit la loi. Mais au fond, qu’est-ce que cela veut dire « s’immiscer » ? À cette question, Me Arnbäck répond de manière très concrète : « Si vous avez donné à manger au chat, vérifié qu’il y a de l’eau dans l’aquarium, ouvert les enveloppes du courrier récupéré de la boîte aux lettres qui débordait et vidé le frigo dans l’appartement, on ne pourra en principe pas vous le reprocher. Il est normalement même admis que les héritiers prélèvent des objets sans valeur comme des photos de famille ou des objets personnels de valeur insignifiante. En revanche, il en ira autrement si vous commencez à prendre des objets de valeur pour vous les approprier ou, d’une manière générale, si vous vous écartez de la simple gestion ordinaire des affaires courantes immédiates. »

 Que faire des factures du défunt ?

« Fréquemment, poursuit notre expert, en voulant bien faire, les héritiers paient les factures du défunt qu’ils trouvent au domicile, ou qui leur sont parfois directement adressées. Cela ne pourra en principe pas leur être reproché, au contraire, mais ils ne reverront souvent pas la couleur de leur argent : dans le doute, mieux vaut s’abstenir de payer des factures du défunt si l’on envisage de répudier la succession ».

 Ne pas oublier le partage des acquêts !

Le conjoint survivant qui répudie la succession passive du défunt n’est pas forcément complètement tiré d’affaire. En effet, rappelle notre interlocuteur, il ne faut pas oublier les effets de la liquidation du régime matrimonial, identique à ce qui se produit en cas de divorce :  « Si le couple était marié sous le régime de la participation aux acquêts, qui est le régime légal applicable par défaut, sans contrat de mariage, sa liquidation entraîne le partage à parts égales des acquêts du couple. Ainsi, le conjoint survivant peut être amené à partager une partie de ses biens avec les créanciers de la succession qu’il a pourtant répudiée. »

 Exemple pratique

Pour être plus concret, notre notaire prend l’exemple suivant d’un couple marié en participation aux acquêts, dont le mari décède : « Supposons que les acquêts de Madame sont de 100’000 francs, tandis que ceux de Monsieur sont de zéro. Au terme de la liquidation du régime matrimonial, Madame a droit à la moitié des acquêts du couple, soit 50’000 francs, tandis que l’autre moitié tombe dans la masse successorale. Madame est donc redevable à la masse successorale pour ces 50’000 francs. Si la succession s’avère passive, la créance de la succession de son mari contre elle, qui résulte du calcul qui précède, fera partie des actifs à liquider pour éponger les dettes de la succession. Elle pourrait donc être amenée à devoir payer les créanciers du défunt, à hauteur de 50’000 francs, alors même qu’elle a répudié la succession ».

 Modifier son régime matrimonial par contrat de mariage

« Pour protéger le conjoint qui pourrait être exposé en cas de succession passive de son époux ou épouse, il faudrait passer au régime de la séparation des biens, poursuit notre interlocuteur, car il n’y a pas de partage des acquêts. Régime que les conjoints pourraient adopter par contrat signé chez un notaire avant ou après le mariage. Cette mesure permet notamment de protéger les époux en cas de décès d’un conjoint endetté, car il sera possible pour le conjoint survivant de répudier la succession sans avoir à partager ses acquêts avec les créanciers du défunt. »

 Les pièges de la double imposition transfrontalière

Dans des cas particuliers, les héritiers risquent d’être soumis à une double imposition sur certains biens qui peut s’avérer catastrophique, comme je l’expliquais de manière détaillée dans mon blog du 17 décembre 2022. J’y analysais le cas devenu fameux de deux cousins français héritiers d’un retraité suisse domicilié à Genève qui s’étaient vus infliger une imposition de 115% sur un compte bancaire que détenait le défunt en France. Si tout l’héritage est concerné, il faut évidemment répudier la succession au plus vite, comme si le défunt n’avait laissé que des dettes. Mais comment savoir à quoi l’on s’expose si l’on n’est pas un spécialiste du droit fiscal successoral sur le plan international ? Peut-on se tourner vers son notaire pour avoir toutes les informations nécessaires ?

 Qui consulter en cas de succession internationale ?

« Chaque expert maîtrise les matières qui rentrent dans son domaine d’expertise, répond Me Arnbäck, en l’occurrence pour un notaire en Suisse, c’est le droit civil suisse, le droit international privé suisse et le droit fiscal successoral du canton dans lequel il exerce. En revanche, dès que les situations présentent un caractère transnational, comme lorsque le défunt possédait des comptes bancaires ou un bien immobilier à l’étranger ou lorsqu’un héritier est domicilié à l’étranger, cela soulève des questions qui relèvent du droit civil et fiscal étranger. Pour être sûr de maîtriser les conséquences de ses choix, il faut donc consulter des spécialistes dans les différents pays impliqués. »

 Droit fiscal et civil concernés

« Il faut souligner, ajoute notre notaire, que ce n’est pas seulement le droit fiscal qui est concerné, mais également le droit civil : si l’on planifie la succession d’une personne domiciliée en Suisse, par exemple lorsqu’elle veut rédiger son testament, on raisonne en premier lieu avec les règles matrimoniales et successorales suisses. Or, s’il y a un bien à l’étranger, les dispositions qui ont été faites valablement en Suisse ne sont pas forcément reconnues à l’étranger, ou n’auront pas forcément les effets escomptés, et il faut procéder aux vérifications nécessaires avec des spécialistes locaux ».

 Droits de succession calculés au moment du décès

Les impôts de succession pourraient également constituer, dans des cas extrêmes, un motif de répudiation, même lorsqu’ils sont prélevés uniquement par l’administration fiscale cantonale, comme l’explique notre interlocuteur : « Imaginez une succession qui s’ouvre à Genève, où les droits de succession sont dus sur l’actif net taxable au décès. Si cet actif est constitué par un portefeuille de titres très volatils et que surviennent des instabilités boursières, il peut perdre une grande partie de sa valeur, à un tel point qu’il puisse même ne plus être suffisant pour couvrir les droits de successions calculés sur l’actif net au décès, c’est-à-dire avant la perte de valeur, et les autres passifs et frais de liquidation. »

 Ne pas sous-estimer l’accumulation des passifs et les frais

Même si le cas que l’on vient de décrire apparaît extrême, il n’en montre pas moins comment la valeur d’un héritage peut parfois fondre sous l’effet d’éléments sur lesquels on a peu, voire pas du tout, de pouvoir. Notre interlocuteur indique ainsi qu’il ne faut par exemple pas sous-estimer les passifs après décès, qui peuvent très rapidement s’accumuler et excéder la valeur des actifs, si les choses ne sont pas prises en main rapidement : « Un compte bancaire au nom du défunt de 5’000 francs, ce n’est pas rien de prime abord. Mais il faut garder à l’esprit que ce montant peut très vite être amorti par le loyer qui court chaque mois jusqu’à ce que l’appartement ait été débarrassé et le bail résilié, les impôts que le défunt n’avait peut-être pas couvert par des acomptes, les cartes de crédits, etc. »

 Attention aux testaments trop complexes

Un autre motif de répudiation peut venir de testaments excessivement compliqués au regard de l’importance économique de la succession, poursuit le notaire : « Il peut s’agir de testaments prévoyant une quantité d’héritiers ou de légataires, de sorte que la succession impliquera une multitude de personnes, dont certaines sont parfois à l’étranger, chacune ayant droit à des « petits » montants ou objets. Le problème, c’est qu’on ne peut rien faire sans l’accord de tous les héritiers, même pas désigner une personne responsable de liquider la succession. Il y a ainsi parfois tellement de personnes à réunir, lesquelles peuvent parfois être découragées par les formalités à accomplir pour recevoir chacune un montant modeste, que ça rend la succession impossible à liquider, sauf à le faire à des frais ou dans des délais complètement déraisonnables. »

 Testaments à simplifier

« Cette complexité peut ainsi amener les héritiers à répudier une succession paradoxalement active qu’ils auraient pu accepter si elle avait été plus simple, ajoute Me Arnbäck, en raison de la charge notamment administrative qu’elle aurait impliquée. C’est pour cela que lorsque certaines personnes viennent me voir avec un projet de testament, il m’arrive très souvent de les inciter à simplifier assez radicalement leurs dispositions. »

 Prendre des renseignements fiables avant d’agir

Notre interlocuteur termine par une mise en garde : « Il faut prendre tout ce qui précède avec des pincettes, car chaque cas est différent et les règles applicables, souvent complexes, sont parfois contre-intuitives, Sans compter que chaque canton connaît ses propres règles fiscales et sa propre pratique administrative, laquelle évolue par ailleurs au fil des années. Il est toujours préférable d’être prudent et d’obtenir l’avis d’un spécialiste pour le cas concret qui se produit. On peut évidemment consulter un notaire, mais les autorités donnent également des renseignements utiles, et il existe dans différents cantons des permanences juridiques qui fournissent des conseils à moindres frais. »

Répudiation par l’héritier qui a reçu un avancement d’hoirie

Pour terminer ce billet, j’évoquerai encore la répudiation par le descendant ayant bénéficié du vivant d’un avancement d’hoirie, donc en principe rapportable, c’est-à-dire que cette donation serait prise en compte dans le partage de la succession. En effet, il peut être parfois plus avantageux pour son bénéficiaire de répudier la succession, lui évitant dans certaines limites et à certaines conditions l’obligation du rapport, sous réserve de contestation par les autres héritiers dont la réserve héréditaire aurait été lésée. Cette thématique nécessite un long développement pour en détailler les mécanismes. J’y reviendrai dans un prochain billet de blog.